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Droit des obligations
Ayants cause à titre universel : des tiers assimilés aux parties
Les héritiers du cédant des parts sociales n’étant pas des tiers, ils ne peuvent se prévaloir du défaut de publication de l'acte de cession afin de le voir déclaré inopposable à leur égard.
Civ. 1re, 21 mai 2025, n° 23-10.119
Issue du principe de l’effet relatif du contrat (C. civ., art. 1199, al. 1, 1165 anc.), la distinction des parties et des tiers semble aller de soi : les premières sont celles que le contrat oblige, les seconds regroupent tous ceux qui, étrangers à la convention, se trouvent soustraits à ses effets. Pourtant, cette distinction n’est pas aussi nette qu’il n’y paraît. L’examen du droit positif témoigne en effet de la porosité de la frontière qui sépare en principe les tiers des parties. S’il existe des tiers absolus (penitus extranei), d’autres se révèlent liés aux parties, voire même assimilés à celles-ci. Au cœur de la décision rapportée, cette dernière catégorie de tiers, assimilés aux parties, regroupe les cas où le tiers acquiert, entre le stade de formation de la convention et celui de son exécution, la qualité de partie au contrat. Ainsi en est-il principalement des ayants cause à titre universel, soit des personnes ayant vocation à recueillir tout ou partie du patrimoine du défunt, tels que ses héritiers ou légataires. Si ces tiers ne revêtent pas la qualité de partie lors de la conclusion du contrat, ils sont susceptibles d’acquérir cette qualité après le décès du contractant, ce qu’illustre la solution ici rendue au croisement du droit des successions et du droit des sociétés.
À la suite du décès de leurs parents et de difficultés survenues dans le règlement de ces successions, trois des sept enfants des défunts assignent leurs cohéritiers en partage. L’un d’entre eux reproche à l’arrêt d’appel rendu d’avoir jugé inopposable à la succession la cession de parts réalisée à son profit par son père de son vivant, faute pour lui d'avoir, en qualité de cessionnaire, manqué à son obligation de publication de cet acte de cession. La juridiction du second degré en avait déduit que l’intégralité des parts cédées devait réintégrer l'actif partageable, au même titre que les dividendes le cas échéant distribués en sa faveur du chef de ces parts depuis la cession jusqu'à la date du partage. Devant la Cour de cassation, le cessionnaire rappelle que le défaut d'accomplissement des formalités de publication de l'acte de cession de parts sociales est sanctionné par l’inopposabilité de l’acte à l’égard des tiers, sans que cette sanction puisse donc être invoquée par les parties à cet acte ; or puisque les héritiers universels qui acceptent purement et simplement la succession acquièrent la qualité de parties aux contrats conclus par leur auteur, ses cohéritiers ne peuvent en l’espèce se prévaloir de l’inopposabilité de la cession non publiée. La Cour de cassation lui donne raison. Au visa des articles 724, alinéa 1er, 1122, et 1865 du Code civil, le deuxième dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et le dernier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, elle juge que les héritiers du cédant des parts sociales n'étant pas des tiers, ils ne peuvent se prévaloir du défaut de publication de l'acte de cession par le cessionnaire afin de le voir déclaré inopposable à leur égard.
Ainsi la Cour de cassation rappelle-t-elle que l’héritier, tiers au jour de la conclusion du contrat, peut au moment de son exécution, revêtir la qualité de partie contractante. Jusqu’à la réforme du droit des contrats, cette règle était expressément prévue par l’article 1122 anc. du Code civil concernant les héritiers et légataires universels du de cujus : « on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause (…) ». Cette règle n’a pas été reprise formellement par les textes issus de l’ordonnance du 10 février 2016, mais la solution rapportée témoigne de la pérennité de la règle antérieure. Cette lacune ne conduit donc pas à modifier le principe qui en est issu, lequel constitue l’application particulière en droit des obligations des règles du droit des successions. Selon l’article 724 du Code civil figurant également au visa, les ayants cause recueillant le patrimoine du défunt sont en effet investis des droits et actions qui le composent, dont ceux naissant d’un contrat conclu par le de cujus (en l’espèce, la cession de parts sociales). Ils sont donc considérés comme des parties, et non plus comme des tiers, au jour de l’exécution de la convention, raison pour laquelle la sanction de l’inopposabilité ne peut en l’espèce être valablement invoquée par les héritiers du cédant, qui ne sont plus des tiers depuis le décès de leur père. Même non publiée, la cession litigieuse leur est donc opposable.
À noter enfin que l’ancien article 1122 du Code civil prévoyait certaines exceptions à ce principe d’assimilation des tiers (héritiers) au contractant défunt. Tel était le cas lorsqu’une clause de la convention interdisait sa transmission aux ayants cause, ou lorsque la nature même du contrat s’opposait à cette transmission. Le silence de l’ordonnance affecte-t-il la pérennité de ces solutions d’exception ? L’admission d’une clause contraire nous semble devoir toujours être admise sur le fondement de la liberté contractuelle. L’exclusion de la transmission du contrat lorsque sa nature s’y oppose, légalement prévue pour certains types de conventions comme le mandat (C. civ., art. 2003, al. 3), avait été étendue par la jurisprudence à tous les contrats intuitu personae. Il conviendra donc de voir si la disparition de leur fondement textuel modifiera ces solutions.
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