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Baux commerciaux : nouvelles précisions sur les conditions d’application de la loi nouvelle à la clause résolutoire
Une clause résolutoire insérée dans un bail commercial prévoyant un délai inférieur à un mois après commandement resté infructueux a pour effet de faire échec aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-41 du Code de commerce et doit être réputée non écrite en application de l'article L. 145-15 du même Code si le bail est en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014. Dès lors que l'instance, ayant pour objet de faire constater l'acquisition d'une clause résolutoire dont la validité est contestée au regard de cette loi, est en cours, les effets du commandement délivré au visa de cette clause ne sont pas définitivement réalisés, de sorte que la validité de la clause doit être appréciée au regard de cette loi nouvelle.
Civ. 3e, 6 nov. 2025, n° 23-21.334
Par la décision rapportée, la Cour de cassation revient sur l’application de la loi Pinel dans le temps (L. n° 2014-626 du 18 juin 2014), concernant la modification apportée à l’article L. 145-15 du Code de commerce, cette loi ayant substitué à la nullité des clauses contraires au statut mentionnées dans cette disposition, la sanction de la réputation non écrite : « Sont réputés non écrits, (au lieu de « Sont nuls et de nul effet »), quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec aux dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce ». De la version de ce texte applicable au litige découlait la recevabilité de la demande du locataire à voir éradiquer la clause résolutoire litigieuse par la sanction du réputé non-écrit : alors que l’action tendant à voir déclarer nulle une clause résolutoire se prescrit dans un délai de deux ans à compter de la signature du bail (Civ. 3e, 6 juin 2019, n° 18-13.665), l’action tendant à voir constater le caractère non écrit d’une telle clause n’est pas soumise à la prescription (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405).
Au cas d’espèce, la clause résolutoire figure dans un bail commercial conclu le 26 juillet 2001 et tacitement prorogé à compter du 1er août 2010. Le contrat prévoit que la clause résolutoire sera mise en œuvre dans un délai de 15 jours suivant une sommation d’exécuter restée infructueuse, contrairement aux dispositions d’ordre public de l’article L.145-41 du Code de commerce, obligeant au respect d’un délai d’un mois (« Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai »). Le 19 juin 2013, la locataire sollicite le renouvellement du bail, qui lui est refusé sans indemnité d’éviction le 17 septembre suivant par les bailleurs, ces derniers ayant entre-temps fait délivrer, le 5 juillet 2013, un commandement visant la clause résolutoire et sommant la locataire de mettre fin, dans un délai d’un mois, aux manquements contractuels reprochés. Le 15 septembre 2015, la locataire assigne en paiement de l'indemnité d'éviction les bailleurs, lesquels demandent, à titre reconventionnel, la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire. En réponse à la demande reconventionnelle des bailleurs visant à la résiliation de plein droit du bail commercial, la locataire soutient que la clause résolutoire litigieuse doit être réputée non écrite et qu’elle ne peut valablement fonder une telle résiliation. Les bailleurs lui opposent qu’elle ne peut se prévaloir de la sanction du réputé non-écrit de l’article L. 145-15 du Code de commerce, issue de la loi du 18 juin 2014, puisque le bail a été signé antérieurement à cette réforme en sorte que seule la nullité de cette clause pouvait, sur le fondement du droit ancien, être recherchée si l’action en annulation n’était pas déjà prescrite (depuis les deux ans suivant la conclusion du bail).
La cour d’appel constate la résiliation de plein droit du bail à compter du 5 août 2013, passé le délai d’un mois suivant le commandement visant la clause résolutoire. Pour écarter la sanction du réputé non-écrit sollicitée par la locataire, les juges du fond retiennent que le commandement du 5 juillet 2013 a été délivré avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel, de sorte que seule la nullité de la clause du bail prévoyant un délai de 15 jours était encourue aux termes de la législation alors en vigueur, la demande de ce chef étant prescrite en application de la prescription biennale. La juridiction du second degré conclut que la demande de la locataire tendant à faire sanctionner cette clause par le réputé non écrit, sanction qui a été instaurée par la loi du 18 juin 2014 à l’article L. 145-15 du Code de commerce et inapplicable en l’espèce, ne peut être que rejetée.
