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[ 19 mars 2024 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Avortement : de la loi à la Constitution

L’introduction de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution française en mars 2024, est la vingt-cinquième réforme constitutionnelle. Elle intervient presque seize ans après la dernière réforme (L. const. du 23 juill. 2008, introduisant notamment la limitation des mandats présidentiels , l’inscription de l’indépendance de la presse, le référendum d’initiative partagée ou encore la question prioritaire de constitutionnalité…). 

Loi constitutionnelle n° 2024-200 du 8 mars 2024

■ Les lois sur l’avortement

Si la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse (loi Veil) a permis de dépénaliser l’IVG sous certaines conditions pour une durée de cinq ans, c’est la loi du 31 décembre 1979 relative à l'interruption volontaire de la grossesse qui dépénalise définitivement l’avortement. Différentes lois ont ensuite été votées afin de faciliter le recours à l’IVG comme la loi du 31 décembre 1982 qui instaure la prise en charge par l'État des dépenses engagées par l'Assurance maladie au titre des IVG ; la loi du 27 janvier 1993 qui crée notamment un délit d'entrave à l’IVG et supprime la pénalisation de l'auto-avortement ; la loi du 4 juillet 2001 qui allonge le délai légal de 10 à 12 semaines de grossesse et assouplit les conditions d'accès aux contraceptifs et à l'IVG pour les mineures ; la loi du 4 août 2014 qui supprime la notion de détresse des conditions de recours à l'IVG et étend le délit d'entrave à l'IVG à l'accès à l'information à l'IVG ; la loi du 26 janvier 2016 qui autorise les sages-femmes à réaliser les IVG médicamenteuses et supprime le délai de réflexion de sept jours entre la consultation d'information et la consultation de recueil du consentement ; la loi du 20 mars 2017 qui redéfinit le délit d’entrave  ou encore la loi du 2 mars 2022 qui allonge le délai légal de l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, autorise des sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales en établissement de santé, donne la possibilité de réaliser l'IVG médicamenteuse en téléconsultation et supprime le délai légal minimum de réflexion, pour les mineures et les majeures, entre l'entretien psycho-social et le recueil du consentement.

■ De la proposition de loi au projet de loi sur l’IVG

Le 24 juin 2022, la Cour suprême des États‑Unis dans sa décision Dobbs v. Jackson women’s health organization est revenue sur la jurisprudence Roe vs. Wade de 1973, qui reconnaissait le droit à l’avortement en se fondant sur le 14e amendement. Ce revirement a pour conséquence de ne plus protéger le droit à l’avortement au niveau fédéral ; les États fédérés sont désormais compétents dans ce domaine. 

En réaction à cette décision, neuf propositions de lois ont été déposées entre fin juin et octobre 2022 sur les bureaux des assemblées françaises. Une seule a fait l’objet d’une navette : la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2022. À noter que lorsqu’une proposition de loi constitutionnelle est votée en termes identiques par les assemblées, elle fait l’objet d’un référendum (Const. 58, art. 89).

Les auteurs de cette proposition de loi souhaitaient insérer au titre VIII de la Constitution (De l’autorité judiciaire), un article 66-2 (après l’art. 66-1 sur l’interdiction de la peine de mort) rédigé ainsi : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits ». Le texte finalement adopté en séance publique à l’Assemblée nationale modifiait l’écriture de l’article 66-2 : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Les députés ont ainsi restreint le champ du texte en supprimant la contraception.

Arrivée au Sénat, la proposition est rejetée par la commission des lois le 25 janvier 2023, qui considère que la constitutionnalisation de l'IVG n'est pas de nature à garantir son effectivité. Elle est finalement adoptée lors de son examen en séance, le 1er février 2023. Toutefois, son adoption repose sur le vote d’un amendement réécrivant le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle qui insère après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, l’alinéa suivant « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Le Sénat n’ayant pas voté le texte de l’Assemblée nationale en termes identiques comme l’exige la procédure de révision constitutionnelle, la réforme était dans une impasse.

Le Président de la République reprend alors l’initiative et un projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse est déposé par le ministre de la justice à l’Assemblée nationale le 12 décembre 2023. Le texte proposé dans le projet de loi constitutionnelle est issu d’une recommandation du Conseil d’État (avis du 7 déc. 2023). En effet, le Gouvernement souhaitait insérer à l’article 34 de la Constitution la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Toutefois, le Conseil d’État a estimé « préférable, plutôt que d’insérer l’incise « qui lui est garantie », de retenir une rédaction disposant que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse », ce qui permet d’ « atteindre le double objectif recherché par le Gouvernement, d’assurer que la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse soit garantie par la Constitution et d’affirmer la compétence du législateur ».

Lorsqu’un projet de loi constitutionnelle est voté en termes identiques par les deux assemblées, le Président peut choisir soit de le présenter au référendum soit de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès, dans ce dernier cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (Const. 58, art. 89).

Le Président de la République avait exprimé son souhait de soumettre au Congrès le projet de loi constitutionnelle relatif à l’IVG. Ainsi, à la suite du vote en termes identiques par l’Assemblée nationale, le 30 janvier 2024 et par le Sénat, le 28 février 2024, le Président a convoqué le Parlement en Congrès à Versailles le 4 mars 2024 qui a voté pour la constitutionnalisation de l’IVG par 780 voix pour et 72 contre (sur 902 parlementaires, 852 se sont exprimés). Ainsi, le principe selon lequel « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’IVG » est inséré après le dix‑septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, placé entre le droit du travail, le droit syndical et la sécurité sociale dont les principes fondamentaux sont déterminés par la loi et la phrase selon laquelle « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». A noter que la notion de « liberté garantie » n’avait jamais été intégrée dans la Constitution.

Même si la question ne se pose pas pour cette réforme constitutionnelle, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel ne contrôle pas les lois constitutionnelles. En effet, le pouvoir constituant ne saurait être contrôlé, qu’il s’agisse d’une loi constitutionnelle acceptée par référendum : « Il résulte de l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale » (V. Cons. const. 6 nov. 1962, n° 62-20 DC), ou d’une loi constitutionnelle adoptée par le Congrès : « l'article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d'apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et, lorsqu'elles lui sont déférées dans les conditions fixées par cet article, des lois ordinaires ; … le Conseil constitutionnel ne tient ni de l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » (V. Cons. const. 26 mars 2003, n° 2003-469 DC).

Ainsi, la France est le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution la « liberté garantie » à une femme de recourir à un avortement ; aucun texte européen ou international ne reconnaît le droit à l’avortement.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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