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Droit des successions et des libéralités
Avantage indirect rapportable : retour à l'exigence de la preuve de l'intention libérale
Mots-clefs : Succession, Donation, Logement, Mise à disposition gratuite, Avantage indirect, Rapport (non)
En présence d'un avantage indirect résultant de la mise à disposition gratuite d'un logement par des parents au profit de l'un de leurs enfants, la Cour de cassation affirme que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession.
Dans l'affaire ici commentée, un couple d'exploitants agricoles gratifiaient leur fils, qui participait à l'exploitation en qualité d'aide familial non salarié depuis une vingtaine d'années, de la nue-propriété d'un tiers de leurs biens, incluant leur maison d'habitation, avec stipulation d'une obligation à sa charge de soins et d'entretien des donateurs. Par le même acte, leur fils recevait, comme sa sœur, donation du surplus. Au décès des époux, cette dernière assigna son frère en liquidation de la succession. Tout en lui reprochant de s'être rendu coupable de recel successoral, la cohéritière soutenait qu'ayant joui gratuitement de la maison d'habitation depuis qu'il avait commencé à participer à l'exploitation, son frère avait bénéficié d'un avantage indirect devant être rapporté à la succession.
Aux termes de l'article 843 du Code civil, dont la teneur n'a pas été grandement modifiée par la réforme opérée par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 (v. Vareille), toutes les donations dont ont bénéficié les héritiers doivent être rapportées à la succession, à l'exception de celles qui leur ont été faites expressément hors part successorale. Ainsi, en l'espèce, la donation effectuée par le couple, à titre de partage anticipé, « par préciput et hors part » (selon la terminologie en vigueur sous l'empire de la loi ancienne, applicable en l'espèce) ne pouvait être rapportée. Ce rapport se trouvait doublement écarté puisqu'il s'agissait d'une donation-partage, que la Cour de cassation a exclu du champ d'application de l'article 843 du Code civil (Civ. 1re, 16 juill. 1997). En revanche, qu'en était-il pour l'avantage indirect ?
Si la cour d'appel a retenu le recel successoral, elle a rejeté la demande relative au rapport de l'avantage indirect représenté par la jouissance gratuite de l'immeuble. La cohéritière a donc formé un pourvoi incident qui concentre l'attention de la Haute cour, dans la mesure où les moyens développés par le cohéritier, relatifs au recel successoral, sont écartés comme ne permettant pas l'admission du pourvoi principal. Dans son pourvoi, la cohéritière reprochait à la cour d'appel de n'avoir pas accueilli sa demande tendant au rapport de l'avantage indirect représenté par la jouissance gratuite de l'immeuble des donateurs. Elle pouvait se réclamer, en ce sens, de la jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation qui, après avoir affirmé que ne sont pas nécessairement exclus du rapport les fruits, résidant en l'espèce dans la mise à disposition gratuite du logement au profit d'un descendant (Civ. 1re, 14 janv. 1997. Solution consacrée par l’art. 851, al. 2 C. civ., issu de L. no 2006-728 du 23 juin 2006), estimait, en 2005, que même en l'absence d'intention libérale établie, le bénéficiaire d'un avantage indirect en doit compte à ses cohéritiers (Civ. 1re, 8 nov. 2005. Adde Barabé-Bouchard). Dans une espèce voisine de celle ici commentée, puisqu'il était également question de l'occupation gratuite d'un immeuble par un héritier, la Cour de cassation élargissait donc considérablement le domaine du rapport, en écartant la nécessité de prouver l'intention libérale en présence d'un avantage indirect.
Au regard de cette solution, le pourvoi incident semblait promis au succès. Contre toute attente, il est nettement rejeté par la première chambre civile qui lui oppose, dans une formule revêtant les atours de l'attendu de principe, que « seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession ». Le reflux opéré par rapport à la solution retenue en 2005 est confirmé par trois arrêts de cassation rendus le même jour qui adoptent la même position (Civ. 1re, 18 janv. 2012).