Dans son pourvoi, la locataire reproche à la cour d’appel d’avoir écarté la sanction du réputé non écrit alors que l’antériorité à la loi nouvelle de la délivrance du commandement est une circonstance indifférente, puisque l'article L. 145-15 du Code de commerce nouveau, ayant substitué à la nullité des clauses illicites leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours dans les instances introduites, tel qu’en l’espèce, après la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle fixée, au regard du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle énoncé à l’article 2 du Code civil et en l’absence de toutes dispositions expresses, au lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel, soit le 20 juin 2014. Le pourvoi renvoie ainsi à plusieurs arrêts par lesquels la troisième chambre civile a rendu la loi nouvelle du 18 juin 2014 applicable aux baux en cours (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405; Civ. 3e, 21 avr. 2022, n° 21-10.375), conformément au principe jurisprudentiel découlant de l’article 2 précité, énoncé à l’occasion des contentieux suivant les modifications apportées au statut des baux commerciaux issues des lois du 6 janvier 1986 (Civ. 3e, 16 déc. 1987, n° 86-13.986), du 11 décembre 2001 (Civ. 3e, 18 févr. 2009, n° 08-13.143) et du 4 août 2008 (Civ. 3e, 3 juill. 2013, n° 12-21.541), et consacré par l’arrêt rendu sur question prioritaire de constitutionnalité du 8 juillet 2019, selon lequel « la loi nouvelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (Civ. 3e, 8 juill. 2021, n° 20-17.691). La thèse du pourvoi fait plus particulièrement écho à un arrêt du 16 novembre 2023 dans lequel la troisième chambre a précisé que « quand bien même la prescription de l'action en nullité des clauses susvisées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours. » (n° 22-14.091). Cependant, dans cette espèce, si le bail avait été conclu et s’était prorogé tacitement avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, le congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction, fondé sur la clause litigieuse de renonciation au bénéfice d’une telle indemnité, avait été délivré postérieurement au 20 juin 2014. Le bail était donc toujours en cours au jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle sanction. En outre, dans un arrêt rendu le même jour, la troisième chambre civile a clarifié la portée de l’arrêt précité en confirmant l’inapplication de la loi nouvelle aux baux ayant pris fin avant l’entrée en vigueur de cette loi sans ouvrir de droit au renouvellement au locataire. (Civ. 3e, 16 nov. 2023, n° 22-14.089).
Au cas d’espèce, il s’agit donc de savoir si le bail prorogé du 26 juillet 2001, dont la locataire avait sollicité le renouvellement le 19 juin 2013 (qui lui a été refusé par les bailleurs le 17 septembre 2013) et pour lequel les bailleurs ont fait délivrer, le 5 juillet 2013, une sommation comportant un commandement visant la clause résolutoire , était encore en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, sachant que l’instance a été introduite postérieurement à cette entrée en vigueur. En d’autres termes, les effets juridiques de la clause résolutoire mise en œuvre par la délivrance du commandement de payer étaient-ils définitivement réalisés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Pinel nouvelle ?
