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[ 14 mars 2018 ] Imprimer

Droit des personnes

Assurance-vie du majeur protégé : le sort préservé de ses créanciers

Mots-clefs : Incapacités, Tutelle, Assurance de personnes, Assurance-vie, Juge, Autorisation, Primes manifestement exagérées, Evaluation, Créanciers, Recours, Réintégration à la succession, Récupération des sommes

L'autorisation judiciaire de la souscription d’une assurance-vie par le tuteur du majeur protégé ne fait pas obstacle à la demande de ses créanciers en réintégration à l'actif successoral des primes manifestement exagérées ni à leur recours en récupération des sommes versées au titre d’une allocation-vieillesse.

Un juge des tutelles avait autorisé le tuteur d’un majeur protégé à placer, sur un contrat d'assurance sur la vie, le prix de vente d'un immeuble appartenant à ce dernier. Après le décès du tutélaire, l’organisme qui lui avait versé, de 1987 jusqu’à son décès, une allocation de solidarité aux personnes âgées, avait demandé à ses héritiers, et notamment à sa veuve, la récupération des sommes allouées au défunt sur l'actif de la succession. Cette dernière avait contesté la demande. La cour d’appel la rejeta au motif que la veuve ne pouvait s'opposer à la réintégration des primes en invoquant la seule autorisation donnée par le juge des tutelles à la souscription de l'assurance-vie. 

Celle-ci forma un pourvoi pour soutenir à nouveau que lorsque la souscription d'un contrat d'assurance-vie et les primes versées à ce titre ont fait l'objet d'une autorisation du juge des tutelles, qui les a estimées conformes aux intérêts du majeur protégé, ces primes ne peuvent jamais être considérées comme manifestement exagérées et souscrites en fraude des droits des créanciers.

Elle reprochait également aux juges du fond de ne pas avoir recherché, comme elle le leur avait demandé, si les héritiers n’étaient pas dans l’incapacité, au jour de l’arrêt, de rembourser la somme demandée, alors qu’en vertu de l’article 786 du Code civil, l'héritier acceptant purement et simplement peut demander à être déchargé en tout ou partie de son obligation à une dette successorale qu'il avait des motifs légitimes d'ignorer au moment de l'acceptation lorsque l'acquittement de cette dette aurait pour effet d'obérer gravement son patrimoine personnel, l'endettement devant s'apprécier à la date à laquelle le juge statue.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif, d’une part, que l'autorisation donnée par le juge des tutelles à un tuteur de placer, sur un contrat d'assurance sur la vie, des capitaux revenant à un majeur protégé, ne prive pas les créanciers du droit qu'ils tiennent de l'article L. 132-13 du Code des assurances de revendiquer la réintégration, à l'actif de la succession, des primes versées par le souscripteur qui sont manifestement excessives au regard de ses facultés. Or la cour d’appel ayant relevé que l'autorisation du juge résultait de la nécessité d'assurer la gestion des ressources du majeur protégé en permettant au tuteur, soit de procéder au placement des fonds, ouvrant ainsi à la caisse créancière la possibilité de récupérer les sommes versées au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, après le décès, dans les conditions fixées à l'article L. 815-13 du Code de la sécurité sociale, soit d'affecter les fonds à l'entretien du majeur protégé, renonçant ainsi au bénéfice de cette allocation, ce dont la cour d'appel a exactement déduit que l'autorisation judiciaire du placement ne faisait pas obstacle à la demande en réintégration à l'actif successoral des primes manifestement excessives au regard des très faibles ressources du défunt. 

D’autre part, la Cour juge que la décharge prévue à l'article 786, alinéa 2, du Code civil ne s'applique qu'aux dettes successorales, nées avant le décès et qui sont le fait du défunt, ce que ne constituent pas les sommes versées au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, qui peuvent être récupérées après le décès du bénéficiaire sur une fraction de l'actif net, en application de l'article L. 815-13 du Code de la sécurité sociale, en sorte qu’elles doivent être qualifiées de charges de la succession, nées après le décès de l'allocataire.

La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a tenté de faciliter le recours à l' assurance-vie, outil de gestion patrimoniale très prisée en pratique mais qui n’est pas sans dangers, en présence d'un majeur sous tutelle ; c’est la raison pour laquelle elle a exigé que la souscription d’un contrat d'assurance-vie par le majeur sous tutelle ne puisse être accomplie qu'avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué, à l’effet de vérifier l'absence d'influence ou de prise d'intérêt du tuteur dans l'opération (C. ass., art. L. 132-4-1, al. 1er); c’est également la raison pour laquelle la souscription d’un tel contrat est qualifiée d’acte de disposition, sans qu'aucune autre qualification ne soit possible (Civ. 3e, 7 mai 2008, n° 07-11.390).

Comme le révèle la décision rapportée, il est aussi malaisé de concilier cette règle protectrice de la personne vulnérable avec d’autres mécanismes légaux régis par des dispositifs spéciaux, tel que le recours en récupération organisé au profit de l'ancien fonds national de solidarité contre la succession des bénéficiaires d'une allocation vieillesse et dont le mécanisme a été conservé, dans le nouveau dispositif légal, pour l'allocation de solidarité aux personnes âgées (CSS, art. L. 815-13) ; en vertu de ce texte, les sommes versées au titre de cette allocation sont récupérées après le décès du bénéficiaire sur la fraction de l'actif net qui excède un certain plafond. 

Aussi les juges devaient-ils, en l’espèce, confronter la règle avec la possibilité spéciale de recours offerte par le code des assurances aux créanciers du souscripteur, l'article L. 132-13 alinéa 2 du Code des assurances autorisant qu’un recours sur le capital versé au titre de l'assurance-vie puisse être exercé lorsque les primes sont manifestement exagérées au regard des facultés contributives du souscripteur. 

Pour les juges, le déséquilibre entre le montant de l’allocation versée (220 euros à la date de la souscription de l’assurance-vie) et les primes d'assurance-vie (46 000 euros au total), caractérisait l'exagération manifeste de ces versements, dont la caisse d’allocations, en sa qualité de créancière, était en droit de demander la réintégration à l’actif successoral du défunt bénéficiaire (C. ass., art. L. 132-13), dont la faiblesse confirmait le montant abusif des primes versées, sans que l’autorisation à l’origine donnée par le juge des tutelles puisse y faire obstacle. En effet, l’octroi de cette autorisation avait pour but de satisfaire à l'obligation d'assurer la gestion des ressources du majeur protégé par son tuteur, lequel avait pour seule alternative soit de procéder au placement du produit de la vente d’un immeuble appartenant au défunt, ce qu’il avait fait en plaçant les fonds sur le contrat d’assurance-vie, soit de renoncer au bénéfice de l'allocation versée par la caisse, ce qui dans les deux cas, rendait celle-ci créancière des sommes versées, et autorisait la récupération des sommes versées, cette fois-ci en vertu de l’article L. 815-13 du Code de la sécurité sociale, inchangée.

Naturellement, pour l'évaluation de l'actif successoral net sur lequel les allocations et prestations sociales peuvent être récupérées par les organismes payeurs, il convient de ne pas comptabiliser dans le passif successoral celles dont le remboursement est réclamé, car cela empêcherait nécessairement leur récupération. C’est la raison pour laquelle les sommes versées au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, ne sont pas qualifiées de dettes mais de charges successorales.

Civ. 1re, 7 févr. 2018, n° 17-10.818

Références

■ Civ. 3e, 7 mai 2008, n° 07-11.390 P: D. 2008. 1484 ; RDI 2008. 337, obs. O. Tournafond.

 

Auteur :M. H.


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