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Procédure civile
Assignation et interruption de la prescription
Mots-clefs : Prescription (en matière civile), Interruption, Causes, Demande en justice, Vice de procédure, Assignation irrégulière, Irrégularité de fond, Effet interruptif (oui)
Selon l’article 2241, alinéa 2, du Code civil, la demande en justice interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, même lorsque l’acte de saisine est annulé par l’effet d’un vice de procédure ; ce texte ne distinguant pas entre le vice de forme et l’irrégularité de fond, l’assignation même affectée d’un vice de fond a un effet interruptif.
À la suite de la rétrocession par une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (la SAFER) de différentes parcelles de terre, trois candidats évincés avaient assigné, devant un tribunal de grande instance, les attributaires et la SAFER en annulation de la décision de rétrocession. Les attributaires et la SAFER avaient alors invoqué la nullité de l'assignation en ce qu'elle comportait constitution d'un avocat ne pouvant postuler dans le ressort du tribunal saisi et sollicité la nullité de l'acte introductif d'instance.
Pour accueillir cette demande, la cour d’appel retint que la nullité de fond entachant l’assignation pour défaut de constitution d'un avocat inscrit au barreau du tribunal saisi ne constitue pas un simple vice de procédure et que les conclusions des candidats évincés, signifiées après la date d'expiration du délai de forclusion dont ils disposaient pour contester la décision de rétrocession, n'avaient pas eu pour effet de couvrir cette nullité.
Au visa de l’article 2241, alinéa 2, du Code civil, selon lequel la demande en justice interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, même lorsque l’acte de saisine est annulé par l’effet d’un vice de procédure, la Cour censure la décision des juges du fond au motif que ce texte ne distinguant pas, dans son deuxième alinéa, entre le vice de forme et l’irrégularité de fond, l’assignation même affectée d’un vice de fond a un effet interruptif. Ainsi, la cour d’appel ne pouvait déduire de l’irrégularité de fond entachant l’assignation litigieuse l’absence d’interruption du délai de prescription et l’impossibilité que cette irrégularité soit régularisée par les nouvelles conclusions délivrées par les tiers évincés au cours de l’instance.
Alors que la simple suspension de la prescription conduit à neutraliser temporairement son cours sans effacer le délai déjà écoulé, l’interruption de la prescription a l’effet plus drastique d’arrêter son cours et d’effacer rétroactivement le délai écoulé avant le fait interruptif, de telle sorte que si elle recommence à courir après ce fait, le délai antérieur ne compte plus (C. civ., art. 2230 et 2231).
Parmi les causes d'interruption de la prescription énumérées par le Code civil figure la demande en justice, laquelle a pour effet d’interrompre les délais de prescription et de forclusion, et ce même si elle est portée en référé.
L’effet interruptif se produit même lorsque l’action est dirigée vers une juridiction incompétente ou lorsque l’assignation est annulée en raison d’un vice de procédure. Ainsi, l'article 2241, alinéa 2, du Code civil, tel qu'issu de la réforme du régime des prescriptions (L. n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; JO 18 Juin 2008), commence par reprendre la règle énoncée à l'ancien article 2246 du Code civil, en vertu de laquelle une demande en justice est interruptive des délais, quand bien même elle est portée devant une juridiction incompétente (Ch. mixte 24 nov. 2006). Toutefois, le texte innove et rompt avec le droit antérieur et en faveur pour le créancier susceptible de commettre une erreur sur la procédure à suivre (par exemple, la saisine d'une juridiction dépourvue du pouvoir de statuer) en donnant à l'acte annulé par l'effet d'un vice de procédure un effet interruptif (v. Civ. 2e, 16 oct. 2014), alors que l'ancien article 2247 du Code civil le refusait (« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion » ; Civ.1re, 4 nov. 2003).
De même, le législateur a étendu l'effet interruptif de l'acte de saisine de la juridiction aux délais de forclusion lorsque l'ancien article 2246 du Code civil prévoyait seulement que « [L]a citation en justice, donnée même devant un juge incompétent, interrompt la prescription ».
En revanche, le législateur passa sous silence les incidences de la nullité de l'acte de saisine pour vice de fond. D’ailleurs, les premières décisions rendues par la Cour de cassation après la réforme avaient, logiquement, statué sur des actes annulés pour vices de forme (Civ. 1re, 25 nov. 2010 ; Civ. 2e, 17 févr. 2011).
Or, en l’espèce, la question se posait dans la mesure où l’article 117 du Code de procédure civile prévoit expressément que le défaut de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice constitue une nullité de fond.
Procédant de la règle d’interprétation selon laquelle il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas, la Cour confère à l’irrégularité de fond le même effet interruptif de la prescription que celui expressément reconnu par la loi aux vices de forme.
La solution se justifie par le constat, qui ressort sans doute de la décision rapportée, que les vices de fond limitativement énumérés à l’article 117 du Code de procédure civile sont également des vices de procédure (v. C. Auché, JCP G 2014. 1271). Ainsi les juges du fond avaient-ils relevé que le défaut de pouvoir de l’avocat ne constituait) « pas un simple vice de procédure ». En ce sens, il convient de rappeler que bien que faisant l'objet d'une distinction entre les nullités pour vice de forme et les nullités pour vice de fond, les exceptions de nullité sont regroupées dans une même section du Code de procédure civile. Dans le même sens, la Cour de cassation considère que seuls peuvent affecter la validité d'un acte les vices de forme faisant grief et les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du Code de procédure civile (Ch. mixte 7 juill. 2006).
Précisons, enfin, que le délai de forclusion ou de prescription ne recommencera à courir, en vertu de l'effet interruptif, qu'à compter du jour où l'acte de saisine aura été définitivement annulé.
Civ. 3e, 11 mars 2015, n°14-15.198
Références
■ Code civil
« La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru. »
« L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien. »
« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. »
■ Article 117 du Code de procédure civile
« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :
Le défaut de capacité d'ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. »
■ Ch. mixte 24 nov. 2006, n° 04-18.610, RTD civ. 2007. 175, note Perrot.
■ Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088.
■ Civ.1re, 4 nov. 2003, n° 02-16.269.
■ Civ. 1re, 25 nov. 2010, n° 09-69.124.
■ Civ. 2e, 17 févr. 2011, n° 10-13.977.
■ Ch. mixte 7 juill. 2006, n° 04-14.788.
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