À cette question, la troisième chambre civile répond par la négative : « Dès lors que l'instance, ayant pour objet de faire constater l'acquisition d'une clause résolutoire dont la validité est contestée au regard de cette loi, est en cours, les effets du commandement délivré au visa de cette clause ne sont pas définitivement réalisés, de sorte que la validité de la clause doit être appréciée au regard de cette loi nouvelle. » (pt n°9). La formule est remarquable en ce qu’elle induit que même en cas de résolution conventionnelle, l’intervention du juge reste nécessaire pour que la résolution du contrat, a priori extra-judiciaire, prenne effet. L’affirmation n’allait donc pas de soi concernant la clause résolutoire qui, a contrario de la résolution judiciaire, tente d’ôter au juge son rôle central traditionnel pour le conférer aux parties. Rappelons en effet que la clause résolutoire a pour finalité de mettre fin aux relations contractuelles en cas de manquement du preneur à l’une de ses obligations sans conférer au juge un pouvoir souverain d’appréciation de la gravité du manquement. Ainsi, le juge n’a pas à prononcer la résiliation du bail. Il doit simplement constater une résiliation qui est en principe intervenue en vertu de la clause et en dehors de son intervention. L’objectif visé par cette clause est d’obtenir une résiliation rapide du bail. Si l’on s’attache à cette finalité, dès lors que le commandement a été régulièrement délivré en application de la clause, le seul établissement de l’inexécution de l’obligation visée dans le commandement entraînant la résiliation automatique du bail, les effets juridiques de la clause résolutoire doivent être considérés comme définitivement réalisés à l’issue du délai d’un mois suivant sa délivrance. C’était en l’espèce l’analyse retenue par les juges du fond, ayant en ce sens jugé que le bail commercial n’était plus en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, puisque la locataire n’ayant pas mis fin au manquement reproché dans le commandement visant la clause résolutoire délivré le 5 juillet 2013, le bail avait définitivement pris fin, sans droit au renouvellement, un mois après, soit le 5 août 2013.
Cette analyse est censurée par la Cour qui, pour atteindre le double objectif recherché par le législateur de suppression de l’illicite et de protection de l’ordre public légal, confirme la perte progressive du caractère automatique de la clause résolutoire, par l’action conjuguée du législateur et du juge (v. not. à propos de l’octroi de délais par le juge, C.com., art. L.145-15, al. 2 et la jurisprudence rendue en application de ce texte, Rapport, p.19). La solution ici rendue renforce le constat que la clause résolutoire ne peut désormais être pleinement efficace qu’après une action contentieuse du bailleur pour faire constater par le juge qu’elle a produit tous ses effets. Les effets juridiques de la clause résolutoire ne sont donc pas définitivement réalisés à l’issue du délai d’un mois suivant la délivrance du commandement demeuré infructueux : l’intervention du juge reste nécessaire pour que celle-ci prenne plein effet. Dès lors, en cas de délivrance d’un commandement visant la clause résolutoire et d’écoulement du délai d’un mois antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 mais de procédure postérieure au 20 juin 2014, les effets juridiques de la clause résolutoire ne sont pas définitivement réalisés au jour où le juge statue sur l’acquisition de la clause résolutoire : le preneur peut donc se prévaloir des dispositions de l’article L.145-15 du Code de commerce dans leur rédaction issue de cette loi, pour voir réputée non écrite la clause résolutoire litigieuse.
Références :
■ Civ. 3e, 6 juin 2019, n° 18-13.665 : AJDI 2019. 624
■ Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405 : D. 2020. 2342 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 1397, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2021. 513, obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; RTD civ. 2021. 124, obs. H. Barbier
■ Civ. 3e, 21 avr. 2022, n° 21-10.375 : AJDI 2022. 673, obs. J. Mazure ; Rev. prat. rec. 2023. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon
■ Civ. 3e, 16 déc. 1987, n° 86-13.986
■ Civ. 3e, 18 févr. 2009, n° 08-13.143 : D. 2009. 1450, obs. Y. Rouquet, note G. Lardeux
■ Civ. 3e, 3 juill. 2013, n° 12-21.541 : D. 2013. 1742, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2014. 1659, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2014. 34, obs. J.-P. Blatter
■ Civ. 3e, 8 juill. 2021, n° 20-17.691 : AJDI 2022. 123, obs. J.-P. Blatter
■ Civ. 3e, 16 nov. 2023, n° 22-14.089 : AJDI 2024. 124, obs. J.-P. Blatter
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