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[ 4 juillet 2019 ] Imprimer

Droit de la consommation

Bail d’habitation : irrecevabilité de l’action de groupe

Le bail d'habitation ne constituant pas un contrat de fourniture de services, n'entre pas dans le champ d'application de l'action de groupe prévue par le droit de la consommation.

Soutenant qu’une société de location de logements avait inséré une clause illicite et abusive dans ses baux, une association de défense des consommateurs l’avait assignée, sur le fondement des dispositions relatives à l’action de groupe, aux fins de voir déclarer cette clause non écrite et d’obtenir sa condamnation à réparer les préjudices individuels subis par les locataires.

L’association faisait grief à l’arrêt de déclarer son action irrecevable au moyen, d’une part, qu’une association de défense des consommateurs, représentative au niveau national et agréée, peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles à l’occasion de la vente de bien ou de la fourniture de services ; or, selon cette association, le contrat de bail constitue un contrat de fournitures de services relevant, comme tel, du mécanisme de l’action de groupe et, d’autre part, qu’aucune disposition du code de la consommation n’exclut du champ d’application de l’action de groupe les préjudices subis par des consommateurs à raison des manquements commis par un professionnel à l’occasion d’un contrat de bail d’habitation. 

La Cour de cassation réfute cette argumentation, approuvant la cour d’appel d’avoir à bon droit retenu que le contrat de location d’un logement, en ce qu’il oblige le bailleur à mettre un immeuble à la disposition du locataire afin qu’il en jouisse pendant un certain temps, sans imposer au premier, à titre principal, l’exécution d’une prestation, ne constitue pas un contrat de fourniture de services, en sorte que les juges du fond en ont exactement déduit que le bail d’habitation, régi par la loi du 6 juillet 1989, n’entrait pas dans le champ d’application de l'action de groupe prévue à l'article L. 423-1, devenu L. 623-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, et qu’était dès lors irrecevable l'action de groupe engagée par l'association demanderesse au pourvoi aux fins d'obtenir la réparation de préjudices individuels subis par les locataires et ayant pour cause commune un manquement du bailleur à ses obligations légales ou contractuelles.

Selon les dispositions de l’alinéa 1er de l’article L. 423-1 du Code de la consommation, issu de la loi « Hamon » du 17 mars 2014 relative à la consommation, « (u)ne association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 411-1 peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles : 1° à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ; 2° ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Introduisant l’action de groupe en droit français, ce texte subordonne la recevabilité de celle-ci à l’existence de préjudices individuels nés de manquements commis à l’occasion de la vente ou de la fourniture de services ou de pratiques anticoncurrentielles, étant précisé qu’il appartient au demandeur qui invoque l’existence d’une fourniture de services de rapporter la preuve de celle-ci.

Par ailleurs, le contrat de fourniture de services se définit comme celui qui permet de réaliser une prestation de services au profit du consommateur qui ainsi, se procure des services à des fins non professionnelles. Il comprend comme obligation essentielle une obligation de faire, le débiteur de cette obligation s’engageant à titre principal à effectuer une activité déterminée créatrice d’utilité économique. Or cette définition implique que la qualification de ce contrat ne puisse être retenue à propos du contrat de bail d’habitation. Au sens de l’article 1709 du Code civil, « le louage de chose est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer ». Cette définition s’applique en particulier au louage d’immeuble, l’immeuble, en tant que chose, constituant l’objet du contrat. Par ce contrat, le titulaire du droit réel sur l’immeuble procure durant un certain temps à son cocontractant la jouissance de l’immeuble ou d’une partie de celui-ci, en contrepartie du paiement d’un loyer. De cette définition il résulte que le bailleur ne s’oblige pas, à titre d’obligation essentielle, à réaliser une prestation mais à mettre un bien immobilier à la disposition de son cocontractant. Le bail d’habitation ne comprend donc pas à titre principal de la part du bailleur une obligation de faire au sens, précédemment rappelé, d’une réalisation d’une activité déterminée créatrice d’utilité économique. La mise à disposition d’une bien immobilier, obligation principale du bailleur, ne saurait donc être qualifiée de fourniture de services et correspondre pour le locataire à la consommation d’un service. Par ailleurs, l’obligation essentielle du bailleur n’étant pas une prestation de services, le fait que la mise à disposition du bien immobilier s’accompagne de certains services fournis dans le cadre de charges locatives, est sans influence sur la qualification du contrat, lequel constitue un contrat de louage de choses et non de fourniture d’une prestation. 

En outre, concernant l’action de groupe prévue en droit de la consommation, elle ne pouvait être exercée à l’effet de faire supprimer la stipulation litigieuse des contrats de location en cause, le bail d’habitation, régi par la loi du 6 juillet 1989, obéissant à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation. La jurisprudence (Civ. 3e, 26 janv. 2017, n° 16-10.389, n° 15-27.688 et n° 15-25.791) a en effet posé, d’une part, un principe général, dont la portée dépasse la question de l’action de groupe, d’exclusion du droit de la consommation des préjudices et des abus susceptibles de naître de la conclusion d’un bail d’habitation et, d’autre part, soit censure le motif selon lequel « la location d’un logement est une fourniture de services, le bailleur mettant à la disposition du locataire un local en contrepartie d’un loyer » (Civ. 3e, 26 janv. 2017, n° 16-10.389, préc.), soit rend incompatible la qualité de « professionnel » propre au droit de la consommation avec celle prévue par le droit des contrats de bailleur d’habitation. Il est vrai que comprises soit dans le code civil, soit dans des textes non codifiés, les règles applicables aux contrats d’habitation ne sont pas incluses dans le code de la consommation ; de surcroît, celui-ci n’y renvoie pas et ne contient pas de dispositions traitant spécialement de droits ou d’obligations en matière de baux d’habitation. Il ne peut donc pas être contesté que le droit de la consommation n’inclut pas les clauses abusives potentiellement stipulées dans les baux d’habitation. 

Ainsi résulte-t-il de tout ce qui précède que le bail d’habitation n’entre pas dans le champ d’application de l’action de groupe.

Civ.1re, 19 juin 2019, n° 18-10.424

Références

■ Civ. 3e, 26 janv. 2017, n° 16-10.389, n° 15-27.688 et n° 15-25.791: AJDI 2017. 443, obs. N. Damas

 

Auteur :Merryl Hervieu


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