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[ 11 avril 2019 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Bébé secoué : quelles indemnisations ?

Une victime présentant des syndromes graves de type « bébé secoué » doit être indemnisée des préjudices multiples et distincts en résultant, en sorte que la cour d’appel qui les avait pour l’essentiel confondus et inclus dans le déficit fonctionnel permanent doit être censurée.

A la suite de maltraitances et de son hospitalisation en urgence, consécutive à celles-ci, un nourrisson avait présenté divers traumatismes corporels dont il avait conservé d'importantes séquelles. Après le dépôt d’une plainte classée sans suite, ses parents avaient, quatre ans après les faits, saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI) d'une demande d'indemnisation de leurs préjudices.

Sur la base d’une expertise ayant conclu que les lésions présentées par la victime étaient imputables à des violences de type « bébé secoué », la cour d’appel se prononça sur les multiples préjudices dont l’indemnisation était demandée. Sa décision est presque intégralement censurée par la Cour de cassation.

La cour d’appel avait tout d’abord rejeté la demande d'indemnisation au titre de l'incidence professionnelle en considérant que « la privation de toute activité professionnelle est d'ores et déjà prise en compte par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent (DFP), fixé en tenant compte du très lourd handicap imputable à l'infraction ». Les demandeurs au pourvoi avaient alors invoqué le moyen que l'incidence professionnelle ayant pour objet d'indemniser la réparation des incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, ce poste de préjudice devait faire l'objet d'une indemnisation propre, y compris pour les jeunes victimes qui ne sont pas encore entrées dans la vie active, sans être confondu avec le déficit fonctionnel permanent, qui n'est relatif qu'aux incidences permanentes du dommage corporel subi sur les fonctions du corps humain. Sur ce point, la Haute cour confirme l’analyse des juges du fond qui, après avoir fixé par voie d'estimation la perte de gains professionnels futurs de la victime, liée à l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle, ont exactement relevé que ce préjudice était pris en charge au titre du DFP, lequel inclut la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, pour en déduire à bon droit qu'il n'y avait pas lieu de retenir l'existence d'une incidence professionnelle distincte de la perte de revenus déjà indemnisée. Le déficit fonctionnel permanent (DFP) est le préjudice qui découle d'une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi par la victime a une incidence sur les fonctions du corps humain, se traduisant par une atteinte à son intégrité physique et psychique (AIPP) mais excluant le retentissement professionnel de ce déficit lequel entre, quant à lui, dans un poste de préjudice distinct, quoique également, permanent, qualifié d'incidence professionnelle (IP). Ce dernier correspond aux séquelles qui restreignent les possibilités professionnelles ou entravent l'activité professionnelle antérieure, en la rendant plus fatigante ou pénible. Il a pour objet d'indemniser non la perte de revenus mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme la dévalorisation de la victime sur le marché du travail, l'augmentation de la pénibilité de son emploi imputable au dommage ou même l'obligation de renoncer à la profession qu'elle exerçait au profit d'une autre. Or en l’espèce, il ne pouvait être considéré que la victime subirait quelconque incidence périphérique du dommage relative à la sphère professionnelle dès lors qu'il était acquis qu’elle n’aurait jamais la possibilité d'exercer un emploi en raison du handicap survenu dans les suites immédiates de sa naissance, en sorte que l’indemnisation de son préjudice par le biais du déficit fonctionnel était suffisante au regard du principe de réparation sans perte, mais également sans profit, pour la victime. 

En revanche, la Haute cour censure l’analyse des juges qui avaient rejeté la demande d'indemnisation au titre du préjudice scolaire, universitaire ou de formation, au motif que l'impossibilité pour celui-ci de prétendre à un cursus scolaire ou professionnel était d'ores et déjà prise en compte par l'indemnisation du DFP alors même qu’il constitue, affirme la deuxième chambre civile, un poste de préjudice distinct. Précisons que l'indemnisation de ce préjudice spécifique, qui ne peut être allouée qu’après la consolidation médico-légale de la victime, vise à indemniser la perte d'années d'études, un retard scolaire ou de formation, la modification de l'orientation professionnelle, la renonciation à une formation, ce préjudice s'appréciant in concreto, en fonction de sa durée actuelle et prévisible, des résultats scolaires antérieurs, du niveau des études poursuivies, ou encore de la chance de terminer une formation entreprise. Plus spécialement, lorsque la victime n'a ou ne pourra, comme en l’espèce, jamais mener d'études, l’indemnisation de ce préjudice a pour but de réparer les conséquences de l'absence de toute formation de nature à obérer gravement l'intégration de la victime dans le monde du travail et de contribuer ainsi à son exclusion sociale. Cependant, en toute hypothèse, ce préjudice ne se confond pas avec le DFP, relatif aux seules incidences permanentes de l’accident sur les fonctions du corps humain. Au nom du principe de la réparation intégrale du préjudice, son indemnisation devait donc, indépendamment du DFP, être accordée.

C’est en vertu du même principe que la Cour de cassation reproche encore aux juges d’appel d’avoir débouté les demandeurs de leur demande en réparation du préjudice esthétique temporaire, au motif erroné que le préjudice définitif décrit par l'expert se confondait intégralement avec ce même type, temporaire, de préjudice et qu'il n'y avait en conséquence pas lieu de prévoir une indemnisation distincte pour la période antérieure à la consolidation. Or rappelle la Haute juridiction, le préjudice esthétique temporaire est distinct du préjudice esthétique permanent ; l'altération de l'apparence de la victime avant la date de la consolidation de son état de santé avait bien été caractérisée. Il convient ici de préciser que la réparation des préjudices corporels ne se limite pas aux handicaps fonctionnels de la victime d'un accident corporel ; elle s’étend aux conséquences de l'accident sur son apparence physique, provisoire ou définitive. La nomenclature Dintilhac a, à ce titre, expressément distingué le préjudice temporaire (avant consolidation) directement consécutif à l'accident, du préjudice esthétique permanent, après consolidation, donc à caractère définitif : le premier est défini comme « l'altération de l'apparence physique, certes temporaire, mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liées à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers » ; le second comme « l'altération physique et plus généralement les éléments de nature à altérer l'apparence physique de la victime, notamment comme le fait de devoir se présenter avec une cicatrice permanente sur le visage. ». La Cour de cassation respecte cette distinction, en allouant l’indemnisation demandée. 

La Cour de cassation censure enfin la décision des juges du fond pour avoir jugé déductible, en raison de sa nature jugée à tort indemnitaire, des sommes allouées par la CIVI à la victime l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé. En effet, il résulte de l’article R. 541-1 du Code de la sécurité sociale que cette allocation ne revêt pas un caractère indemnitaire : dès lors qu’elle est due à la personne qui assume la charge d'un enfant handicapé dont l'incapacité permanente est au moins égale à un taux déterminé, qu'elle est destinée à compenser les frais d'éducation et de soins apportés par cette personne à l'enfant jusqu'à l'âge de 20 ans, qu'elle est fixée, sans tenir compte des besoins individualisés de l'enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales, cette prestation à affectation spéciale, liée à la reconnaissance de la spécificité des charges induites par le handicap de l'enfant, constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant.

Civ. 2e, 7 mars 2019, n° 17-25.855

 

Auteur :Merryl Hervieu

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