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Droit de la famille
Attribution d'une prestation compensatoire : florilège d'éléments à ne pas prendre en compte
Mots-clefs : Divorce, Conséquences du divorce, Prestation compensatoire, Devoir de secours, Allocations familiales, Revenus de biens communs
Trois arrêts de cassation rendus le 15 février 2012 illustrent le contrôle exercé par la cour régulatrice sur les éléments que les juges du fond sont autorisés à prendre en compte pour se prononcer sur la disparité des ressources respectives des époux créée par la rupture du lien matrimonial.
Alors que le divorce conflictuel continue de perdre du terrain au profit des formes consensuelles de divorce (v. évolution statistique des mariages et des divorces), le contentieux relatif à la dissolution du lien matrimonial se concentre toujours autour des effets de celle-ci, et notamment de l'attribution de la prestation compensatoire. Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que la Cour de cassation exerce son contrôle sur les éléments que le juge peut prendre en considération pour se prononcer, comme elle l’a fait le 15 février 2012 dans trois arrêts de cassation rendus au visa des articles 270 et 271 du Code civil.
Le premier arrêt de la série (no 11-11.000) posait la question suivante : pour déterminer les revenus de l'époux qui sollicite l'attribution d'une prestation compensatoire, les juges peuvent-ils prendre en compte les allocations familiales dont il bénéficie ? En répondant par la négative, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle une solution déjà été affirmée à plusieurs reprises (Civ. 2e, 3 déc. 1997 ; 6 oct. 2010) et fondée sur l’affectation des allocations. Destinées à assister les parents dans leur obligation d'entretien envers leurs enfants, ces prestations peuvent être prises en compte au titre des ressources dont chacun des parents dispose pour la détermination de leur contribution respective à l'entretien et à l'éducation des enfants (Civ. 1re, 17 nov. 2010). En revanche, elles ne tendent pas à procurer des revenus aux parents, de sorte qu’elles ne sauraient être prises en considération pour déterminer les ressources du débiteur ou du créancier d'une prestation compensatoire (Rappr. Civ. 1re, 25 mai 2004, qui décide que le juge ne peut prendre en considération les sommes versées par le conjoint débiteur au titre de la contribution à l'entretien des enfants).
Dans le deuxième arrêt rapporté (no 10-20.018), la question concernait les revenus locatifs d'un immeuble relevant de la communauté : pouvaient-ils être pris en compte au titre des ressources de l'épouse qui les percevait ? La cour d'appel avait tenu compte de ces revenus pour décider que la rupture du lien conjugal ne créait pas de disparité dans les situations respectives des époux, retenant la situation de l’épouse n'était pas susceptible d'évolution. La solution qui lui est opposée par la Haute cour, quoique moins rebattue que celle résultant de l'arrêt précédent, n'est pas entièrement nouvelle : la deuxième chambre civile avait déjà censuré un arrêt d'appel concluant à l'absence de disparité dans les ressources respectives des époux, alors que l'épouse tirait ses seuls revenus de la location des immeubles communs (Civ. 2e, 20 mars 1996). La justification en est imparable : les revenus des biens communs entrant dans la communauté jusqu'à sa dissolution, ils tombent dans l'indivision post-communautaire après cette dissolution. Cette modification inéluctable de leur sort interdit logiquement au juge de considérer que la perception par un époux des revenus locatifs de biens communs le met à l'abri d'une disparité dans les conditions de vie respectives des époux découlant de la rupture du mariage.
