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Droit bancaire - droit du crédit
Autorisation d’une opération de paiement : la condition du consentement au montant
Le payeur doit consentir au montant de l’opération pour que celle-ci puisse être considérée comme autorisée au sens des textes du Code monétaire et financier.
Com. 30 nov.2022, n° 21-17.614
Prolongeant un arrêt important rendu en février dernier et ayant donné lieu, avant son prononcé, à un renvoi préjudiciel (Com. 9 févr. 2022, n° 17-19.441), l’arrêt rapporté fait partie des rares arrêts publiés à propos des instruments de paiement dotés de données de sécurité personnalisées. Pourtant, des litiges naissent très régulièrement entre le client et sa banque, les opérations effectuées au moyen de ces instruments de paiement présentant, en pratique, un degré de sécurité moindre que celui que la législation bancaire voudrait atteindre, dans un but de protection de leurs utilisateurs (v. M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Éréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, n° 1523). En témoigne le cas d’espèce, pourtant né d’un simple retrait d’espèces par le titulaire d’une carte bancaire. Après avoir introduit celle-ci dans un distributeur automatique de billets (DAB) et composé son code secret, un tiers avait saisi à son insu un montant de 900 € avant de s’enfuir, muni des billets ainsi usurpés. Le client avait donc demandé à sa banque le remboursement du montant de cette somme involontairement débitée. Le tribunal judiciaire de Paris rejeta sa demande en considérant que le payeur n’avait pas été victime d’un retrait frauduleux mais d’un vol d’espèces ce qui, légalement, n’obligeait pas la banque au remboursement. Le montant du litige étant insuffisant pour interjeter appel, l’affaire fut directement portée devant la Cour de cassation, le client reprochant au tribunal d’avoir violé les articles L. 133-18 et L. 133-19 du Code monétaire et financier, ces textes imposant à l’établissement bancaire de rembourser les opérations non autorisées dans les plus brefs délais.
Donnant gain de cause au client, la chambre commerciale casse le jugement attaqué : en l’absence de consentement du client au montant de l’opération litigieuse, la Haute cour caractérise un défaut d’autorisation de cette opération de paiement et juge la banque légalement contrainte au remboursement du montant de cette opération non autorisée. Destiné à être publié à la fois au Bulletin et aux Lettres de chambre, cet arrêt est riche d’enseignements concernant, d’une part, la qualification d’une opération de paiement non autorisée et, d’autre part, les conséquences de ce défaut d’autorisation.
■ Qualification d’une opération de paiement non autorisée
Le problème principal soulevé conduisait à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, l’opération de paiement, initiée par le payeur mais finalisée par le malfaiteur, devait être considérée comme autorisée ou non. Plus précisément, une opération de paiement constituée par un retrait bancaire est-elle autorisée dans le cas où le client saisit son code secret (donnée personnelle sécurisée) avant qu’un tiers compose sur le clavier du DAB le montant du retrait et vole les billets ainsi obtenus ?
Pour résoudre ce problème, la Cour de cassation a pris appui sur les articles L. 133-3 et L. 133-6 du Code monétaire et financier relatifs aux conditions d’autorisation de paiement d’une opération bancaire. Toutefois, aucun de ces deux textes, pris isolément, n’y apporte de réponse univoque et explicite. La chambre commerciale a alors déduit de leur combinaison qu’une opération est autorisée « uniquement si le payeur a également consenti au montant de l’opération » (§ 3). L’emploi conjugué des deux adverbes par nous soulignés est signifiant : le consentement au montant d’une opération bancaire est érigé en critère essentiel de qualification de l’autorisation de paiement. Ainsi, une opération de retrait bancaire ne peut-elle être considérée comme autorisée qu’à la condition que le montant débité corresponde à celui renseigné par l’utilisateur de la carte bancaire.
La solution est logique : au cœur de toute opération de paiement, le montant du retrait en l’espèce effectué ne pouvait échapper à la volonté du payeur sans que cette circonstance n’influe sur l’appréciation du caractère autorisé ou non de l’opération. L’autorisation de paiement de l’opération dépendait naturellement du consentement du payeur au montant de celle-ci. L’équivalence recherchée entre le montant escompté par le payeur et le montant effectivement débité se comprend également au regard de la multiplication des manœuvres frauduleuses observées en pratiques au moyen d’instruments de paiement pourtant sécurisés. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation rend les deux conditions précitées cumulatives : une opération de retrait d’espèces ne peut être considérée comme autorisée que si le client a, d’une part, composé son code secret et, d’autre part, indiqué lui-même le montant du retrait.
Concrètement, cette solution offre au client, en cas de fraude de ce type, une possibilité réelle et rapide de remboursement par sa banque.
■ Conséquences d’une opération non autorisée
La Cour en vient ensuite à tirer les conséquences du défaut d’autorisation de l’opération en question, à l’appui notamment des articles L. 133-18 et L. 133-19 du Code monétaire et financier. Au visa de ces textes, et en particulier du dernier, la chambre commerciale casse le jugement attaqué pour défaut de base légale. En effet, la motivation du tribunal restait centrée sur la qualification de la manœuvre opérée par le tiers puisque selon les juges parisiens, il ne s’agissait pas d’un retrait frauduleux mais d’un vol d’espèces, ce qui faisait échec aux règles de remboursement par le prestataire de services telles qu’elles sont prévues par les articles L. 133-18 et L. 133-19 du Code monétaire et financier. Le défaut de base légale est ainsi justifié par le fait que le tribunal aurait d’abord dû se prononcer sur la question de l’autorisation de paiement de l’opération pour justifier ensuite, le cas échéant, l’éventuelle responsabilité du payeur et l’exemption de la banque à son obligation de rembourser le montant d’une opération frauduleuse dont a été victime son client.
Cet arrêt en appelle ainsi à la vigilance des établissements bancaires. Il procède, en effet, d’une lecture stricte pour les établissements concernés des textes du code monétaire et financier, tant sur les conditions d’autorisation d’une opération de paiement que sur les conséquences d’une opération non autorisée, les obligeant à accéder aux demandes de remboursement formées par leurs clients. En cela, la solution est conforme à l’esprit protecteur de la législation européenne applicable à ce type d’opérations (Dir. 2007/64/CE du 13 nov.2007, dite « DSP 1 » et 2015/2366 du 25 nov.2015, dite « DSP 2 »).
Références :
■ Com. 9 févr. 2022, n° 17-19.441 : D. 2022. 276 ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. S. Piédelièvre.
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