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Droit de la responsabilité civile
Assurances : spécificité de la faute dolosive
La faute dolosive de l’assuré réside dans sa volonté de produire le dommage, incompatible avec l'aléa et excluant, en conséquence, la garantie de son assureur.
Des voisins étaient copropriétaires d'une grange, qui s’était effondrée par la faute de l’un d’entre eux. Après avoir été assigné en responsabilité par ses voisins, ce dernier avait appelé en garantie son assureur. Jugé en appel comme entièrement responsable de l'effondrement de la grange, il avait toutefois été condamné à indemniser ceux qui en étaient également propriétaires, sans être autorisé à être couvert par son assurance en raison de la faute dolosive qu’il avait commise. L’auteur du dommage forma contre cette décision un pourvoi en cassation au moyen que si l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré, la faute dolosive, pour être retenue, suppose que soit constatée la volonté de l'assuré de créer le dommage tel qu'il s'était produit, ce que la cour d’appel n’avait pas en l’espèce caractérisé, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du Code des assurances.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant l’analyse des juges du fond ayant relevé que les expertises diligentées avant et après l'effondrement avaient constaté la gravité des désordres affectant la grange en sa partie appartenant au demandeur et qu'en dépit de cette gravité apparente et de trois lettres de mise en garde que ses voisins lui avaient adressées longtemps auparavant pour attirer son attention sur l'urgence de faire procéder à des réparations, celui-ci, qui ne pouvait ignorer qu'en l'absence de travaux de consolidation, la couverture de sa partie de grange était vouée à un effondrement certain à brève échéance, était demeuré sans réaction. Ainsi la cour d'appel, qui, dans l'exercice de son pouvoir souverain, a retenu que la persistance du responsable du sinistre dans sa décision de ne pas entretenir la couverture de son immeuble manifestait son choix délibéré d'attendre l'effondrement de celle-ci, a pu en déduire qu'un tel choix, qui avait pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, constituait une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur et a légalement justifié sa décision.
Cet arrêt présente l’intérêt d’illustrer la spécificité de la faute dolosive en matière de droit des assurances, dont la définition se démarque de celle que lui donne traditionnellement le droit commun contractuel, qui en constitue le premier fondement.
En droit des contrats, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident qu’elles ont conduit, indûment, l’autre partie à contracter. Le dol vise le comportement malhonnête d’un contractant envers l’autre sous forme de manœuvres, mensonges, feintes, collusion, toute tromperie par laquelle l’un des contractants provoque chez l’autre une erreur qui le détermine à contracter. Il présente surtout quatre caractères, cumulatifs : un élément personnel doit être présent (personne à l’origine du dol), un élément matériel, un élément déterminant, mais également un élément intentionnel. Ce dernier élément signifie que le dol, quoiqu’il ait perdu son caractère pénal originel, demeure un acte illicite volontaire. L’auteur d’un dol agit consciemment de mauvaise foi, il trompe intentionnellement son cocontractant en sorte de l’inciter à contracter à des conditions qu’il n’aurait pas, s’il avait su la vérité, acceptées. Le dol innocent n’existe pas. Cependant, la nécessité d’établir cette conscience de la duperie, et donc aussi la connaissance, par l’auteur du dol, de la vérité, suffisent en droit commun à caractériser l’élément intentionnel requis pour sanctionner ce vice du consentement.
En droit des assurances, le seuil de gravité de la faute dolosive de l’assuré est rehaussé. L’intentionnalité réside dans la volonté de son auteur de créer le dommage tel qu'il est survenu, et non dans la seule conscience d'en créer le risque ; elle se traduit par des actes et comportements de nature à faire disparaître tout aléa en mettant sciemment à la charge de son assureur les conséquences qui résulteraient de sa faute (V. Civ. 2e, 1er juill. 2010, n° 09-10-590 ; Civ. 2e, 14 juin 2012, n° 11-17.367 ; Civ. 2e, 30 juin 2011, n° 10-23-004 ; sur la distinction des fautes intentionnelle et dolosive V. Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813). C’était bien le cas en l’espèce, l’assuré ayant eu la volonté manifeste de laisser se produire le dommage survenu, ce qui était incompatible avec l’aléa propre au risque. En effet, dans cette hypothèse, l’aléa inhérent au risque couvert par le mécanisme de l’assurance disparaît en même temps donc que la cause de la garantie de l’assureur qui est alors légitime, dans ce cas, à la refuser.
Cette différence d’analyse se justifie donc pleinement : dans la mesure où la faute dolosive de l’assuré a pour effet d’exclure la garantie de l’assureur, par exception au principe selon lequel ce dernier doit couvrir les pertes et les dommages occasionnés causés par son assuré, la faute de celui-ci doit en conséquence présenter un degré de gravité plus élevé que celui normalement attendu, la volonté de commettre un dommage, et non la seule conscience de prendre le risque de le provoquer.
« Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience » (Blaise Pascal, Pensés, part. II, art. 17).
Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 16-23.103
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Dol
■ Civ. 2e, 1er juill. 2010, n° 09-10-590 P: D. 2010. 1869 ; ibid. 2102, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; ibid. 2011. 1926, obs. H. Groutel
■ Civ. 2e, 14 juin 2012, n° 11-17.367 P : D. 2012. 1674 ; Rev. sociétés 2012. 637, note L. Grynbaum ; RTD com. 2012. 813, obs. N. Rontchevsky
■ Civ. 2e, 30 juin 2011, n° 10-23-004 P.
■ Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813 P : D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac
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