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Droit des obligations
Bail commercial : application immédiate de la loi nouvelle aux effets « légaux » du contrat
Par exception à la règle de survie de la loi ancienne, la loi nouvelle régit les effets futurs des baux commerciaux. Concernant les modalités de leur renouvellement, une loi nouvelle ayant substitué à l’ancienne sanction de la nullité celle, imprescriptible, du réputé non-écrit pour neutraliser les clauses ayant pour effet de tenir en échec le droit au renouvellement du preneur, s’applique immédiatement aux contrats en cours, peu important la prescription, sur le fondement de la loi ancienne, de l'action en nullité de la clause contestée à l’aune du droit nouveau.
Civ. 3e, 16 nov. 2023, n° 22-14. 091
Le 10 décembre 2002, les acheteurs d’une villa située dans une résidence touristique et vendue en l’état futur d’achèvement avaient conclu un bail commercial avec une société, pour une durée de neuf ans à compter du lendemain de l'achèvement de l'immeuble. Le bail commercial comprenait une clause de renonciation de la locataire à son droit à une indemnité d'éviction. Le 18 juin 2014, une loi a été édictée à l’effet, notamment, de substituer à la nullité des clauses des baux commerciaux ayant pour effet de faire échec au droit du locataire au renouvellement de son bail, la sanction du réputé non écrit (L. n° 2014-626 du 18 juin 2014, ayant modifié l'article L. 145-15 du code de commerce). Le 23 septembre 2014, les bailleurs ont délivré à la locataire un congé avec refus de renouvellement, à effet au 31 mars 2015, sans offre d'une indemnité d'éviction puis, le 5 avril 2015, repris possession de l'immeuble. Le 7 décembre de la même année, la locataire a assigné les bailleurs en annulation du congé et, subsidiairement, en paiement d'une indemnité d'éviction. Sur le fondement de la loi nouvelle, la cour d’appel réputa non-écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction stipulée au bail conclu en 2002, jugeant que l'action en contestation engagée par la preneuse en 2015 n'était plus soumise à l’ancienne prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce, la loi nouvelle devant régir immédiatement les effets légaux des situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur et non définitivement réalisées. Devant la Cour de cassation, les bailleurs faisaient valoir qu’une loi nouvelle ayant pour effet d’allonger le délai de la prescription ne peut avoir d’effet sur une prescription déjà acquise, en sorte que la loi nouvelle édictant une sanction imprescriptible n'est applicable qu'aux actions dont le délai de prescription biennale n'était pas déjà expiré à la date de son entrée en vigueur. En effet, le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle explique que celle-ci s’applique aux effets à venir des situations juridiques antérieurement constituées à la double condition que ces situations soient légales, et non contractuelles, et que les effets en cause ne se soient pas encore produits. Or en l’espèce, non seulement la situation juridique considérée est contractuelle, ce qui suppose en principe de lui appliquer la règle de la survie de la loi ancienne, mais les effets du contrat considérés, soit les modalités du renouvellement du bail, déjà déployés sous l’empire de la loi ancienne. La thèse des demandeurs au pourvoi est pourtant jugée non fondée. Le rejet du pourvoi s’explique par le retour, en matière de bail commercial, à l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets jugés « légaux » du contrat (§10), en sorte que la règle de la survie ancienne est écartée et qu’à l’instar d’une situation légale, ce « statut légal » attribué au bail justifie de soumettre immédiatement ses modalités à venir à la loi nouvelle.
Principe de survie de la loi ancienne aux effets futurs d’un contrat – Par exception au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle, la loi ancienne s’applique aux effets futurs du contrat en vertu de la règle de la survie de la loi ancienne. Cette règle, posée sur le fondement de la théorie des droits acquis au XIXème siècle, est depuis constamment réaffirmée par la jurisprudence, jugeant que « les effets des contrats conclus antérieurement à une loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l’empire desquelles ils ont été passés » (Civ. 3e, 3 juill. 1979, n° 77-15.552). Pour la justifier, certains arrêts se fondent sur l’ancien article 1134 du Code civil. En effet, le contrat est un acte de prévision, que les parties concluent en prenant en considération la législation qui existe au moment de sa formation. Si on appliquait la loi nouvelle aux contrats conclus avant celle-ci, qui déploient leurs effets après son entrée en vigueur, cela irait à l’encontre de la volonté des parties. Certes, cela peut conduire à une application différenciée de lois distinctes selon la date de conclusion du contrat mais en matière contractuelle, le souci d’assurer l’unité de la législation, qui fonde le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle, est moins impérieux que ne l’est l’exigence de stabilité du contrat. Dans un impératif de sécurité juridique, la loi nouvelle ne s’applique pas en principe aux effets futurs du contrat.
