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[ 8 avril 2019 ] Imprimer

Droit pénal général

Blanchiment : présomption d’impureté des fonds transportés

A justifié sa décision une cour d’appel qui, pour appliquer la présomption d’origine illicite des fonds, prévue par l’article 324-1-1 du Code pénal, a relevé les incohérences dans le récit fait par le prévenu de son voyage entre l’Allemagne et la France, l’absence de justification de celui-ci et l’importance de la somme non déclarée. 

Un ressortissant allemand est contrôlé à la frontière entre la Suisse et la France par les agents des douanes et il est trouvé en possession d’une enveloppe contenant la somme de 49 500 euros, en coupures de 500 euros, après avoir indiqué ne transporter aucun titre, somme ou valeur. Pendant l’enquête, les autorités allemandes informent leurs homologues français que l’intéressé fait l’objet d’une enquête pour escroquerie aux prestations sociales d’un montant de 51 839,75 euros. Poursuivi en France pour manquement à l’obligation déclarative (C. douanes, art. 464 et C. mon. fin., L. 152-1) et blanchiment (C. pén., art. 324-1), le prévenu est condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende douanière et une confiscation est ordonnée. Dans son pourvoi, il conteste, dans un moyen unique portant sur sa condamnation pour blanchiment, l’application de la présomption d’origine illicite des fonds prévue à l’article 324-1-1 du Code pénal, reprochant à la cour d’appel de n’avoir constaté aucune condition de fait ou de droit faisant supposer la dissimulation de l’origine ou du bénéficiaire effectif de la somme litigieuse. 

Par son arrêt du 6 mars 2019, la chambre criminelle rejette son pourvoi et estime que la cour d’appel, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, a justifié sa décision. Elle note que celle-ci s’est fondée sur « les incohérences dans le récit fait par le prévenu de son voyage entre l’Allemagne et la France, l’absence de justification des raisons de celui-ci et l’importance de la somme non déclarée » pour déduire que les conditions matérielles de l’opération de dissimulation de cet argent ne pouvaient avoir d’autre justification que de dissimuler son origine ou son bénéficiaire effectif. 

Le blanchiment consiste à « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect » (C. pén., art. 324-1, al. 1er). Mais il est aussi constitué par « le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit » (C. pén., art. 324-1, al. 2). Quant à l’article 324-1-1 du Code pénal, il prévoit que « pour l'application de l'article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ». Est ainsi instaurée (et ce depuis la L. n° 2013-1117 du 6 déc. 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière) une présomption de culpabilité destinée à faciliter la preuve du blanchiment (de l’art. 324-1 al. 2 ; V. Rép. pén. Dalloz, vo Blanchiment, par M. Segonds, no 100 s.), que la chambre criminelle estime conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis (not. à la présomption d’innocence, DDH, art. 9), dès lors qu’elle n’est pas irréfragable et, précisément, qu’elle « nécessite, pour être mise en œuvre, la réunion de conditions de fait ou de droit faisant supposer la dissimulation de l'origine ou du bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus » (Crim., QPC, 9 déc. 2015, n° 15-90.019 ; V. égal. sur les présomptions de culpabilité, tolérées tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour EDH, Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC, § 5 : « à titre exceptionnel, des présomptions de culpabilité peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité » ; CEDH 7 oct. 1998, Salabiaku c/ France, n° 10519/83, § 28 : « L’article 6 § 2 […] commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense »). 

C’est sur ce deuxième point que portait le pourvoi, qui prétendait que les juges du fond avaient omis de caractériser de telles conditions. Or un faisceau d’indices faisait apparaître l’anormalité de l’opération de dissimulation – physique – des fonds (Comp. Crim. 17 févr. 2016, no 15-80.050, pour le transport d’une somme de 224 000 euros dissimulée dans les garnitures de sièges de véhicules, dans le cadre d’un convoi et selon un trajet étudié pour éviter les contrôles, les billets ayant révélé de fortes traces de cocaïne et le prévenu n’ayant pas justifié l’origine de la prétendue dette dont il s’acquittait en effectuant le transport). Et par les explications qu’il a fournies, le prévenu n’a pas réussi à renverser la présomption en apportant la preuve de l’origine légale de la somme qu’il détenait (aucune de ses « versions » n’ayant convaincu). 

Crim. 6 mars 2019, n° 18-81.059

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Blanchiment

■ Crim. 9 déc. 2015, no 15-90.019, Dr. pénal 2015. Comm. 41, obs. Ph. Conte ; RPDP 2015. 927, note M. Segonds

■ Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC :  AJDA 1999. 736 ; ibid. 694, note J.-E. Schoettl; D. 1999. 589, note Y. Mayaud ; ibid. 2000. 113, obs. G. Roujou de Boubée ; ibid. 197, obs. S. Sciortino-Bayart

■ CEDH 7 oct. 1998, Salabiaku c/ France, n° 10519/83

■ Crim. 17 févr. 2016, no 15-80.050RTD com. 2016. 346, note B. Bouloc

■ Ch. Cutajar, « Le volet répressif de la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière », AJ Pénal 2013. 638

■ N. Catelan, « La présomption d'impureté : blanchir sans linge sale ? », RUE 2015. 252

 

Auteur :Sabrina Lavric

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