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[ 11 janvier 2017 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Autorisation administrative de licenciements collectifs et droit d’établissement : entente possible

Mots-clefs : Droit d’établissement, Licenciement collectif, Autorisation administrative préalable de licenciement, Protection des travailleurs, Promotion de l’emploi, Crise économique, Restriction

L’autorisation administrative préalable à des licenciements collectifs est compatible avec le droit d’établissement, envisagé à l’article 49 TFUE, à la condition que la législation soit proportionnée. Cette dernière exigence implique que les critères d’évaluation sur lesquels repose la décision de l’administration ne soient pas formulés de manière imprécise et générale empêchant les entreprises de préparer leur dossier et le juge d’opérer un contrôle.

L’autorisation administrative préalable à des licenciements collectifs est-elle compatible avec le droit d’établissement visé à l’article 49 TFUE ? C’est à cette question que la Cour de justice devait finalement répondre avec l’enjeu sous-jacent de l’équilibre entre la protection des travailleurs et la réalisation d’une liberté économique.

A l’origine des faits, il y a la volonté de la société grecque AGET, dont le principal actionnaire est le groupe français Lafarge, de licencier l’ensemble du personnel d’une de ses filiales, produisant du ciment. Or le ministère du travail grec a refusé d’autoriser le plan de licenciement collectif après l’avoir évalué conformément aux dispositions de la loi grecque. Cette dernière prévoit qu’un licenciement collectif est autorisé au regard de l’examen de trois critères : les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale. En l’espèce il a été considéré que la motivation de l’entreprise était insuffisante, alors même que l’entreprise avançait les nécessaires adaptations de cette usine face à la chute de la demande de ciment.

Dans un premier temps, la Cour explique ce qu’implique le droit d’établissement au regard du traité. La définition donnée du contenu est uniquement économique et conduit à retenir une approche très libérale. Cette approche n’est cependant pas la solution de la Cour, elle est à considérer comme un rappel des obligations des États qui découle objectivement des traités et plus précisément de l’article 49 TFUE. Ainsi ce droit comprend le pouvoir pour l’entreprise d’engager des travailleurs dans l’État membre d’accueil, mais également de déterminer la nature et l’ampleur de son activité économique. Dès lors il revient à l’entreprise de décider du nombre de travailleurs requis et aux besoins de déterminer si elle souhaite réduire ou renoncer à son activité dans l’État membre d’accueil. Dans cette perspective, la décision de procéder à un licenciement collectif constitue une décision fondamentale de la vie d’une entreprise, dès lors une législation conditionnant le licenciement à l’intervention de l’autorité publique relève d’une ingérence pouvant être appréhendée comme une restriction. Aussi la législation grecque constitue-t-elle une atteinte au droit d’établissement en rendant moins attrayant l’accès au marché grec. Il s’agit pour la Cour d’un « obstacle sérieux ».

Dans un second temps, la Cour rappelle que cette liberté économique peut être tempérée afin de protéger d’autres intérêts généraux, dès lors que ces derniers ne sont pas purement économiques. Un État peut ainsi sauvegarder sa législation, même si elle restreint la liberté d’établissement, à la condition qu’elle respecte également les droits fondamentaux, c’est-à-dire la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et qu’elle soit nécessaire et proportionnée. 

La Cour va examiner ces différentes conditions. Les autorités grecques entendent protéger les travailleurs et promouvoir l’emploi. Ces justifications sont depuis longtemps reconnues par la Cour de justice comme des raisons impérieuses d’intérêt général. La première condition liée aux objectifs d’intérêts généraux est remplie. La seconde condition liée à l’absence de violation des droits fondamentaux va être plus largement développée, la Cour de justice s’appuyant sur le contenu de l’article 51, § 1 de la Charte qui précise à quelles conditions les droits et libertés peuvent être limitées. Cet article reprend en réalité les mêmes conditions, la protection nécessaire d’un objectif légitime et le respect du principe de proportionnalité. L’article 51, § 1 ajoute l’exigence de l’intervention d’une loi et l’absence de remise en cause du contenu essentiel du droit ou de la liberté limité. Là encore la Cour admet l’existence d’un objectif légitime en s’appuyant plus largement sur les objectifs de la construction européenne tels qu’ils sont énoncés à l’article 3 TUE. En effet, la protection des travailleurs et la promotion de l’emploi s’intègrent dans les objectifs de plein emploi, de protection sociale et du développement durable selon les juges. La conséquence est que la Cour de justice admet qu’un État puisse prévoir un système de contrôle des licenciements collectifs. La compatibilité de la mesure dépend toutefois de la troisième condition qui est celle de la proportionnalité. La Cour indique que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour réaliser les objectifs de leur politique sociale, à la condition de respecter le contenu essentiel notamment de la liberté d’entreprise (Charte UE, art. 16). Le respect de ce droit est garanti à partir de l’examen des critères appliqués par l’administration pour autoriser ou refuser les licenciements. Or, c’est à stade du raisonnement que la réglementation grecque est jugée incompatible. La Cour examine successivement les critères : les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale. Elle écarte tout d’abord celui relatif à l’intérêt de l’économie nationale, étant donné qu’il s’agit pour la Cour de la poursuite d’un objectif de nature purement économique. Ensuite, pour les deux autres critères, la Cour les critiques en raison de leurs formulations très générales et imprécises. En effet, la Cour rappelle qu’en cas de pouvoir d’appréciation de l’autorité publique, l’absence de précisions sur les circonstances spécifiques et objectives dans lesquelles les pouvoirs sont exercés, constitue une atteinte grave au droit d’établissement. En l’espèce, elle juge qu’il découle des formulations retenues des situations qui sont potentiellement nombreuses, indéterminées et indéterminables pour que les entreprises puissent préparer leur dossier et que le juge puisse opérer un véritable contrôle. La législation grecque est disproportionnée portant une atteinte trop importante au droit d’établissement

Parallèlement, la Cour était interrogée afin de savoir si la situation de crise économique en Grèce pouvait influencer sa solution par rapport à la compatibilité de la législation au droit d’établissement. La Cour écarte sèchement cette possibilité en indiquant que ni le traité, à l’article 49 TFUE, ni la directive 98/59/CE sur les licenciements collectifs n’envisageaient une solution différente pour un contexte de crise économique ou de taux de chômage particulièrement élevé.

CJUE 21 décembre 2016, aff. C-201/15

Références

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 49

(ex-article 43 TCE)

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre.

La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »

■ Traité sur l’Union européenne

Article 3

(ex-article 2 TUE) 

« 1. L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples. 2. L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. 3. L'Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres. Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. 4. L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro. 5. Dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies. 6. L'Union poursuit ses objectifs par des moyens appropriés, en fonction des compétences qui lui sont attribuées dans les traités. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 16

« La liberté d'entreprise est reconnue conformément au droit de l'Union et aux législations et pratiques nationales. »

Article 51

« 1.   Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités.

2.   La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. »

■ Directive n°98/59/CE du Conseil, 20 juill. 1998 sur le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs

 

Auteur :V. B.


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