La Cour de cassation vient donc rétablir l'unité conceptuelle des donations visées par l'article 843 du Code civil, en écartant l'autonomie de la qualification d'avantage indirect rapportable, réaffirmant ainsi la nécessité de prouver à la fois l'élément objectif — l'appauvrissement du disposant - et l'élément subjectif - l'intention libérale — qui définissent la donation.
On se réjouira de ce revirement sur la solution posée en 2005, qui ne pouvait qu'attiser un contentieux désastreux pour la paix des familles à une époque où — allongement de la durée des études et hausse de l'immobilier obligent — la mise à disposition gratuite d'un logement par les parents au profit de leurs enfants est de plus en plus fréquente.
Civ. 1re, 18 janv. 2012, no 09-72.542 - FS-P+B+I
Références
■ Guével, V° « Rapport des dons et legs », Rép. civ., 2007.
■ Leroyer, Droit des successions, 2e éd., coll. « Cours », Dalloz, 2011, spéc. nos 450 s.
■ Rapport des dons et des legs à fin d’égalité
[Droit civil]
« Opération par laquelle l’héritier qui a reçu du cujus des biens qui lui ont été donnés ou légués dans les limites de la quotité disponible, est astreint à les remettre dans la masse partageable en valeur, afin de rétablir l’égalité entre les copartageants. Mais, comme le disposant a toute liberté pour l’attribution de la quotité disponible, il convient d’interpréter sa volonté que la loi présume de la manière suivante :
- les donations sont censées faites en avancement de part successorale, donc rapportables, sauf si le donateur en avait dispensé le gratifié. Toutefois, certaines donations sont dispensées de plein droit du rapport : les donations de fruits et revenus; les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation ; les présents d’usage;
- les legs sont censés faits hors part successorale et ne sont donc sujets au rapport qu’en présence d’une volonté clairement exprimée. »
[Droit civil]
« Acte par lequel une personne, de son vivant, transfère à ses héritiers présomptifs (c’est la donation) et répartit entre eux (c’est le partage), ses biens présents ; ils en deviennent immédiatement et irrévocablement propriétaires ou nus-propriétaires ou usufruitiers, selon que la donation porte sur la propriété des biens ou leur nue-propriété ou leur usufruit. Elle bénéficie d’un régime juridique et fiscal très favorable. (…) »
[Procédure civile]
« Pourvoi émanant de la partie défenderesse au pourvoi principal. Doit être présenté dans le délai de 2 mois reconnu au défendeur pour déposer son mémoire en défense. Obéit aux mêmes règles que l’appel incident. »
■ Appel incident
[Procédure civile]
« Appel formé en réplique à l'apple principal, par la partie intimée (le défendeur en appel), et qui est dirigé contre l’appelant ou contre les autres intimés.
Sur un appel principal ou sur un appel incident provoqué par le premier, un appel incident peut aussi être formé par toute partie, même non intimée.
L’appel incident n’est recevable que si l’appel principal l’est lui-même. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Code civil
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant. »
« Le rapport est dû de ce qui a été employé pour l'établissement d'un des cohéritiers ou pour le paiement de ses dettes.
Il est également dû en cas de donation de fruits ou de revenus, à moins que la libéralité n'ait été faite expressément hors part successorale. »
■ Vareille, « Nouveau rapport, nouvelle réduction », D. 2006. 2565.
■ Civ. 1re, 16 juill. 1997, Bull. civ. I, no 252 ; D. 1997. Somm. 370, obs. M. Grimaldi.
■ Civ. 1re, 14 janv. 1997, Bull. civ. I, no 22 ; R., p. 190 ; GAJC, 12e éd., no 112.
■ Civ. 1re, 8 nov. 2005, no 03-13.890, Bull. civ. I, no 409 ; D. 2006. 2066, obs. Nicod ; JCP 2008. I. 108, obs. Le Guidec ; RJPF 2006-1/34, obs. Casey ; LPA 3 mai 2006, note Chamoulaud- Trapiers.
■ Adde Barabé-Bouchard, « De la dispense systématique de rapport au rapport systématique ? », JCP N 2006. 1220.
■ Civ. 1re, 18 janv. 2012, n os 11-12.863, 10-25.685 et 10-27.325.
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