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[ 1 mars 2013 ] Imprimer

Droit administratif général

Baby et Népal : leur vie en sursis…

Mots-clefs : Référé, Arrêté préfectoral, Abattage d’animaux, Éléphant, Urgence, Doute sérieux, Caractère disproportionné de la mesure

Des doutes sérieux sur la légalité de l’arrêté préfectoral ordonnant l’abattage des deux éléphants, Baby et Népal, ont amené le Conseil d’État, statuant en référé, à suspendre cet arrêté.

Par une convention de mise à disposition, en 1999, le cirque Pinder (société Promogil) a confié temporairement les deux pachydermes, Baby et Népal, au parc animalier de la Tête d’Or à Lyon. Ceux-ci ont subi en 2010 des tests de dépistage de la tuberculose qui ont fait apparaitre une suspicion de contamination de ces éléphants. En août 2012, un autre éléphant — qui occupait un enclos contigus à celui de Baby et Népal — est contaminé par le bacille de la tuberculose et meurt. Sur le fondement de l’article L. 223-8 du Code rural et de la pêche maritime, le préfet du Rhône prend alors un arrêté (11 déc. 2012) ordonnant, dans l’immédiat, des précautions renforcées pour éviter toute contamination, puis dans un délai d’un mois, l’abattage des animaux. Par la suite, un arrêté modificatif (9 janv. 2013) portant à 70 jours le délai d’abattage est pris. Le cirque Pinder demande l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté et forme également un référé tendant à la suspension de l’exécution de la décision préfectorale dans l’attente de l’intervention du jugement au fond. L’ordonnance du tribunal administratif rejette sa demande le 21 décembre 2012. Le cirque se pourvoit alors en cassation contre cette décision et le juge des référés du Conseil d’État vient de suspendre cet arrêté le 27 février 2013.

Selon l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la suspension d’une décision administrative peut être accordée si le juge constate une situation d’urgence et estime qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la mesure. En l’espèce, le Conseil d’État estime que le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit en considérant que la condition d’urgence n’était pas remplie. En effet le juge des référés ne s’est pas interrogé sur l’efficacité des mesures d’isolement des animaux et de protection des soigneurs pour assurer la sécurité sanitaire dans l’attente du jugement au fond. Pour le Conseil d’État, la condition d’urgence est remplie. L’abattage des pachydermes entrainerait pour la société propriétaire des préjudices économiques et moraux irréversibles.

Par ailleurs, il existe également des doutes sérieux sur la légalité de la mesure d’abattage prise sur le fondement de l’article L. 223-8 du Code rural et de la pêche maritime qui constitue une mesure de police et doit être motivée en vertu de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public. La personne intéressée doit pouvoir, avant que la mesure soit prise, faire valoir ses observations. Or, l’arrêté litigieux a été pris sans respecter cette procédure contradictoire. De plus, en application de l’article R. 223-4 du Code rural et de la pêche maritime, il existe une présomption de contamination lorsque des animaux ont cohabité avec des animaux atteints de maladie réglementée. Néanmoins, le préfet dispose d’un pouvoir d’appréciation quant aux mesures à mettre en œuvre sur le fondement de l’article L. 223-8 du Code rural et de la pêche maritime.

En l’espèce, le moyen disproportionné de la mesure préfectorale d’abattage des éléphants est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté compte tenu de l’ancienneté et du caractère peu probants des tests réalisés auparavant sur Baby et Népal, de la possibilité technique d’effectuer des examens complémentaires, de l’efficacité des autres mesures prises, qui peuvent être maintenues ou renforcées, et « à l’intérêt qui s’attache à préserver, dans une mesure compatible avec la prévention des risques pour la santé publique, l’existence d’animaux rares et protégés ».

Le destin de Baby et de Népal demeure donc en suspend jusqu’à l’intervention du jugement au fond.

CE, ord., 27 févr. 2013, société Promogil, n°364751

Références

■ Article L. 521-1 du Code de justice administrative

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. 

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »

■ Code rural et de la pêche maritime

Article L. 223-8

« Après la constatation d'une maladie classée parmi les dangers sanitaires de première catégorie ou parmi les dangers sanitaires de deuxième catégorie faisant l'objet d'une réglementation, le préfet statue sur les mesures à mettre en exécution dans le cas particulier.

Il prend, s'il est nécessaire, un arrêté portant déclaration d'infection remplaçant éventuellement un arrêté de mise sous surveillance.

Cette déclaration peut entraîner, dans le périmètre qu'elle détermine, l'application des mesures suivantes :

1° L'isolement, la séquestration, la visite, le recensement et la marque des animaux et troupeaux dans ce périmètre ;

2° La mise en interdit de ce même périmètre ;

3° L'interdiction momentanée ou la réglementation des foires et marchés, du transport et de la circulation de tous les animaux d'espèces susceptibles de contamination ;

4° Les prélèvements nécessaires au diagnostic ou aux enquêtes épidémiologiques ;

5° La désinfection et la désinsectisation des écuries, étables, voitures ou autres moyens de transport, la désinfection ou la destruction des objets, des produits animaux ou d'origine animale susceptibles d'avoir été contaminés et de tout vecteur animé ou inanimé pouvant servir de véhicules à la contagion ;

6° L'obligation de détruire les cadavres ;

7° L'interdiction de vendre les animaux ;

8° L'abattage des animaux malades ou contaminés ou des animaux ayant été exposés à la contagion, ainsi que des animaux suspects d'être infectés ou en lien avec des animaux infectés dans les conditions prévues par l'article L. 223-6 ;

9° Le traitement ou la vaccination des animaux.

Le ministre chargé de l'agriculture détermine par arrêté celles de ces mesures qui sont applicables aux maladies classées parmi les dangers sanitaires de première catégorie ou parmi les dangers sanitaires de deuxième catégorie faisant l'objet d'une réglementation.

Par dérogation au premier alinéa, le préfet, sans attendre la constatation de la maladie et sur instruction du ministre chargé de l'agriculture, prend un arrêté portant déclaration d'infection qui prescrit l'application de tout ou partie des mesures prévues aux 1° à 9° du présent article lorsqu'est remplie l'une des conditions suivantes :

a) Les symptômes ou lésions observés sur les animaux de l'exploitation suspecte entraînent une forte présomption de survenue d'une maladie classée parmi les dangers sanitaires de première catégorie ;

b) Un lien est établi entre l'exploitation suspecte et un pays, une zone ou une exploitation reconnu infecté par une maladie classée parmi les dangers sanitaires de première catégorie ;

c) Des résultats d'analyses de laboratoire permettent de suspecter l'infection par une maladie classée parmi les dangers sanitaires de première catégorie. »

Article R. 223-4

« Les animaux présentant des symptômes ou des lésions évocateurs d'une maladie réglementée doivent être considérés comme suspect de la maladie considérée. 

Lorsqu'une maladie réglementée prend un caractère envahissant, tout état maladif non caractérisé doit entraîner la suspicion. Les mesures relatives à la rage relèvent dans ce cas de l'article D. 223-23.

Doivent être considérés comme contaminés les animaux qui ont cohabité avec des animaux atteints de maladie réglementée ou qui ont subi le contact d'animaux, de personnes ou d'objets qui auraient été eux-mêmes en contact avec des animaux atteints de maladie réglementée. »

■ Article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public

« Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. 

À cet effet, doivent être motivées les décisions qui :

- restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ;

- infligent une sanction ;

- subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ;

- retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ;

- opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ;

- refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ;

- refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

- rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. »

 

Auteur :C. G.

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