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Droit des obligations
Bail : contours de l’obligation de délivrance
Ne manque pas à son obligation de délivrance le bailleur tardivement informé par le preneur des désordres survenus en cours d’exécution du contrat et dont l’antériorité à la date de sa conclusion n’est pas établie.
Civ. 3e, 13 oct. 2021, n° 20-19.278
Sept ans après son ouverture, un maire avait ordonné la fermeture au public d’un local commercial accueillant un débit de boissons, restaurant et dancing, objet d’un bail commercial, des désordres affectant la charpente de l’immeuble. Sept ans plus tard, suivant l’avis de la commission de sécurité communale, le maire avait ordonné la fermeture de l’établissement au public.
Invoquant un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance, le liquidateur judiciaire du preneur avait assigné ceux-ci en résolution judiciaire du bail.
Cette demande rejetée, le preneur ainsi que son liquidateur judiciaire forment un pourvoi, soutenant que le désordre litigieux était structurel et donc préexistant à la conclusion du bail et qu’il appartient au bailleur, en exécution de son obligation de délivrance, de pourvoir à l’entretien de l’immeuble, sans avoir même à être informé par son locataire de la nécessité de travaux à effectuer.
Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation juge en effet que « 6. (s)ans préjudice de l’obligation continue d’entretien de la chose louée, les vices apparus en cours de bail et que le preneur était, par suite des circonstances, seul à même de constater, ne sauraient engager la responsabilité du bailleur que si, informé de leur survenance, celui-ci n’a pris aucune disposition pour y remédier. 7. D’une part, la cour d’appel a souverainement retenu qu’il n’était pas établi que le désordre affectant la charpente existait antérieurement à la conclusion du bail. 8. D’autre part, elle a constaté que le locataire, averti dès le mois de janvier 2013 d’une difficulté liée à l’état de la charpente, n’en avait informé les bailleurs que le 14 janvier 2015 et que ceux-ci avaient pris alors les dispositions nécessaires pour y remédier mais que le locataire n’avait tenu aucun compte de leur offre de travaux qui auraient été de nature à mettre un terme aux désordres allégués. Elle a pu en déduire que les bailleurs n’avaient pas manqué à leur obligation de délivrance pendant l’exécution du bail. »
Multiples, les obligations du bailleur (C. civ., art. 1719 à 1727) ont en commun d’être orientées vers un seul et même objectif : assurer au preneur la jouissance paisible de la chose louée. C’est dans cette perspective qu’il doit tout à la fois délivrer la chose, l’entretenir et le cas échéant, la réparer.
Au titre de son obligation de délivrance, le bailleur doit d’abord, à l’instar du vendeur dans la vente, mettre le bien loué à la disposition du locataire. Préalable indispensable à toute jouissance de la chose, et par conséquent, à toute exigibilité du loyer, cette mise à disposition constitue la première obligation du bailleur. Découlant de la nature même du contrat, cette obligation qualifiée d’essentielle ne peut être écartée par aucune clause contraire (Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439). L’objet de cette obligation réside dans la conformité de la chose délivrée à sa destination : elle doit permettre au preneur d’exercer l’activité en vue de laquelle il a pris la chose à bail. Ainsi apparaît d’emblée la distinction de l’obligation de délivrance incombant au bailleur avec celle pesant également sur le vendeur (C. civ., art. 1603). En vérité, l’obligation de délivrance du bailleur s’apparente davantage à la garantie des vices cachés qu’à l’obligation de délivrance telles qu’elles existent en matière de vente : en effet, elle s’apprécie moins par rapport aux stipulations contractuelles qu’au regard de l’usage du bien loué : de manière générale et fonctionnelle, le bailleur doit délivrer la chose « en bon état » ; plus précisément, « en bon état de réparations de toute espèce » (C. civ., art. 1720), c’est-à-dire en état de servir à l’usage convenu sans nécessité de réparations, de même que le vendeur doit garantir son acheteur des vices entravant l’usage normalement attendu du bien vendu. Contrairement à l’obligation de délivrance conforme du vendeur, qui suppose de vérifier l’identité objective de la chose livrée à la chose convenue, on ne s’en réfère pas, en matière de bail, aux spécifications contractuelles, mais à l’usage de la chose qu’on retrouve, dans la vente, en matière de garantie des vices cachés.
