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[ 13 novembre 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Assignation du possesseur en restitution du bien vendu : sa mauvaise foi constituée, les fruits perçus doivent être restitués…

À compter de la demande en justice tendant à la résolution ou à l’annulation de la vente, le possesseur ne peut invoquer sa bonne foi pour conserver les fruits produits par le bien objet de la vente litigieuse, quand bien même celle-ci serait contestée par des tiers au contrat.

Civ. 1re, 1er oct. 2020, n° 19-20.737

Une société foncière avait demandé à une autre société de procéder à la vente par lots d’un des immeubles dont elle était propriétaire. Cette société avait alors notifié à un couple, déjà locataires d'un appartement et de divers locaux dans ledit immeuble, une offre de vente que ces derniers n’avaient pas acceptée. Les locataires avaient ensuite assigné les deux sociétés en cause, ainsi qu’une troisième société qui avait acquis les locaux loués, en nullité des offres de vente qui leur avaient été adressées et de la vente consentie ultérieurement, ainsi qu’en réparation de leur préjudice.

La société qui avait sollicité la vente par lots de l’immeuble avait, en conséquence de cette demande d’annulation, demandé la restitution des loyers versés par les locataires à la société propriétaire des lieux loués. La cour d’appel ayant fait droit à sa demande, la société condamnée forma un pourvoi en cassation, au moyen que « seule la demande en restitution émanant du propriétaire évincé à la suite de la vente annulée a pour effet de constituer possesseur de mauvaise foi, au sens de l’article 549 du Code civil, l’acquéreur ayant perçu les fruits de la chose, en l’obligeant à les restituer ». Elle en déduisait ne pouvoir être tenue à la restitution des loyers qu’à compter de la date de la demande en restitution émanant de la première propriétaire du bien (7 avril 2015) et non à partir du mois de mars 2007, durant lequel les locataires avaient par deux fois fait délivrer une assignation pour obtenir l’annulation de la vente, comme l’avait retenu la cour d’appel au motif de l’effet rétroactif de la nullité, en violation du texte précité (C. civ., art. 549) et de l’article 1184 du Code civil, dans sa rédaction applicable au litige.

Pour rejeter le pourvoi, la Haute juridiction procède à deux rappels

Le premier concerne deux règles issues du droit des biens : d’une part, celle prévue par l’article 549 du Code civil selon lequel « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi et qu’il est, dans le cas contraire, tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique ». D’autre part, celle énoncée au texte suivant selon lequel « le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices », en sorte qu’ « (i)l cesse de l’être du moment où ces vices sont connus ». 

Le second, relève du contentieux contractuel. La cour rappelle à l’appui de sa propre jurisprudence, sur ce point constante, qu’« à compter de la demande en justice tendant à la résolution ou à l’annulation de la vente, le possesseur ne peut invoquer la bonne foi » (Civ. 3e, 27 nov. 2002, n° 01-12.444). Elle ajoute qu’« il importe peu à cet égard que la demande en résolution ou en annulation émane d’un tiers au contrat de vente ».

La Haute juridiction confirme ainsi la position de la cour d’appel qui avait constaté que l’assignation en nullité de la vente ayant été délivrée par les locataires les 15 et 21 mars 2007, puis relevé que celle-ci avait été prononcée le 21 octobre 2016, la société acheteuse des lieux loués ne pouvait opposer sa bonne foi à la société foncière à compter de la demande en annulation de la vente, et que celle-ci était fondée à lui réclamer la restitution des loyers versés par les locataires entre le 1er avril 2007 et le 28 octobre 2016.

La combinaison ici effectuée des règles précitées renseigne opportunément sur la date d’appréciation de la bonne foi en cas de litige consécutif à une demande en résolution ou en annulation du contrat, chacune emportant, en cas de succès, l’anéantissement rétroactif de l’acte. Ainsi en l’espèce, l’annulation de la vente prononcée le 21 octobre 2016, par son effet rétroactif, obligeait l’acquéreur, fictivement considéré comme n’ayant jamais été propriétaire du bien, à restituer ce bien à son propriétaire. 

