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Droit des successions et des libéralités
Autorisation d'un indivisaire à conclure seul un acte de vente justifiée par l'urgence et l'intérêt commun
Mots-clefs : Indivision, Unanimité, Dérogation, Autorisation judiciaire, Conditions, Mise en péril de l’intérêt commun
Il entre dans les pouvoirs que le président du tribunal de grande instance tient de l’article 815-6 du code civil d’autoriser un indivisaire à conclure seul un acte de vente d’un bien indivis pourvu qu’une telle mesure soit justifiée par l’urgence et l’intérêt commun.
Un père de famille avait signé une promesse de vente d'un immeuble au profit d'une société, l'acte prévoyant cette vente par acte authentique à une certaine date, date avant laquelle il décéda, laissant pour lui succéder sa veuve, leur fils mineur, ainsi qu'une fille née d'une première union. La veuve s'opposant à la vente, la fille saisit le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, pour être autorisée à signer seule l'acte authentique.
La cour d'appel rejeta l'exception d'incompétence soulevée par la veuve et accueillit la demande de la fille.
La veuve forma alors un pourvoi en cassation au soutien duquel elle faisait valoir d’une part, que le président du TGI n’était pas compétent pour autoriser un indivisaire à passer seul un acte de vente d’un immeuble indivis pour lequel le consentement d’un autre coïndivisaire est requis, un tel acte relevant des seuls pouvoirs du TGI, et d’autre part, que la condition d’une telle autorisation, requise par l’article 815-5 du Code civil, à savoir la mise en péril de l’intérêt commun des indivisaires, n’était pas remplie.
La Cour de cassation approuve néanmoins l’analyse des juges du fond : s’il entre dans les pouvoirs que le président du TGI tient de l'article 815-6 du Code civil d'autoriser un indivisaire à conclure seul un acte de vente d'un bien indivis, une telle mesure doit être justifiée par l'urgence et l'intérêt commun ; or en l’espèce, ces deux conditions étaient, selon l’appréciation souveraine des juges du fond, réunies.
Aux termes de l'article 815-5, alinéa 1er, du Code civil, un indivisaire peut être autorisé par le juge à passer seul un acte pour lequel le consentement d'un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l'intérêt commun, l'alinéa 3 de ce même article précisant que cet acte est alors opposable à l'indivisaire récalcitrant – sans toutefois l’obliger (ainsi, si l'indivisaire récalcitrant ne pourra plus prétendre utiliser le bien vendu, il ne sera toutefois pas tenu, à l'égard de l'acquéreur, de la garantie des vices cachés).
Ces dispositions transposent, en matière d'indivision, les règles applicables aux régimes matrimoniaux, en l'occurrence l'article 217 du Code civil, dont les 1er et 3e alinéas de l'article 815-5 ont manifestement emprunté le contenu. Elles visent à passer outre, malgré la règle de l’unanimité applicable en cas d’indivision, le refus d’un indivisaire de conclure un acte projeté par un coïndivisaire. Dans l'intérêt de l'indivision, un tel refus pourra être annihilé par le juge.
Si le TGI est normalement compétent en la matière, en cas d’urgence, son président est également habilité à délivrer, en la forme des référés, l’autorisation sollicitée (v. C. civ., art. 815-6, al. 1er : « Le président du tribunal de grande instance peut prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l'intérêt commun »). Celle-ci doit nécessairement intervenir avant la réalisation de l'acte projeté : destinée à faire fi de l'opposition d'un indivisaire, l’autorisation judiciaire ne peut venir valider a posteriori un acte passé irrégulièrement sans le consentement unanime de tous ceux dont le consentement était requis (Civ. 1re, 29 nov. 1988). Cela se comprend à la lecture de l'article 815-5 Code civil qui institue une procédure d'autorisation d’un acte juridique, et non sa régularisation, (C. Watine-Drouin) laquelle est, par principe, effectuée par les auteurs de l'acte et non par le juge.
Or le texte précité permet non pas à la partie récalcitrante de donner a posteriori le consentement qu'elle avait initialement refusé, mais de substituer une autorisation judiciaire à ce refus de consentir ; requérir l’antériorité de l’autorisation à la réalisation de l'acte auquel manquerait, sans cela, un élément constitutif, est donc logique.
Surtout, l’autorisation du juge dépend d’une condition essentielle : la mise en péril de l'intérêt commun par le refus d'un indivisaire de consentir à un acte pour lequel l'unanimité est requise. Celle-ci relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Ils l’ont, par exemple, déduit du refus d'un cohéritier de consentir à l'aliénation d'un bien indivis pour payer des droits de succession élevés (Civ. 1re, 14 févr. 1984), de celui d'un époux divorcé, copreneur d'un bien rural avec son épouse, de consentir à la cession du bail à leur enfant commun, seul moyen, pourtant, d'éviter le refus de renouvellement du bailleur.
En l’espèce, le caractère abusif du refus opposé par la veuve à l'acte projeté par la fille fut déduit de la conformité du prix de vente envisagé à l’évaluation réalisée, la veuve n’ayant pu établir l’insuffisance de prix et ainsi contredire les conclusions de l’expertise.
Un dernier point doit être précisé dans le cas où, comme en l’espèce, l'acte autorisé porte sur la cession d'un bien indivis. La question s'est posée de savoir si la cession ainsi réalisée opérait ou non un partage. Dans un arrêt du 30 juin 1992 (Civ. 1re, 30 juin 1992), la Cour de cassation a posé le principe selon lequel la cession d'un bien indivis autorisée sur le fondement de l'article 815-5, alinéa 1er du Code civil, ne réalise pas un partage, le prix de cession se substituant dans l'indivision au bien vendu. En conséquence, les règles fixant les modalités du partage ne sont pas applicables (Civ. 3e, 3 déc. 1996).
Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-20.158
Références
■ Code civil
« Un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d'état de manifester sa volonté ou si son refus n'est pas justifié par l'intérêt de la famille.
L'acte passé dans les conditions fixées par l'autorisation de justice est opposable à l'époux dont le concours ou le consentement a fait défaut, sans qu'il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle. »
« Un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d'un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l'intérêt commun.
Le juge ne peut, à la demande d'un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d'un bien grevé d'usufruit contre la volonté de l'usufruitier.
L'acte passé dans les conditions fixées par l'autorisation de justice est opposable à l'indivisaire dont le consentement a fait défaut. »
« Le président du tribunal de grande instance peut prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l'intérêt commun.
Il peut, notamment, autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l'indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l'emploi. Cette autorisation n'entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l'héritier.
Il peut également soit désigner un indivisaire comme administrateur en l'obligeant s'il y a lieu à donner caution, soit nommer un séquestre. Les articles 1873-5 à 1873-9 du présent code s'appliquent en tant que de raison aux pouvoirs et aux obligations de l'administrateur, s'ils ne sont autrement définis par le juge. »
■ C. Watine-Drouin, « Le rôle du juge relativement à la garde et à l'utilisation des biens indivis », RTD civ. 1988. 301.
■ Civ. 1re, 29 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 340.
■ Civ. 1re, 14 févr. 1984, Bull. civ. I, n° 61.
■ Civ. 1re, 30 juin 1992, Bull. civ. I, n° 208.
■ Civ. 3e, 3 déc. 1996, Bull. civ. I, n° 439.
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