A ce titre, au moment de la délivrance, le bailleur doit avoir entrepris toutes les réparations, y compris les réparations locatives qui pèseront ensuite sur le preneur pendant l’exécution du bail. En ce sens, comme le rappelle ici la Cour pour juger que les bailleurs n’avaient pas, en l’espèce, manqué à leur obligation de délivrance « pendant l’exécution du bail », cette obligation se maintient pendant toute la durée du contrat : contrairement à la vente, contrat instantané, et conformément à la continuité caractéristique des obligations du bailleur, lié par un contrat à exécution successive, l’obligation de délivrance perdure au-delà de la conclusion du contrat : le bailleur ne saurait donc, en cours de bail, changer la forme de la chose louée sans l’accord de son locataire (C. civ., art. 1723), ni supprimer un élément de la chose louée (un escalier par exemple), ni à plus forte raison la détruire. Il doit également, à la différence du vendeur, la livrer en bon état d’usage et s’assurer de la permanence de cet état jusqu’au terme du contrat.
C’est ainsi que l’obligation d’entretien de la chose louée, également visée par la Cour, vient prolonger naturellement l’obligation de délivrance du bailleur : « continue », elle oblige le bailleur à « entretenir », tout au long du bail, « la chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » (C. civ., art. 1719-2). Cette obligation continue d’entretien, visant à remédier à l’usure normale de la chose louée, doit être distinguée de l’obligation de réparer imposant au bailleur d’effectuer « pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives » (C. civ., art. 1720, al. 2), mettant ainsi à sa charge les travaux rendus nécessaires par la survenance, en cours de bail, de désordres affectant, tels qu’en l’espèce, la structure ou les éléments essentiels de la chose louée (travaux de ravalement, réparation des murs et des toitures, etc…). La singularité de cette dernière obligation tient à ce qu’elle seule nécessite une information du bailleur par le preneur, tenu de lui adresser une mise en demeure d’effectuer les travaux de réparation nécessaires (Civ. 3e, 20 mars 1991, n° 89-19.866).
Or relèvent de cette obligation de réparation les vices apparus en cours de bail que le preneur, par suite des circonstances, est à même de constater. Partant, ce n’est que si le bailleur, quoique dûment informé, n’a pris aucune disposition pour y remédier qu’il engage sa responsabilité.
Ici rappelée, cette règle vient tempérer l’obligation de délivrance renforcée pesant sur le bailleur à la mesure de la bonne exécution, par le preneur, de son obligation d’information : ainsi une information tardive constitue-t-elle une faute du locataire qui, ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, peut être condamné à supporter une partie du coût de la réparation des désordres subis (Civ. 3e, 9 févr. 2005, n° 03-19.609 ; Civ. 3e, 11 déc. 1991, n° 90-17.720), ou même leur intégralité lorsqu’à cette faute s’ajoute celle liée à l’incurie du locataire, comme ce fut le cas en l’espèce, le preneur commercial n’ayant pas donné suite à l’offre de travaux que les bailleurs lui avaient adressée à l’effet de remédier aux désordres allégués.
Enfin, outre le comportement fautif du locataire, l’exigence de l’antériorité du vice à la conclusion, commune à celle requise en matière de garantie des vices cachés dans la vente, conduit également à relativiser la portée conférée à l’obligation de délivrance du bailleur : en effet, même apparu en cours d’exécution du contrat, l’antériorité du désordre à la date de sa conclusion doit être établie pour engager la responsabilité du bailleur au titre de son obligation de délivrance.
Or en l’espèce, le refus des juges de prononcer la résolution judiciaire du bail en raison des désordres apparus était motivé autant par le fait qu’après en avoir pris connaissance, le preneur avait tardé à en avertir les bailleurs, que par l’absence de preuve de l’antériorité des désordres allégués à la conclusion du bail.
Références
■ Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439 P : D. 1991. 225, note P. Ancel ; RTD com. 1990. 244, obs. B. Bouloc
■ Civ. 3e, 20 mars 1991, n° 89-19.866 P : RTD civ. 1991. 735, obs. J. Mestre
■ Civ. 3e, 9 févr. 2005, n° 03-19.609 P : D. 2005. 592 ; AJDI 2005. 380, obs. Y. Rouquet
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