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Introduction au droit
Autorité de la chose jugée : application en défaveur de la caution
En vertu des principes de l’autorité de la chose jugée et de la concentration des moyens, l’invocation en cause d’appel d’un fondement juridique différent de celui présenté en première instance ne suffit pas à rendre recevable une nouvelle demande mettant en échec le précédent jugement.
Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-11.706
Une banque avait consenti à une société trois prêts garantis par la caution personnelle de son gérant. Après que la société eut été placée en liquidation judiciaire, son gérant avait été condamné, par jugement d’un tribunal de commerce en date du 29 novembre 2012, confirmé par un arrêt du 27 novembre 2014, à payer une certaine somme à la banque au titre de ses engagements de caution.
Après que cet arrêt d’appel fût rendu, la caution avait assigné la banque en responsabilité, invoquant un manquement à ses obligations de conseil et de mise en garde. Cette dernière lui avait alors opposé une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée.
En sens, la cour d’appel jugea sa demande irrecevable au motif que l’autorité de chose jugée par le jugement rendu et confirmé en appel s’y opposait, et précisa qu’en vertu du principe de concentration des moyens, l’appelant aurait dû former cette demande tendant à voir juger la responsabilité de la banque dès l’instance, engagée par cette dernière, en vue de l’exécution du contrat de cautionnement.
Devant la Cour de cassation, la caution soutenait que les deux instances en cause avaient un objet différent et que si par principe, il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, il n’est cependant pas tenu de présenter dans une même instance l’ensemble des demandes qu’il entend former, même si elles se fondent sur les mêmes faits, en sorte qu’en l’espèce, il n’était point tenu de présenter sa demande fondée sur la responsabilité de la banque dès la première instance.
La Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si l’autorité de la chose jugée par le premier jugement ayant condamné la caution au paiement des sommes réclamées par le créancier faisait obstacle à la demande ultérieure de la caution d’engagement de la responsabilité civile de ce même créancier.
Les Hauts magistrats y répondent par l’affirmative : « ayant relevé que, poursuivi en exécution de son engagement de caution, le demandeur avait seulement demandé, en première instance, des délais de paiement qui lui avaient été accordés par le tribunal de commerce saisi, et qu’il n’avait invoqué la responsabilité de la banque et demandé sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts venant en compensation des condamnations prononcées à son encontre qu’à titre subsidiaire devant la cour d’appel, laquelle avait déclaré sa demande irrecevable comme nouvelle en appel et confirmé le jugement, la cour d’appel en a exactement déduit que la demande dont elle était saisie, qui tendait à remettre en cause, par un moyen nouveau, la condamnation irrévocable (de la caution) au paiement des sommes dues au titre de ses engagements de caution et se heurtait à l’autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce (…), confirmé ensuite par la cour appel (…), était irrecevable ».
En matière d’autorité de chose jugée comme de voies de recours, le juriste se confronte au choix entre deux tendances.
Tout d’abord, la tendance au perfectionnisme qui implique le souci d’assurer la meilleure justice possible, dans le strict respect du principe du contradictoire ; chaque jugement sera considéré comme une œuvre perfectible ; il faudra donc ouvrir assez largement ses possibilités de remise en cause s’il apparaît que la solution retenue n’est pas bonne ou pourrait être améliorée. Mais une telle solution suscite immédiatement la tentation d’une autre tendance, alternative, qui tient à l’impératif de sécurité et de stabilité des situations juridiques : lorsqu’une situation reconnue est menacée par des contestations permanentes et renouvelées, que reste-t-il de l’autorité attachée à l’institution judiciaire ?
Contre « le risque de mal-jugé », les voies de recours sont organisées par la loi dans des conditions qui assurent un équilibre entre ces deux tendances : elles permettent de corriger ou d’améliorer ce qui a été mal ou trop rapidement jugé ; la sécurité n’est pas ignorée pour autant, puisque ces voies de recours sont enfermées dans de strictes conditions, notamment de délai. Mais quand le délai est expiré ou qu’une voie de recours a été exercée sans succès, la tentation est forte pour le plaideur de renouveler sa demande ; c’est là qu’intervient l’autorité de la chose jugée, fin de non-recevoir qui interdit toute remise en question du jugement ayant mis fin à une contestation.
Ainsi l’autorité de la chose jugée signifie-t-elle que la chose jugée est tenue pour la vérité : Res judicita pro veritate habetur. Elle se distingue de la force de chose jugée qui, une fois toutes les voies de recours expirées, rend la décision de justice exécutoire (V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 142, p. 137).
Toutefois, le jugement ne prétend pas être une vérité absolue : c’est une vérité par déclaration de la loi. L’autorité de la chose jugée est ainsi classée parmi les présomptions légales : l'article 1355 du Code civil (art. 1351 anc.) dispose que cette autorité « n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Cet article fondateur du principe de l’autorité de la chose jugée l’assortit donc d’une triple réserve liée l’identité de cause, d’objet et de parties au litige. Seuls les deux premiers éléments appellent quelques précisions, faute pour la jurisprudence de les avoir apportées: la doctrine majoritaire s’accorde à considérer l’objet de la demande comme la prétention, au sens processualiste du terme, c’est-à-dire le résultat concret que l’auteur d’une prétention demande au juge de lui reconnaître ou de lui attribuer. Et la cause de la demande viserait les faits allégués par les parties propres à fonder cette prétention.