Aussi bien les effets d’un contrat conclu antérieurement à la loi nouvelle, tels que ceux attachés au bail en l’espèce conclu avant la loi du 18 juin 2014, demeurent-ils soumis à la loi ancienne, mais ils le sont en vertu de deux règles différentes : les effets passés le sont en vertu de la non-rétroactivité de la loi nouvelle, les effets futurs, au nom de la survie de la loi ancienne (A. Marais, Introduction au droit, 10ème éd., n° 236).
Retour à l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets futurs d’un contrat – Il est fait de plus en plus souvent exception à la règle précédente, ce qui se traduit par un retour à l’application immédiate de la loi nouvelle. Parfois imposé par le législateur, ce retour peut également être opéré par le juge. Il arrive par exemple que ce dernier attribue à la loi nouvelle une impérativité telle qu’elle justifie son application immédiate aux effets futurs d’un contrat (Com. 3 mars 2009, n° 07-16.527). Il se peut encore que le juge, pour appliquer immédiatement la loi nouvelle aux effets futurs d’un contrat, estime que le contenu du contrat est imposé par la loi avec une minutie telle que le contrat échappe aux parties pour se rapprocher d’une situation légale. Ses effets sont alors dits « légaux », en ce sens qu’ils sont fixés par la loi comme une suite du contrat, indépendamment de la volonté des parties. Empruntant à une situation légale, ces effets, qui se déploient dans le futur, échappent à la loi ancienne et se trouvent exclusivement régis par la loi nouvelle (Ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125 ; Civ. 3e, 18 févr. 2009, n° 08-13.143).
Application immédiate de la loi nouvelle aux effets légaux du bail commercial – En matière de bail commercial, la Cour de cassation considère que le droit du preneur au renouvellement du contrat a sa source dans la loi et non dans le contrat, raison pour laquelle le droit au renouvellement « se trouve, dans ses modalités demeurant à définir, affecté par la loi nouvelle, laquelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (Civ. 3e, 13 déc. 1989, n° 88-11.056 ; Civ. 3e, 18 févr.2009, n° 08-13.143). Le renouvellement du bail s’analysant comme un effet légal du contrat, peu importait donc, en l’espèce, l’antériorité de la conclusion du bail à la loi nouvelle. La Cour rappelle en ce sens avoir elle-même jugé la nouvelle sanction du réputé non-écrit immédiatement applicable aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, et l’action tendant à l’obtenir, imprescriptible (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405, §11). Dès lors, malgré la prescription de l'action en nullité de la clause attaquée, la sanction du réputé non-écrit recherchée par le preneur, en vertu de son droit au renouvellement du contrat, sur le fondement de la loi nouvelle, trouvait à s’appliquer. En effet, le congé ayant été délivré par les bailleurs le 23 septembre 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le bail litigieux était bien en cours à la date de son édiction. La cour d'appel en a exactement déduit que l'action tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction n'était pas soumise à l’ancienne prescription biennale, mais bénéficiait de l’imprescriptibilité attachée à la loi nouvelle. Partant, elle était recevable.
Références :
■ Civ. 3e, 3 juill. 1979, n° 77-15.552 :
■ Com. 3 mars 2009, n° 07-16.527 : D. 2009. 725, obs. E. Chevrier ; ibid. 2888, obs. D. Ferrier
■ Ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125 : D.1981.309, note A. Benabent
■ Civ. 3e, 18 févr. 2009, n° 08-13.143 : D. 2009. 1450, obs. Y. Rouquet, note G. Lardeux
■ Civ. 3e, 13 déc. 1989, n° 88-11.056 : D. 1990. 253, obs. L. Rozès
■ Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405, §11 : D. 2020. 2342 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 1397, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2021. 513, obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; RTD civ. 2021. 124, obs. H. Barbier
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