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[ 26 septembre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Bail : l’obligation d’entretien et de jouissance paisible incombant au bailleur est de résultat

Les obligations du bailleur d’entretenir la chose louée en état de servir à son usage et d’assurer la jouissance paisible du locataire ne cèdent que devant la force majeure. Pour remédier aux désordres affectant les lieux loués, le bailleur doit exécuter lui-même les travaux de reprise ou doit avancer à la locataire les sommes nécessaires à leur exécution. Les diligences du bailleur auprès du syndicat des copropriétaires ne le libèrent pas de son obligation de garantir la jouissance paisible des locaux loués. L’indemnisation du locataire doit être intégrale.

Civ. 3e, 19 juin 2025, n° 23-18.853

Obligation essentielle et caractéristique du bail, la délivrance au preneur de la chose louée (C. civ., art. 1719 1°) se décline en plusieurs obligations. L’article 1719, 2°, du Code civil oblige d’abord le bailleur à entretenir la chose louée « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » et l’article 1719, 3° fonde ensuite sa garantie d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant toute la durée du bail. L’article 1720 du même code ajoute enfin que le bailleur, tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce, doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. Or c’est dans tous ses différents aspects que l’obligation de délivrance du bailleur se trouve, dans l’arrêt rapporté, qualifiée par la Cour d’obligation de résultat. 

Au cas d’espèce, le preneur à bail commercial de plusieurs locaux avait assigné son bailleur en réparation du préjudice de jouissance subi en raison d’infiltrations provenant de la toiture d’un des locaux loués, situés dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, ainsi qu’au titre des coûts des travaux de reprise à effectuer dans les parties privatives des mêmes locaux. Concernant les travaux de reprise, le bailleur, bien qu’informé des désordres, avait refusé d’y remédier en engageant des travaux, de même qu’il n'avait pas avancé à son locataire les sommes nécessaires à leur exécution. La cour d’appel refusa toutefois d’indemniser le preneur commercial, motif pris que les désordres ne résultaient pas d’une faute imputable au bailleur. L’arrêt est cassé, la Cour de cassation jugeant que même en l’absence de faute, la responsabilité du bailleur doit être engagée dans tous les cas où des réparations s’imposent, sauf celui tiré de la force majeure. En effet, la Cour précise que le bailleur est tenu d’exécuter les travaux lui incombant « sauf pendant le temps où la force majeure l’empêcherait de faire ce à quoi il s’est obligé ». Or c’est le propre d’une obligation de résultat que d’engager la responsabilité du débiteur malgré son absence de faute. Cette qualification concerne non seulement l’obligation du bailleur d’entretenir la chose louée (art. 1719, 2° ; v. déjà, Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 20-12.821) mais également celle, qui la complète et la renforce, d’effectuer toutes les réparations nécessaires (C. civ., art. 1720). La Cour de cassation relève en conséquence qu’informé des désordres, le bailleur se devait d’y remédier et qu’à défaut d’exécuter lui-même les travaux de reprise de la toiture, il était a minima tenu d’avancer au preneur les sommes nécessaires à leur réalisation. Ayant manqué à chacune de ces obligations, sa responsabilité doit donc être engagée, nonobstant son absence de faute. La Cour poursuit ensuite son entreprise de qualification concernant la garantie de jouissance paisible, prévue à l’article 1719, 3°, du Code civil, en vertu de laquelle le locataire demandait également réparation. Les infiltrations provenant des parties communes de l’immeuble, le bailleur était en conséquence tenu de saisir le syndic de la copropriété dans les meilleurs délais, ce qu’il avait au contraire tardé à faire. La cour d’appel l’avait alors condamné à indemniser partiellement le preneur, à raison de cette exécution tardive. Cependant, le locataire estimait que son préjudice de jouissance aurait dû être intégralement réparé, soit même après que le syndic de la copropriété eut été saisi par le bailleur puis fait cesser le trouble. La Cour de cassation lui donne raison en décidant que « les diligences accomplies (par le bailleur) pour obtenir du syndicat des copropriétaires la cessation d’un trouble ayant son origine dans les parties communes de l’immeuble ne (le) libèrent pas de son obligation de garantir la jouissance paisible des locaux loués », obligation qui « ne cesse qu’en cas de force majeure » (v. déjà Civ. 3e, 29 avr. 2009, n° 08-12.261) si bien qu’en l’espèce, le locataire devait, en l’absence de force majeure caractérisée, être intégralement indemnisé. Ainsi, même si la cessation du trouble ne dépendait pas du bailleur, mais de la copropriété, il ne s’agissait pas d’un cas de force majeure à même de libérer le bailleur de son obligation de garantir la jouissance paisible des locaux loués. Cette référence renouvelée à la force majeure comme seul moyen de défense mis à la disposition du bailleur ayant manqué à son obligation de garantir la jouissance paisible des lieux commande de retenir la qualification d’obligation de résultat qui, rappelons-le, engage la responsabilité du débiteur, même non fautif, dès lors que ce dernier n’a pas atteint le résultat promis au créancier, sauf cas de force majeure. Quand bien même son comportement serait irréprochable, le bailleur qui n’a pas exécuté son obligation de délivrance et de jouissance paisible doit donc indemniser intégralement le préjudice subi par son cocontractant, à moins de rapporter la preuve, dont on connaît la difficulté, que l’inexécution provient d’un cas de force majeure. 

