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Introduction au droit
Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : illustration à propos de la décision de relaxe
Au nom du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qui s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la relaxe, une cour d’appel ne peut imputer des faits de dénonciation calomnieuse à une ex-épouse pour caractériser une faute grave commise à l’encontre de son ancien conjoint, alors qu’une décision pénale définitive avait relaxé celle-ci aux motifs nécessaires que les éléments constitutifs de cette infraction n’étaient pas établis.
Civ. 2e, 24 nov. 2022, n° 21-17.167
Près de dix ans après le divorce d’un couple, parents d’un enfant né deux avant son prononcé, une cour d’appel avait relaxé l’ex-épouse de deux jugements de condamnation pour des faits de non-représentation d’enfant et de dénonciation calomnieuse, ces délits ayant donné lieu à l’octroi au bénéfice de son ancien conjoint de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. La juridiction du second degré avait également rejeté la constitution de partie civile de l’ex-époux, lequel avait alors saisi le juge civil afin d'obtenir réparation du préjudice moral, psychologique et affectif qu'il prétendait avoir subi du fait de la non-remise de l'enfant par son ex-femme et des plaintes qu'elle avait déposées contre lui. Pour condamner cette dernière à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la cour d’appel retint que même si ses agissements n'avaient pas été considérés par le juge pénal, à deux reprises, comme constituant les délits de non-représentation d'enfant et de dénonciation calomnieuse, ses plaintes multiples et répétées pour des viols commis sur l’enfant, déposées à l’effet de s'opposer à l'exercice du droit de visite et d'hébergement de son ancien conjoint et d’obtenir sa suppression, constituaient une faute grave dont ce dernier était en droit de réclamer réparation. Au visa des articles 1351, devenu 1355, et 1382, devenu 1240, du code civil, la deuxième chambre civile casse et annule cette décision. Une fois rappelé, selon le premier de ces textes, que l'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la relaxe, la Cour ajoute qu’en vertu du second, seul un abus de la liberté d’expression, dans les seuls cas prévus par la loi, peut être sanctionné sur son fondement. La Cour précise ensuite que la dénonciation téméraire, constitutive d'un abus de la liberté d'expression, est régie par les articles 91, 472 et 516 du code de procédure pénale qui, en cas de décision définitive de non-lieu ou de relaxe, et sans préjudice d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse, ouvrent à la personne mise en examen ou au prévenu la possibilité de former une demande de dommages-intérêts, à l'encontre de la partie civile, à la condition que cette dernière ait elle-même mis en mouvement l'action publique. Il en résulte qu’en dehors des cas visés par ces textes spéciaux, la dénonciation, auprès de l'autorité judiciaire, de faits de nature à être sanctionnés pénalement, seraient-ils inexacts, ne peut être considérée comme fautive à moins, rappelle la Cour, que la preuve soit rapportée que son auteur avait connaissance de l'inexactitude des faits dénoncés, le délit de dénonciation calomnieuse, prévu et réprimé par l'article 226-10 du code pénal, étant alors caractérisé. Partant, en statuant comme elle l’a fait, alors que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions de relaxe de la mère du chef de dénonciation calomnieuse, reposant sur l'absence de preuve de sa connaissance de la fausseté des déclarations de l'enfant qu'elle avait rapportées, ne permettait pas de retenir l'existence d'une dénonciation calomnieuse pour la période de temps considérée, et qu'il résultait de ses propres énonciations que le père ne pouvait agir sur le fondement de la dénonciation téméraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
La Cour de cassation considère classiquement que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil recouvre « ce qui a été nécessairement et certainement décidé par le juge criminel soit quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action pénale et de l’action civile, soit quant à la participation du prévenu au même fait » (Civ. 1re, 1er déc. 1930). Elle reconnaît, par ailleurs, que cette autorité s’impose au juge civil relativement aux faits constatés qui forment l’infraction et justifient, le cas échéant, la condamnation pénale (Soc. 27 sept. 2006, n° 05-40.208). Plus généralement, l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif (Civ. 28 juin 1949 ; Civ. 1re, 25 mars 1997, n° 94-20.299 ; Civ.1re, 8 juill. 1994, n° 91-21.617 ; Com. 9 oct. 2001, n° 00-17.007 ; Civ. 2e, 5 juin 2008, n° 07-13.256). Une telle extension apparaît nécessaire compte tenu du caractère lapidaire du dispositif d’une décision pénale (v., sur ce point, Rép. proc. civ., v° Chose jugée, par Bouty, n° 688) ; il est ainsi plus pertinent de considérer que ce sont dans les motifs que le juge civil trouvera notamment l’exposé des faits litigieux ou les qualifications retenues (Civ. 1re, 7 juill. 1981, n° 80-13.920 ; Crim. 19 juin 2007, n° 06-88.454). Le juge civil est donc lié par la motivation des décisions pénales définitives, seules celles-ci étant revêtues de l’autorité de la chose jugée (Ch. mixte, 10 oct. 2008, n°04-16.174).
