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Droit des obligations
Bail rural sous seing privé : conditions de sa force probante et de son opposabilité
Un bail rural souscrit par acte sous signature privée n’est valable qu’à la condition d’avoir été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties et n’est opposable aux tiers que sous la réserve d’avoir été enregistré.
Après que le propriétaire d’une exploitation viticole eut été placé en liquidation judiciaire et une société spécialement désignée en qualité de liquidateur, une ordonnance avait autorisé celle-ci ainsi que le fils du débiteur à entretenir le vignoble. Une seconde ordonnance ayant ordonné la mise en vente du domaine sur adjudication, le bien ayant été adjugé à un tiers créancier, la société liquidatrice et le fils du propriétaire avaient alors saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en reconnaissance d’un bail que le père viticulteur aurait consenti à son fils sur une parcelle par acte sous seing privé dix ans avant la mise en liquidation de son exploitation, ainsi qu’en qualification de bail rural, la mise à disposition de la société liquidatrice de l’ensemble du fonds. La cour d’appel jugea l’acte sous seing privé allégué inopposable au liquidateur et à l’adjudicataire, et refusa en conséquence à la société comme au fils du débiteur la qualité de preneur à bail de la propriété viticole.
Ces derniers formèrent un pourvoi en cassation, rejeté par la Cour au motif, d’une part, que les actes sous seing privé n’étant valables que s’ils ont été faits en autant d’originaux qu’il y a de parties et qu’ils n’ont date certaine contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, la cour d’appel a exactement déduit du contrat invoqué, établi en un seul exemplaire et dépourvu d’enregistrement, que cet acte était inopposable au liquidateur et à l’adjudicataire de l’immeuble, d’autant que les autres éléments produits pour corroborer l’engagement n’établissaient pas la preuve de la qualité de locataire du fils, ni celle de l’antériorité de la mise à disposition dont il se prévalait ; d’autre part, elle juge que la reprise temporaire d’une exploitation agricole en liquidation judiciaire, autorisée par un juge-commissaire, excluait la conclusion d’un bail statutaire et que la preuve de celui-ci ne pouvait résulter du seul entretien des parcelles en l’absence de contrepartie à titre onéreux et, en outre, que le fils de l’exploitant n’ayant pu établir qu’il avait réglé un quelconque fermage à quelque moment que ce soit et dont certaines déclarations de récolte avaient été modifiées a posteriori, en sorte que la preuve qu’il se fut, ainsi que la société liquidatrice, acquitté de charges supplémentaires n’était pas davantage rapportée, la cour d’appel en avait une nouvelle fois exactement déduit qu’aucun d’entre eux n’avait la qualité de fermier.
Les articles 1714 à 1716 du Code civil ne posent aucune règle concernant la preuve du bail rural écrit. Il en résulte que celle-ci est soumise au droit commun de la preuve des actes juridiques. Ainsi le document écrit susceptible de prouver l’existence du bail peut-il emprunter la forme notariée, celle de l’acte authentique, ou bien seulement être passé sous seing privé. Dans ce dernier cas, celui de l’espèce, l’article 1375 nouveau du Code civil (anc. art. 1325) s’applique. Sont donc exigés « autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct ». L’inobservation de cette règle propre aux contrats synallagmatiques - la mention du double original, n’entraîne pas la nullité de la convention elle-même ; l’acte juridique conserve toute sa force obligatoire. L’absence de double original prive en revanche l’écrit de son efficacité probatoire : irrégulier, le document ne pourra donc valablement constituer la preuve préconstituée exigée par la loi (Civ. 3e , 26 juin 1973, n° 72-11.562). Comme le rappelle ici la Cour, cet acte pourra néanmoins être utilisé comme commencement de preuve par écrit ; il suffira alors de le compléter en ayant recours aux témoignages et présomptions autorisés par l’article 1362 nouveau du Code civil (anc. art. 1347).
En l’espèce, l’acte litigieux n’avait été établi qu’en un seul exemplaire alors qu’il liait deux contractants. La formalité du double original n’ayant pas été respectée, cet acte était dépourvu de toute force probante. De surcroît, les éléments susceptibles de compléter ce qui constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit n’étaient pas en l’occurrence suffisants pour emporter la conviction du juge dès lors qu’ils contredisaient le principe, applicable aux actes juridiques, selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même puisqu’en effet, les déclarations versées aux débats reposaient uniquement sur la base des assertions de l’un des demandeurs, le fils du propriétaire.
Aussi, l’acte litigieux n’avait-il été enregistré auprès d’aucun service, fiscal ou douanier, ce qui le rendait, en raison de l’incertitude de la date en résultant, inopposable à l’acquéreur du fonds, adjudicataire.
Enfin, la seconde partie de l’attendu se fonde plus spécialement sur les dispositions du code rural, en particulier sur son article L. 411-1, relatif à toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole, ainsi que sur celui qui le suit, l’article L. 411-2, prévoyant des réserves à la liberté d’exploitation contenue dans le texte précédent, lequel n’est toutefois pas d’ordre public. Ainsi ce dernier texte précise-t-il notamment que les dispositions de l’article L. 411-1 ne sont pas applicables aux conventions conclues en application de dispositions législatives particulières. Or tel est le cas lorsque, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le juge commissaire autorise une reprise d’exploitation temporaire puisque, du fait de la procédure de liquidation judiciaire en cours, la mise à disposition d’un terrain agricole ne peut être que provisoire, excluant l’application du statut du fermage ou du métayage. La jurisprudence est sur ce point constante, le bénéficiaire de cette mise à disposition ne pouvant revendiquer l’application du statut du fermage (Civ. 3e, 11 janv. 2006, n° 04-18.710). En outre, la preuve d’un bail statutaire, laquelle ne peut être rapportée que par écrit (C. rur., art. L. 411-4), ne pouvait être valablement établie par les seuls éléments, purement factuels et controversés, versés aux débats.
Civ. 3e, 31 mai 2018, n° 16-25.827
Références
■ Civ. 3e , 26 juin 1973, n° 72-11.562 P
■ Civ. 3e, 11 janv. 2006, n° 04-18.710 P: AJDI 2006. 209
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