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Droit des personnes
Atteinte à l'image d'un proche décédé = atteinte à la vie privée
Mots-clefs : Vie privée (atteinte, réparation, préjudice personnel, atteinte à l'image d'un proche), Droit à l'image (respect de la dignité), Droit à la liberté d'expression (ingérence justifiée)
Les proches d'une personne peuvent s'opposer à la reproduction de son image après son décès, dès lors qu'ils en éprouvent un préjudice personnel en raison d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort.
Dans son numéro de juin 2009, le magazine Choc publia la photographie d'Ilan H… la tête bandée et sous la menace d'une arme (photographie qui avait été prise par ses tortionnaires et adressée à sa famille pour appuyer une demande de rançon). La mère et les sœurs du jeune homme décédé assignèrent en référé la société éditrice du journal ainsi que le directeur de publication pour voir constater leur atteinte à la vie privée et ordonner, sous astreinte, le retrait de la vente du numéro et le versement d'une provision. La cour d'appel ordonna que soient occultées, dans tous les exemplaires mis en vente ou en distribution, les cinq reproductions de la photographie en question, et condamna l'éditeur à payer aux demanderesses diverses sommes à titre de provision et en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Cour de cassation rejette ici le pourvoi formé par la société éditrice, qui reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir caractérisé l'atteinte à la vie privée personnellement subie par les proches de la victime, et d'avoir méconnu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; l'éditeur prétendait que la photo s'inscrivait dans l'actualité et qu'elle avait, en outre, déjà été communiquée au public lors d'une émission télévisée à laquelle participait l'avocat de la famille de la victime. Reprenant pas à pas le raisonnement tenu par la cour d'appel, la première chambre civile relève que la photographie litigieuse avait été publiée sans autorisation, qu'elle suggérait la soumission imposée et la torture, et que la publication, utilisée dans une volonté de recherche du sensationnel, n'était nullement justifiée par les nécessités de l'information. Elle estime que les juges ont exactement déduit de cette série d'éléments que la publication litigieuse, « contraire à la dignité humaine, […] constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des proches, justifiant […] que soit apportée une telle restriction à la liberté d'expression et d'information ».
Le droit au respect de la vie privée est reconnu à toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune ou ses fonctions. Mais le droit d'agir pour le respect de la vie privée, qui appartient à la seule personne concernée, s'éteint en principe à son décès. La protection de la vie privée des proches du défunt s'opère alors par d'autres biais, notamment celui du droit à l'image. La fixation de l'image d'une personne, vivante ou morte, sans autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de l'accorder est prohibée (v. Crim. 20 oct. 1998), ce qui rend irrecevable la demande formée par les héritiers de la personne décédée (le décès mettant fin au droit du vivant à son image), mais n'exclut pas l'action fondée sur les atteintes à leur propre vie privée (V., dans l'affaire Érignac, Civ. 1re, 20 déc. 2000). C'est à ce titre que la Haute cour accueille, en l'espèce, la demande des consorts H… : la publication de la photographie, contraire à la dignité, constituait une atteinte à la mémoire de la personne défunte, de là, une atteinte à la vie privée de ses proches (rappr. Civ. 1re, 20 févr. 2001, qui retient que la liberté de communication des informations autorise la publication d'images de personnes impliquées dans un événement, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine).
Les atteintes au droit à l'image sont sanctionnées civilement de la même manière que les atteintes à la vie privée : les tribunaux peuvent condamner leur auteur à la réparation du dommage causé, et prescrire toutes mesures — au besoin, en référé — propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée (art. 9, al. 2, C. civ.).
Civ. 1re, 1er juill. 2010, n° 09-15.47, FS-P+B+I
Références
■ Atteintes à la vie privée
« Fautes civiles ou pénales lésant le droit de chaque citoyen au respect de sa personnalité, dans le cadre de sa vie privée ou de l’intimité de celle-ci. »
■ Référé civil
« Procédure contradictoire et accélérée grâce à laquelle une partie peut, dans certains cas, obtenir d’un magistrat unique une décision provisoire, qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
Le juge des référés peut, même en présence d’une contestation sérieuse, autoriser des mesures conservatoires ou ordonner des remises en état, afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement contraire à la loi.
Lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder au créancier une provision. Il peut prononcer des condamnations à des astreintes et aux dépens.
Le juge des référés peut ordonner l’exécution en nature d’une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire, dès lors que l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
La décision prise en référé est provisoire : elle n’a pas l’autorité de chose jugée au principal. En revanche, elle possède l’autorité de chose jugée au provisoire : elle ne peut être modifiée par le juge des référés qu’en cas de circonstances nouvelles. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010
■ Article 700 du Code de procédure civile
« Comme il est dit au I de l'article 75 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. »
■ Article 9 du Code civil
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée; ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme – Liberté d’expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Crim. 20 oct. 1998, Bull. crim. n° 264 ; R. p. 319 ; D. 1999. Jur. 106, note Beignier ; JCP 1999. II. 10044, note Loiseau.
■ Civ. 1re, 20 déc. 2000, Bull. civ. I, n° 341 ; D. 2001. Somm. 1990, obs. Lepage ; ibid. 2001. Chron. 872, obs. Gridel ; RTD civ. 2001. 329, obs. Hauser ; JCP 2001. II. 10488, concl. Sainte-Rose et note Ravanas.
■ Civ. 1re, 20 févr. 2001, Bull. civ. I, n° 42 ; D. 2001. Jur. 1199, note Gridel ; JCP 2001. II. 10533, note Ravanas ; Gaz. Pal. 2002. 641, concl. Sainte-Rose ; LPA 5 avr. 2001, note Derieux ; Dr. et patr. juin 2001, p. 96, obs. Loiseau.
■ F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil. Les personnes. La famille. Les incapacités, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, n°s 108 s.
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