Actualité > À la une
À la une
Droit de la responsabilité civile
Bâtiments en ruine : articulation des responsabilités spéciale et générale du fait des choses
Le propriétaire d’un bâtiment n’est responsable que du dommage causé par sa ruine. En l’absence de ruine du bâtiment, la victime du dommage causé par l’édifice garde néanmoins la possibilité d’obtenir l’indemnisation de son préjudice sur le fondement du droit commun de la responsabilité du fait des choses.
Civ. 2e, 15 févr. 2024, n° 22-20.025
La reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses par la jurisprudence n’en laisse pas moins subsister les régimes spéciaux instaurés par le Code civil ou par des lois postérieures, bien que les projets de réforme de la responsabilité civile en prévoient la suppression. Pour l’heure, en application de l’adage specialia generalibus derogant (ce qui est spécial déroge à ce qui est général), la chose régie par un texte spécial échappe par principe au champ d’application du régime général issu de la responsabilité du fait des choses (fondé par les juges sur l’ancien article 1384 du Code civil ; v. art. 1242, al. 1, nouv.). Tel est le cas, au-delà des accidents de la circulation et de la responsabilité du fait des produits défectueux, soumis à des régimes spéciaux depuis des lois récentes, de la responsabilité du fait des animaux et de celle du fait des bâtiments en ruine, spécialement prévues, dès 1804, par le Code civil. Fondé sur l’article 1244 du code civil, ce dernier cas de responsabilité spéciale du fait des choses, à la charge du propriétaire de l’édifice à l’origine du dommage causé par sa ruine, se trouve au cœur de l’arrêt rapporté, qui tempère la règle hiérarchique qui précède en précisant l’articulation de ce texte de droit spécial avec la responsabilité générale du fait des choses : lorsque manque une condition d’application du texte de l’article 1244, la victime du fait dommageable du bâtiment garde néanmoins la possibilité d’obtenir la réparation de son préjudice sur le fondement du droit commun de la responsabilité du fait des choses (C. civ., art. 1242, al. 1).
Au cas d’espèce, un couple de propriétaires, invoquant que la dégradation de leur immeuble résultait du défaut d'entretien de l'immeuble mitoyen, dont la toiture présentait des défauts d'étanchéité, avait assigné le propriétaire de ce bâtiment en indemnisation de leur préjudice. Ce dernier fut condamné en appel sur le fondement de l’article 1244 du Code civil, qui prévoit la responsabilité du propriétaire du bâtiment dont la ruine a causé le dommage. Ce régime spécial de responsabilité du fait des choses fut ainsi jugé applicable au cas d’espèce malgré l’absence de ruine du bâtiment. C’est précisément le défaut de cette condition d’engagement de la responsabilité du propriétaire que le demandeur au pourvoi dénonçait devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pour contester sa condamnation à réparer le préjudice subi par ses voisins. Il rappelait en ce sens que la responsabilité spéciale du fait des bâtiments en ruine suppose avant tout d’établir l’état de ruine du bâtiment ; ce n’est en effet qu’une fois cette condition établie qu’il convient de démontrer, ensuite, que cette ruine avait pour origine un défaut d’entretien. Or la cour d’appel a jugé le défaut d’entretien de la toiture du bâtiment suffisant pour engager sa responsabilité en qualité de propriétaire, considérant à tort que ce défaut entrait dans la notion légale de ruine d’un bâtiment, quand le défaut d'entretien ne constitue pas un critère de l'état de ruine du bâtiment mais une condition de l'engagement de la responsabilité du propriétaire une fois seulement la ruine du bâtiment démontrée. La Cour de cassation devait donc répondre à la question de savoir si la dégradation partielle d’un immeuble consécutive à un défaut d’entretien peut équivaloir à la ruine d’un bâtiment, sans même qu’une destruction totale ou partielle de l’édifice puisse être observée. Dans un premier temps, elle rappelle dans un sens conforme à la thèse du pourvoi que l’article 1244 du Code civil vise spécialement la ruine d’un bâtiment, laquelle suppose la chute d’un élément de construction. Il est en effet acquis que pour être réparé, le dommage causé par le bâtiment doit nécessairement être dû à sa ruine, soit à la destruction totale ou partielle de l’édifice – chute d’une partie de la construction ou de tout élément immobilier ou mobilier qui y est incorporé. En outre, cette ruine doit elle-même, toujours aux termes de l’article 1244, trouver son origine dans un défaut d’entretien ou dans un vice de construction (v.v déjà l’arrêt Teffaine, Civ. 16 juin 1896, S.1897.1.17). En l’absence de toute destruction, même partielle, du bâtiment, la Cour refuse donc en l’espèce de caractériser cette notion de ruine, qu’elle a coutume d’interpréter strictement (Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-16.766). Elle engage néanmoins la responsabilité du propriétaire, mais sur le fondement du droit commun de la responsabilité des choses. Elle rappelle en effet, dans un second temps, que « les dommages qui n’ont pas été causés dans de telles circonstances peuvent néanmoins être réparés sur le fondement de l'article 1242, alinéa 1er, du même code qui édicte une présomption de responsabilité du fait des choses » (sur ce point, v. S. Porchy-Simon, Droit des obligations, Dalloz, 2024, n° 797s.). Par ce motif de pur droit, elle juge le propriétaire responsable en sa qualité de gardien de l’immeuble dont la toiture est à l’origine du dégât des eaux subi par les défendeurs. Ainsi, en l’absence de chute d’un élément de construction ou de destruction totale de l’édifice, la notion de ruine ne peut être retenue et la responsabilité spéciale de l’article 1244 du Code civil ne peut par conséquent incomber au propriétaire du bâtiment. Toutefois, la victime du dommage causé par le bâtiment autrement que par sa ruine conserve la possibilité d’obtenir l’indemnisation de son préjudice par le propriétaire mais en sa qualité de gardien de l’immeuble, sur le fondement du droit commun de la responsabilité des choses (C. civ., art. 1242, al.1).
Dans l’hypothèse d’un conflit entre plusieurs textes prévoyant une responsabilité du fait des choses, celui-ci doit donc en théorie être résolu par l’application de l’adage specialia generalibus derogant. Cependant, en cas d’inapplicabilité du texte de droit spécial, un retour au régime général de la responsabilité du fait des choses, fondé sur l’article 1242, al. 1er, peut être opéré à la condition, au demeurant essentielle, que le dommage de la victime ait bien été causé par le fait de cette chose (en l’espèce, l’immeuble mitoyen à l’origine du dégât des eaux).
Notons enfin que dans l’hypothèse où aucun régime de responsabilité du fait des choses ne se révélerait applicable, la victime peut toujours agir contre le gardien sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil. Mais elle doit alors nécessairement prouver sa faute.
Références :
■ Civ. 16 juin 1896, S.1897.1.17
■ Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-16.766 : D. 2010. 413, obs. I. Gallmeister, note B. Duloum ; RTD civ. 2010. 115, obs. P. Jourdain
Autres À la une
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une