Cependant, l’article 549 du Code civil tempère dans ce cas les effets de la rétroactivité inhérente à la nullité du contrat en prévoyant que les fruits produits par le bien objet de la vente annulée, comme le sont des loyers, et que l’acquéreur a perçus durant tout le temps où il en a été le propriétaire, n’ont pas à être restitués, contrairement au bien lui-même, à la condition de sa bonne foi. Or en droit des biens, la bonne foi réside dans la croyance de posséder en vertu d’un acte translatif de propriété dont les vices sont ignorés (C. civ., art. 550). Ainsi est de bonne foi l’acquéreur qui croit, au moment de l’acquisition, tenir la chose de son véritable propriétaire (Civ. 3e, 15 juin 2005, n° 03-17.478https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2005-06-15_0317478), contrairement à celui qui, n’ignorant rien des vices entachant l’acte, se sait dépourvu de tout droit sur la chose. Partant, seul est en droit de conserver les fruits produits par le bien celui qui l’a acquis, en toute bonne foi, c’est-à-dire en méconnaissance des vices affectant l’acte dont il pensait tirer son droit. 

On comprend donc que la Cour de cassation s’oppose à ce qu’un possesseur se prévale de sa bonne foi alors qu’il sait qu’une action en restitution du bien, par le biais d’une demande en résolution ou en annulation, est engagée. De manière objective, la Cour considère le possesseur averti d’une telle demande au jour de la citation en justice, c’est-à-dire, concrètement, à la date de la signification de l’assignation, comme elle l’avait jugé dans son arrêt de principe auquel elle se réfère expressément pour motiver sa décision (Civ. 3e, 27 nov. 2002, préc. ; v.déjà, Civ. 3e, 28 juin 1983, n° 81-14.889). Ainsi, à compter de la demande en annulation de la vente, le possesseur, devenu en toute hypothèse de mauvaise foi, doit restituer les fruits à son propriétaire légitime.

La singularité de cet arrêt tient dans un élément qui, quoique factuel, permet à la Cour d’affiner les principes précités qu’elle s’était simplement attachée à rappeler. Il est en effet à noter qu’en l’espèce, le propriétaire revendiquant la restitution des loyers avait en fait entendu se prévaloir de la date à laquelle la demande en annulation de la vente avait été formée par les locataires, tiers à ce contrat, pour obtenir que les loyers réclamés lui soient versés à compter de celle-ci, ce qui lui permettait opportunément, au vu de la somme qui lui fut finalement restituée, d’étendre dans le temps le champ de sa créance. Or en pratique, il est logiquement bien plus fréquent que la demande en nullité émane directement du propriétaire revendiquant la restitution des fruits produits. Fort heureusement pour lui, la Cour ne voit pas d’obstacle à ce que la nullité de la vente fût en l’espèce demandée par des tiers au contrat en l’absence d’incidence, dans cette configuration, de la qualité du demandeur, en nullité ou en résolution du contrat, seul important le moment auquel le possesseur, par l’information qu’il détient de l’action engagée en vue de contester son droit, doit être considéré de mauvaise foi. Partant, « il importe peu (…) que la demande en résolution ou en annulation émane d’un tiers au contrat de vente ». 

En l’espèce, l’assignation informant le possesseur de la demande d’annulation datait des 15 et 21 mars 2007. Déterminante, cette date marquait le point de départ de son obligation de restituer les loyers perçus, fixé au 1er avril 2007. Celle de la demande en restitution formée, le 7 avril 2015, par le propriétaire évincé par l’annulation obtenue étant, en conséquence de ce tout ce qui précède, indifférente.

Références : 

■ Civ. 3e, 27 nov. 2002, n° 01-12.444 P: D. 2003. 40 ; RDI 2003. 171, obs. M. Bruschi

■ Civ. 3e, 15 juin 2005, n° 03-17.478 P:  D. 2005. 3005, note I. Tchotourian ; AJDI 2005. 760

■ Civ. 3e, 28 juin 1983, n° 81-14.889 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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