Le troisième arrêt (no 11-14.187) donne quant à lui à la Cour régulatrice l'occasion de poser une solution inédite. En l'espèce, la difficulté portait également sur les revenus locatifs d'un immeuble dépendant de la communauté, revenus que l'épouse percevait cette fois-ci au titre du devoir de secours. Le juge pouvait-il prendre en compte ces revenus pour statuer sur la demande de prestation compensatoire formée par l'épouse ? La cour d'appel l'avait cru, à tort puisque son arrêt est censuré. La solution s'explique par la vocation de l'avantage perçu au titre du devoir de secours. Il constitue une modalité d'exécution de la pension alimentaire prévue par l'article 255, 6o, du Code civil, qui énumère les mesures provisoires susceptibles d’être prises par le juge à l'issue de l'audience de conciliation lorsqu'elles sont nécessaires à l'existence des époux et celle des enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée (C. civ., art. 254). Fondée sur le devoir de secours (C. civ., art. 212), qui subsiste pendant toute la durée de l'instance, cette pension alimentaire a vocation à s'éteindre lors du prononcé définitif du divorce. Il est par conséquent exclu que le juge puisse la prendre en compte pour écarter l’éventuelle disparité créée dans les conditions de vie respectives des époux par la rupture du mariage, alors qu’il s’agit d’une source de revenus vouée à disparaître en même temps que le lien matrimonial.
Civ. 1re, 15 févr. 2012, nos 11-11.000, 10-20.018 et 11-14.187, F-P+B+I
Références
[Droit civil]
« Capital destiné à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux divorcés et dont le paiement a lieu soit sous la forme du versement d’une somme d’argent, soit par l’attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit.
À titre exceptionnel, lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, le juge peut fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Évolution statistique des mariages et des divorces : http://www.justice.gouv.fr/justice-civile-11861/evolution-statistique-des-mariages-et-des-divorces-23682.html
■ Code civil
« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
« Lors de l'audience prévue à l'article 252, le juge prescrit, en considération des accords éventuels des époux, les mesures nécessaires pour assurer leur existence et celle des enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée. »
« Le juge peut notamment :
1° Proposer aux époux une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ;
2° Enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l'objet et le déroulement de la médiation ;
3° Statuer sur les modalités de la résidence séparée des époux ;
4° Attribuer à l'un d'eux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l'accord des époux sur le montant d'une indemnité d'occupation ;
5° Ordonner la remise des vêtements et objets personnels ;
6° Fixer la pension alimentaire et la provision pour frais d'instance que l'un des époux devra verser à son conjoint, désigner celui ou ceux des époux qui devront assurer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes ;
7° Accorder à l'un des époux des provisions à valoir sur ses droits dans la liquidation du régime matrimonial si la situation le rend nécessaire ;
8° Statuer sur l'attribution de la jouissance ou de la gestion des biens communs ou indivis autres que ceux visés au 4°, sous réserve des droits de chacun des époux dans la liquidation du régime matrimonial ;
9° Désigner tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux ;
10° Désigner un notaire en vue d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager. »
« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.
L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.
Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. »
« La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
A cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa. »
■ Civ. 2e, 3 déc. 1997, no 94-16.970, Bull. civ. II, no 295 ; D. 1998. 441, note Everaert-Dumont ; JCP 1998. II. 10077, note Garé ; Defrénois 1998. 1388, obs. Massip ; Dr. fam. 1998, no 65, note Lécuyer ; RTD civ. 1998. 84.
■ Civ. 2e, 6 oct. 2010, no 09-12.718, AJ fam. 2010. 493, obs. David ; Dr. fam. 2010, no 178, obs. Larribau-Terneyre ; JCP 2011, no 29, obs. Favier ; RTD civ. 2011. 112.
■ Civ. 1re, 17 nov. 2010, no 09-12.621, D. 2010. 2910, et les obs. ; AJ fam. 2010. 534, obs. L. Briand ; RTD civ. 2011. 117, obs. Hauser.
■ Civ. 1re, 25 mai 2004, no 02-12.922, Bull. civ. I, no 148 ; Gaz. Pal. 2004. 2556, concl. Sainte-Rose ; Defrénois 2004. 1677, obs. Massip ; Dr. fam. 2004, no 122, note Larribau-Terneyre ; RTD civ. 2004. 491, obs. Hauser.
■ Civ. 2e, 20 mars 1996, no 94-12.371, Bull. civ. II, no 70 ; Defrénois 1997. 712, obs. Massip.
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