Si ce principe vaut dans l’hypothèse d’un jugement de condamnation, il est également applicable en cas de relaxe, comme en témoigne la décision rapportée. En effet, la décision de la juridiction pénale qui acquitte un prévenu établit à l’égard de tous l’inexistence de l’infraction poursuivie (Civ. 1re, 3 févr. 1976). Aussi bien, la relaxe au pénal chasse-t-elle la faute susceptible d’être commise au civil : ainsi, la décision de relaxe, fût-ce au bénéfice du doute, du préposé d’un garagiste, poursuivi pour blessures involontaires à la suite de l’accident d’une voiture qu’il avait réparée, établit l’absence de faute permettant au garagiste de s’exonérer de sa responsabilité (Civ. 1re, 9 juin 1993, n° 91-17.387), de même que le juge civil ne peut retenir la faute d’un conducteur relaxé du chef de conduite sans permis pour le condamner à rembourser à son assureur l’indemnité versée (Civ. 1re, 30 oct. 1985, n° 84-13.271).
En l’espèce, le juge civil aurait donc dû tenir compte de deux éléments contenus dans les motifs de la décision pénale relativement à l’action engagée par le père de l’enfant pour répondre à la question de la faute éventuelle de sa mère : d’une part son impossibilité à agir, faute d’avoir pu se constituer partie civile, sur le fondement de la dénonciation téméraire et, d’autre part, son impossibilité à rapporter la preuve du caractère intentionnel du délit de dénonciation calomnieuse, la matérialité de l’infraction supposant l’intentionnalité de sa commission (comp. Civ. 3e, 14 avr. 2010, n° 08-21.346 : la relaxe prononcée pour un délit de délaissement, supposant un acte positif exprimant de la part de son auteur la volonté d’abandonner définitivement la victime, n’empêche pas que pussent être constatés, au plan civil, les manquements commis par l’intéressé à ses obligations contractuelles). Ayant motivé la décision de relaxe de la mère, cette double impossibilité devait conduire la cour d’appel à refuser d’accéder à la demande du père d’engager la responsabilité civile pour faute de son ex-épouse.
Références :
■ Civ. 1re, 1er déc. 1930 : S. 1931. 1. 109, note Hugueney
■ Soc. 27 sept. 2006, n° 05-40.208 : D. 2006. 2416 ; RDT 2006. 382, obs. M.-C. Amauger-Lattes
■ Civ. 28 juin 1949 : Gaz. Pal. 1950. 1. Somm. 41
■ Civ.1re, 25 mars 1997, n° 94-20.299, P : D. 1997. 102
■ Civ. 1re, 8 juill. 1994, n° 91-21.617, P
■ Com. 9 oct. 2001, n° 00-17.007, P
■ Civ. 2e, 5 juin 2008, n° 07-13.256
■ Civ. 1re, 7 juill. 1981, n° 80-13.920, P
■ Crim. 19 juin 2007, n° 06-88.454 : AJ pénal 2007. 387
■ Ch. mixte, 10 oct. 2008, n° 04-16.174 : D. 2008. 2604 ; AJ pénal 2009. 37, obs. P. Dourneau-Josette ; RTD civ. 2009. 168, obs. R. Perrot
■ Civ. 1re, 3 févr. 1976 : D.1976.441, note Contamine-Raynaud
■ Civ. 1re, 9 juin 1993, n° 91-17.387 : RTD civ. 1993. 828, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 30 oct. 1985, n° 84-13.271, P
■ Civ. 3e, 14 avr. 2010, n° 08-21.346 : D. 2010. 1144 ; RTD civ. 2010. 554, obs. B. Fages
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