La rigueur de cette solution pour le bailleur est néanmoins tempérée par l’obligation faite au preneur occupant les lieux affectés par les désordres d’en informer son cocontractant : la responsabilité du bailleur ne peut en effet être engagée qu’à la condition d’avoir été préalablement informé des désordres (8), ce qui était le cas en l’espèce et justifie l’engagement de la responsabilité contractuelle du bailleur commercial.

Il est enfin à noter que le bail comportait une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse et dont le locataire avait demandé l’annulation. La Cour de cassation rappelle, conformément à une jurisprudence acquise, l’irrégularité d’une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681 ; Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 17-40.069 ; Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 19-23.038) et la nécessité d’ajuster dans ce cas la sanction, compte tenu de l’autonomie de cette stipulation. Elle décide ainsi, à la suite des juges du fond, que « seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite et non la clause en son entier, sauf cas d’indivisibilité » (v. déjà Civ. 3e, 12 janv. 2022, n° 21-11.169 ; Civ. 3e, 4 juill. 2024, n° 23-13.285). En l’espèce, la cour d’appel avait estimé que l’on pouvait faire abstraction, dans la clause d’indexation, des mots « uniquement à la hausse », tout en laissant subsister le reste de la clause, ce qu’approuve la Haute juridiction.

Références :

■ Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 20-12.821 : AJDI 2022. 121, obs. S. Andjechaïri-Tribillac

■ Civ. 3e, 29 avr. 2009, n° 08-12.261 : D. 2009. 1481, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2010. 1168, obs. N. Damas ; AJDI 2009. 875, obs. V. Zalewski

■ Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681 D. 2016. 199, obs. Y. Rouquet ; ibid. 1613, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2016. 365, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. 157, point de vue J.-P. Dumur ; RTD com. 2016. 56, obs. J. Monéger

■ Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 17-40.069 D. 2018. 1511, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2018. 598, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Constitutions 2018. 67, chron. G. Valdelièvre et J. Barthélemy

■ Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 19-23.038 : D. 2021. 1285 ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; AJDI 2022. 119, obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2022. 35, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; RTD civ. 2021. 635, obs. H. Barbier ; RTD com. 2021. 771, obs. F. Kendérian

■ Civ. 3e, 12 janv. 2022, n° 21-11.169 D. 2022. 70 ; ibid. 1375, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2022. 200, obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon

■ Civ. 3e, 4 juill. 2024, n° 23-13.285 

 

Auteur :2Merryl Hervieu


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