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Droit pénal général
Boire ou conduire, il faut choisir !
La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 qui a modifié l’article L. 234-13 du Code la route, en prévoyant que l’annulation de plein droit du permis de conduire en cas de conduite sous l’empire d’un état alcoolique doit être accompagnée d’une interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif d’anti-démarrage par éthylotest électronique, pendant une durée de trois ans au plus, et non plus de l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis de conduire, est une loi pénale de fond moins sévère. Par conséquent, elle s’applique immédiatement aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée.
Crim. 12 octobre 2021, n° 21-80.370
Pour celui qui conduit sous l’empire d’un état alcoolique, cet arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 octobre 2021 est l’occasion de rappeler quelques règles fondamentales en matière d’application de la loi pénale dans le temps.
En l’espèce, le conducteur d’un véhicule était poursuivi devant le tribunal correctionnel pour des faits de conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique en récidive légale. Il fut déclaré coupable et condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, à 400 euros d’amende, à l’annulation de son permis de conduire accompagnée de l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau titre avant un délai de trois mois, sans confiscation de son véhicule.
L’intéressé et le ministère public relevèrent appel de cette décision mais la cour d’appel de Reims confirma la condamnation.
Le conducteur du véhicule forma alors un pourvoi en cassation. Au moyen de son pourvoi, il invoquait les dispositions des articles 112-1 du Code pénal et L. 234-13 du Code de la route. Le premier de ces textes pose les règles d’application dans le temps des lois pénales de fond, tandis que le second, plus technique, fait référence au prononcé d’une peine complémentaire obligatoire en cas de conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, infraction prévue à l’article L. 234-1 du Code de la route.
Il faut en effet rappeler qu’en cas de conduite sous l’influence de l’alcool (qui peut être soit une contravention, soit un délit selon le taux d’alcool dans le sang), le code de la route prévoit plusieurs types de peines (sur ces peines, v. not., Rép. pén., v° « Conduite sous influence : alcool, stupéfiants », par J.-P. Céré, n° 2 à 52). La peine principale, prévue à l’article L. 234-1, est de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 € d’amende et elle peut s’accompagner de diverses peines complémentaires, comme l’immobilisation du véhicule. Mais, dès lors que la personne est en état de récidive légale, elle encourt des peines complémentaires énoncées à l’article L. 234-12, et l’article L. 234-13 du Code de la route, objet du pourvoi, prévoit quant à lui le prononcé d’une peine complémentaire obligatoire : l’annulation du permis de conduire avec interdiction de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé, par un professionnel agréé ou par construction, d’un dispositif homologué d’anti-démarrage par éthylotest électronique pendant une durée de trois ans au plus, applicable à compter de la date d’obtention d’un nouveau permis de conduire.
Comme le précisait l’intéressé au moyen de son pourvoi, cet article a fait l’objet d’une modification importante par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019. Cette loi a prévu que l’annulation de plein droit du permis de conduire en cas de conduite sous influence de l’alcool commise en récidive devait désormais être accompagnée d’une interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif d’anti-démarrage par éthylotest électronique (pendant une durée de trois ans maximum), et non plus de l’interdiction de solliciter un nouveau permis pendant trois ans au plus comme c’était le cas auparavant. Cette dernière peine avait fait l’objet de vives critiques aux motifs qu’elle était contraire aux principes de nécessité et d’individualisation des peines. En 2010, le Conseil constitutionnel s’était prononcé sur la question et avait considéré que l’article L. 234-13 était conforme à la Constitution en ce que le juge conservait son pouvoir d'individualisation des peines en fixant la durée pendant laquelle le condamné se voyait interdit de solliciter un nouveau permis de conduire (Cons. const. 29 sept. 2010, n° 2010-40 QPC).
Il n’empêche que depuis la loi du 24 décembre 2019, cette peine d’interdiction de solliciter un nouveau permis n’existe plus et a été remplacée par l’interdiction de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé par un professionnel agréé ou par construction d’un dispositif homologué d’anti-démarrage par éthylotest électronique, peine complémentaire qui ne peut être supérieure à trois ans. Or, c’est précisément sur cette nouvelle peine que se focalisait le pourvoi. La nouvelle version de l’article L. 234-13 du Code de la route, qui réduit finalement la durée pendant laquelle l’intéressé ne peut pas conduire, est une loi pénale de fond plus favorable au prévenu de sorte qu’elle doit s’appliquer immédiatement. La cour d’appel avait donc violé la règle imposée par l’article 112-1, alinéa 3 du Code pénal, pourtant maintes fois rappelée en jurisprudence et enseignée dès les premières années de droit sur les bancs de la faculté.
Il est vrai que le droit pénal français a adopté un système assez complexe qui suppose de distinguer entre deux types de lois pénales : les lois pénales de fond d’une part, les lois pénales de forme d’autre part. Tandis que les lois pénales de fond sont non rétroactives lorsqu’elles sont plus sévères et peuvent rétroagir lorsqu’elles sont plus douces, le principe pour les lois pénales de forme est l’application immédiate. En pratique, il faut donc distinguer lois pénales de fond et de forme. L’article 112-1 du Code pénal définit les premières comme étant celles relatives aux éléments constitutifs d’une infraction ou celles relatives aux peines encourues. Plus généralement, la jurisprudence a affirmé qu’une loi pénale de fond est une loi qui concerne « les caractéristiques de l’infraction, la responsabilité de l’auteur, la fixation de la peine » (Crim. 9 nov. 1966, n° 65-93.832).
En l’espèce, cela ne posait aucune difficulté. La loi du 24 décembre 2019, qui modifie les peines applicables en cas de conduite sous l’influence de l’alcool, est une loi pénale de fond.
Une fois la nature de la loi identifiée, il faut déterminer si la loi pénale nouvelle est plus sévère ou plus douce que la loi ancienne. Si la loi pénale nouvelle est plus sévère, elle ne peut rétroagir (non-rétroactivité in pejus). En revanche, si la loi pénale nouvelle est plus douce, alors les dispositions de l’article 112-1 du Code pénal s’appliquent et le principe est celui de la rétroactivité in mitius (v. not., Rép. Pén., v° « Lois et règlements. Application de la norme pénale », par. C. Lacroix, n° 164 à 173). En effet, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 112-1 du Code pénal : « Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ».
Les juges du fond auraient donc dû se référer aux dispositions de l’article 112-1 du Code pénal. En l’absence de condamnation passée en force de chose jugée, l’intéressé aurait dû être condamné à la nouvelle peine prévue à l’article L. 234-13 du Code de la route et non pas à l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis de conduire avant un délai de trois mois. Sans surprise finalement, la cassation est prononcée sur le double fondement du principe de rétroactivité in mitius énoncé à l’article 112-1, alinéa 3 du Code pénal, et du principe de légalité des délits et des peines prévu à l’article 111-3 du même Code. Inévitablement, la chambre criminelle casse sans renvoi l’arrêt rendu et applique directement la règle de droit en mettant fin au litige.
Références
■ Cons. const. 29 sept. 2010, n° 2010-40 QPC: D. actu, 11 oct. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2010, p. 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; AJ pénal 2010, p. 501, obs. J.-B. Perrier
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