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Procédure civile
Autorité de la chose jugée : limites et étendue
L'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; l’autorité au civil de la chose jugée au pénal justifie qu’une décision de relaxe fasse obstacle à l’octroi, par le juge civil, de dommages-intérêts pour réparer les faits commis par le relaxé.
Le 7 septembre 2006, une femme, divorcée, avait saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) pour obtenir la désignation d'un médecin expert aux fins d'évaluer son préjudice à la suite des agressions dont elle disait avoir été victime de la part de son époux, ainsi que le paiement d'une somme provisionnelle. Un premier arrêt rendu par une cour d’appel, le 14 mai 2008, après avoir constaté la matérialité des agressions alléguées, avait en conséquence reconnu son droit à indemnisation. Mais par un jugement rendu le 4 juin 2013, un tribunal correctionnel avait relaxé son ex-mari du chef des violences volontaires commises sur la personne de son épouse, et débouté celle-ci de ses demandes formées en qualité de partie civile. Cette décision avait ensuite été confirmée en appel, le 17 septembre 2014.
La victime faisait alors grief à ce second arrêt d’appel de l’avoir déboutée de ses demandes, fondées sur l'article 706-3 du Code de procédure pénale, en réparation des violences conjugales subies et définitivement reconnues par l’arrêt d’appel en date du 14 mai 2008, et d’avoir dit que la matérialité des faits allégués n'était pas établie, alors, selon le moyen, que l'article 706-3 précité, instituant un régime autonome de réparation constitué de règles propres, prévoit que toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits, volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, peu important que l'auteur de l'infraction ait pu être relaxé. Méconnaissant la consécration définitive de son droit à indemnisation, et donc le principe de l’autorité de la chose jugée, l'arrêt attaqué aurait donc, selon la demanderesse au pourvoi, tiré prétexte du jugement de relaxe rendu le 4 juin 2013 et de l’arrêt confirmatif ayant rejeté son action civile, rendu le 17 septembre 2014, pour considérer que la matérialité des faits allégués n’était pas établie quand celle-ci n’avait, pourtant, jamais été contestée. La thèse du pourvoi est rejetée par la Cour de cassation. Rappelant, d'une part, que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice et, d'autre part, que les décisions pénales ayant au civil autorité absolue à l'égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l'existence du fait incriminé et à la culpabilité de celui auquel ce fait est imputé, la deuxième chambre civile juge que c'est à bon droit que la cour d'appel a, en raison de la décision postérieure du juge pénal prononçant la relaxe du défendeur, écarté l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du 14 mai 2008 reconnaissant le droit à indemnisation de la demanderesse et, après avoir relevé que son époux avait été désigné par celle-ci comme le seul auteur des agressions qu'elle avait dénoncées, décidé que les faits ne présentaient pas le caractère matériel d'une infraction.
L’article 1355 du Code civil (art. 1351 anc.) énonce que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Cet article pose le principe de l’autorité relative de la chose jugée. L’autorité de la chose jugée signifie que la chose jugée est tenue pour la vérité : Res judicita pro veritate habetur. Elle se distingue de la force de chose jugée qui, une fois toutes les voies de recours expirées, rend la décision de justice exécutoire (V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 142, p.137). Cette autorité est toutefois tempérée. Elle n’est, d’abord, que relative, ne valant que pour le litige et les parties au procès sur lesquelles elle s’exerce. Elle est, ensuite, limitée, notamment par la nécessité de prendre en compte l’éventuelle survenance d’événements postérieurs constituant des circonstances nouvelles. Comme le rappelle ici la Cour, l’autorité de la chose jugée ne peut en effet être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice (Civ. 2e, 10 juill. 2008 ; n° 07-14.620 ; Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280), remettant alors en cause la vérité attachée au premier jugement. Elle est, enfin, variable, selon la juridiction considérée. Ainsi l’autorité au civil de la chose jugée au pénal, absolue (Civ. 2e, 21 mai 2015, n° 14-18.339), s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé (Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-20.442). Il n’est alors pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été définitivement jugé par une juridiction répressive relativement à ce qui forme la base commune de l’action civile et de l’action publique. L’autorité attachée à une décision de relaxe rend de surcroît celle-ci opposable aux tiers auprès desquels elle établit l’inexistence de l’infraction poursuivie (Civ. 1re, 3 févr. 1976, n° 74-13.931). En l’espèce, la relaxe de l’époux faisait donc obstacle à ce qu’il soit condamné à des dommages-intérêts par le juge civil en réparation des préjudices causés par une infraction que son acquittement avait privé de matérialité.
« L’autorité ne veut point de rivale » (Lucain, La Pharsale).
Civ. 2e, 17 janv. 2019, n° 18-10.350
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Autorité de la chose jugée
■ Civ. 2e, 10 juill. 2008 ; n° 07-14.620
■ Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280 P
■ Civ. 2e, 21 mai 2015, n° 14-18.339 P: RSC 2015. 679, obs. A. Giudicelli
■ Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-20.442 P: D. 2013. 68, note N. Rias ; RTD civ. 2013. 87, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 3 févr. 1976 ; n° 74-13.931 P: D. 1976. 441
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