À l’origine doctrinale (Vizioz, « Études de procédure », 1956, p. 250 et s. ; Motulsky, « Pour une délimitation plus précise de l’autorité de la chose jugée en matière civile », D. 1958, chr., p. 1.- Études et notes de procédure civile, Dalloz, 1973, p. 14 s.), une conception étroite de la chose jugée fut et demeure défendue par la jurisprudence, notamment depuis que l’Assemblée plénière a imposé au demandeur de faire valoir, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, obligation de « concentration des moyens » que la haute juridiction rattache à l’autorité de chose jugée (Cass., ass. plén., Cesareo, 7 juill. 2006, n° 04-10.672). Limitée à la question litigieuse, c’est-à-dire à tout point ayant été contradictoirement débattu et véritablement tranché, cette définition étroite de l’autorité de la chose jugée doit en effet avoir pour contrepartie un principe de concentration des demandes et moyens : pour éviter des procès à répétition et sans fin, les justiciables doivent être contraints de présenter simultanément ou du moins dans la même instance les différentes demandes et les divers moyens dont ils disposent.
Jadis circonscrite à quelques cas particuliers, cette obligation de concentration des moyens est, depuis cet arrêt de principe d’Assemblée plénière dont la solution fut en outre ultérieurement étendue au défendeur (Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322), érigée en principe : toute nouvelle demande qui invoque un fondement juridique que le demandeur s’était abstenu de soulever en temps utile se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation, le demandeur devant présenter dès la première instance l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci.
Ainsi, même formée sur un fondement juridique différent, une nouvelle demande se heurtera-t-elle à l’autorité de chose jugée. C’est ce qui fut, en l’espèce, opposé à la caution. Contrairement à ce qu’elle contestait à l’appui de son pourvoi, l’autorité de la chose jugée trouvait bien à s’appliquer en raison de l’identité d’objet de ses demandes, formulées dans les deux instances en cause, chacune portant sur l’exécution du contrat de cautionnement : la première reposait sur l’octroi de délais de paiement à la caution pour qu’elle puisse effectivement exécuter son engagement, quand la seconde visait à obtenir une indemnisation compensatrice de sa condamnation à l’exécution de cet engagement. Dans cette affaire, la caution n’avait donc découvert ni donc fait valoir aucun élément nouveau qui lui aurait permis d’échapper à la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée (sur cette limite apportée à l’autorité de la chose jugée, v. Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 03-14.204 ; Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-14.737 ; Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280 ; Civ. 3e, 14 avr. 2016, n° 15-12.764 ; Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.672)°; son moyen fondé sur la responsabilité civile de la banque se déduisait des termes du contrat de cautionnement discuté dans le cadre de la première procédure. Seule était nouvelle l’argumentation juridique construite à partir d’une situation de fait et de droit demeurée inchangée. Or la seule différence de fondement juridique entre deux demandes ayant le même objet est insuffisante à écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée (Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-14.123).
En application du principe de concentration des moyens, l’invocation d’un fondement juridique différent ne suffisait donc pas à offrir à la caution la possibilité de présenter une nouvelle demande, en cause d’appel, en vue de faire échec au précédent jugement. Dès lors qu’elle avait eu la possibilité, dès la première instance, de présenter ce moyen à l’appui de sa première demande, la caution devait se voir opposer une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu, que la nouveauté de sa demande formée en appel sur un moyen pour la première fois invoqué avait ainsi heurtée (comp., dans le même sens, Com. 25 oct. 2011, n° 10-21.383 ; Com. 6 juill. 2010, n° 09-15.671 ; Civ. 1re , 1er oct. 2014, n° 13-22.388).
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Autorité de la chose jugée
■ Cass., ass. plén., Cesareo, 7 juill. 2006, n° 04-10.672 P : D. 2006. 2135, et les obs., note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot
■ Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322 P
■ Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 03-14.204 P : D. 2004. 1769
■ Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-14.737 P : D. 2010. 1291 ; RTD civ. 2010. 615, obs. R. Perrot
■ Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280 P
■ Civ. 3e, 14 avr. 2016, n° 15-12.764
■ Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.672 P : D. 2016. 311 ; RTD com. 2016. 860, obs. J.-L. Vallens
■ Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-14.123 P : D. 2012. 1132 ; ibid. 2991, obs. T. Clay
■ Com. 25 oct. 2011, n° 10-21.383 P : D. 2011. 2735, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2012. 851, obs. A. Martin-Serf
■ Com. 6 juill. 2010, n° 09-15.671 P : D. 2010. 1860 ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq
■ Civ. 1re, 1er oct. 2014, n° 13-22.388 P : D. 2014. 2004 ; RTD civ. 2014. 940, obs. P. Théry
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