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[ 17 janvier 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Bail d’habitation : la déchéance du droit au maintien dans les lieux dépend des conditions de vie du locataire

Si le bailleur peut obtenir la déchéance du droit au maintien dans les lieux du locataire propriétaire d’un autre logement, même indécent, il incombe au juge du fond de répondre à l’argument du preneur qui fait valoir que ce logement de substitution ne répond pas à ses besoins dès lors que son occupation imposerait un changement profond dans ses conditions d’existence.

Civ. 3e, 14 déc. 2023, n° 21-21.964

L’indécence du logement de substitution dont un locataire dispose en qualité de propriétaire peut-elle avoir une influence sur son droit au maintien dans les lieux loués ? C’est à cette question que devait répondre la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté, rendu à propos d’un locataire soumis au régime de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, qui disposait d’un autre logement que celui donné à bail, dont il avait été expulsé. On rappellera qu’aux termes l’article 10, 9°, de la loi de 1948, le droit du locataire au maintien dans les lieux cesse lorsqu’il a à sa disposition, ou lorsqu’il peut recouvrer, en exerçant son droit de reprise, un autre local répondant à ses besoins et à ceux des membres de sa famille ou à sa charge, vivant habituellement avec lui depuis plus de six mois. En l’espèce, le bailleur s’appuyait précisément sur cette disposition pour faire valoir que son cocontractant, propriétaire d’un studio, pouvait être relogé dans ce local, l’existence de ce logement de substitution justifiant la déchéance de son droit au maintien dans les lieux loués. Lui donnant gain de cause, la cour d’appel confirma l’expulsion du locataire. Pour contester la déchéance de son droit au maintien dans les lieux, ce dernier argua devant la Cour de cassation de la non-conformité de son logement de substitution aux normes relatives au logement décent, ainsi que de l’inadéquation de ce logement, qui lui servait de lieu de travail, à son besoin de relogement dans un lieu d’habitation, en sorte que le congé de son bailleur lui imposerait un changement profond dans ses conditions d’existence. S’il échoue à convaincre par son premier argument, le second emporte en revanche l’adhésion de la Cour de cassation, qui prononce une censure partielle de l’arrêt pour « défaut de réponse à conclusions » (violation de l’art. 455 c. pr. civ.). 

Le premier argument tiré de l’indécence du logement est écarté par la troisième chambre civile sur le fondement du droit de propriété du demandeur. Ce dernier faisait valoir que la superficie de la pièce principale de son studio était de 8,40 m², soit moins des 9 m² requis par l’article 4 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, relatif aux caractéristiques du logement décent. Cependant, les dispositions relatives à l’obligation, pour le bailleur, de délivrer un logement décent sont applicables aux seuls logements objets d’un bail d’habitation, soit sur le fondement de la loi du 6 juillet 1989, soit sur celui de la loi de 1948, soit encore sur celui du droit commun des baux, en application de l’article 1719 du Code civil. Ici rappelée, la ratio legis de cette disposition de droit commun justifie la restriction de son champ d’application : l’article 1719 a pour seul but de protéger les locataires, et non les propriétaires d’un bien qui ne répondrait pas à ces normes. Ainsi, en l’espèce, l’indécence du logement de substitution est logiquement jugée indifférente : le locataire est propriétaire de son studio, dont il fait un usage exclusivement professionnel. Dans une telle configuration, la décence des lieux n’est légalement pas exigée.

En revanche, le second argument tiré de l’inadéquation du logement de remplacement aux besoins du locataire est accueilli en ce que la juridiction du second degré aurait dû rechercher si l'installation du locataire dans le studio dont il était propriétaire n'était pas de nature à lui imposer un changement profond dans ses conditions d'existence, en le privant de son lieu de travail, en sorte que sa déchéance du droit au maintien dans les lieux n’aurait pas lieu d’être prononcée. Sur le fondement de l'article 10-9° de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948, l’arrêt est alors censuré. La notion de besoins consacrée par ce texte vise les besoins personnels, familiaux ou professionnels du locataire. L’arrêt rapporté présente l’intérêt de rappeler la pertinence d’une ancienne jurisprudence étant venue préciser, en l’absence d’autre précision légale, que ne constitue pas, au sens de l’article 10, 9°, de la loi de 1948, un local correspondant aux besoins du locataire le logement dont l’occupation imposerait à celui-ci une modification importante de ses conditions de vie (Civ. 3e, 1er mars 1977, n° 76-12.079). Dès lors qu’en l’espèce, le locataire exerçait l’intégralité de ses activités professionnelles dans ce studio (enseignement, édition, rédaction), la cour d’appel ne pouvait donc se contenter de relever qu’au prix de quelques aménagements, il pourrait y habiter sans difficultés et y recevoir ses enfants : « en s'abstenant de rechercher en l'espèce si l'installation de M. [Y] dans le studio dont il est propriétaire n'était pas de nature à lui imposer un changement profond dans ses conditions d'existence en le privant de son lieu de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-9° de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948. » Ainsi la cour d’appel aurait-elle dû en l’espèce rechercher si l’occupation du studio à titre d’habitation principale ne constituerait pas un changement profond des conditions d'existence du locataire, en ce qu’elle le priverait de son lieu de travail. Partant, il n’était pas possible de dire que le locataire était déchu de son droit à se maintenir dans les lieux initialement loués. 

Référence :

■ Civ. 3e, 1er mars 1977, n° 76-12.079 : D. 1977. IR 234

 

Auteur :Merryl Hervieu

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