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[ 16 septembre 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Bon pour accord : son contenu exécuté, sa rétractation est paralysée

La poursuite de l’exécution du contrat efface, malgré la renonciation du débiteur, les effets de la clause de rétractation.

L’affaire rapportée posait une question simple dont la réponse l’était moins : l’exercice d’un droit de rétractation peut-il produire effet malgré l’exécution du contrat, de surcroît acceptée sans réserve ?

Technique spécifique privilégiée, par faveur pour la partie faible au contrat, en droit de la consommation et, plus épisodiquement, en droit commun sous l’appellation du droit de repentir (R. Baillod, Le droit de repentir, RTD civ. 1984. 226 s.), la faculté de rétractation offre à son bénéficiaire, à l’expiration d’un temps de réflexion déterminé, la possibilité de revenir sur l’engagement contractuel qu’il a pris initialement, lui permettant ainsi de se soustraire aux obligations que cet engagement lui imposait ab initio d’accomplir.

Dérogatoire au droit commun contractuel dont elle trahit l’essence en autorisant le débiteur, au mépris de la force obligatoire du contrat, à ne pas honorer ses engagements, cette règle de faveur pour le débiteur consommateur dont le corpus consumériste a contribué à promouvoir l’extension, a pour effet l’anéantissement du contrat, généralement acté par le prononcé de sa caducité (sur ce point, v. F. Terré, Y. Lequette, P. Simler et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 383, n° 341).

Cela étant, en l’espèce, cette faculté de rétractation dont l’assise est normalement légale présentait la particularité de faire l’objet direct d’une stipulation conventionnelle expresse, comme le leur permettait l’ancien article L. 121-25 du Code de la consommation applicable à la date du litige, reconnaissant aux parties le droit de prévoir par contrat le pouvoir d’exercer, le cas échéant, une telle faculté. La singularité de cet arrêt rendu en ce début d’été par la première chambre civile de la Cour de cassation réside également et avant tout dans la poursuite de l’exécution du contrat malgré la renonciation à sa continuation, effectuée conformément à la clause du contrat à cette fin stipulée. 

A l’occasion d’une foire-exposition, un particulier avait, le 12 février 2014, signé avec un exposant, représentant de société d’installation de chauffage et de climatisation, un bon de commande portant sur l’installation d’un dispositif de chauffage avec pompe à chaleur air/eau et sur des travaux d’isolation de combles, pour un prix de 16 970 €. Le même jour, l’acquéreur envoie par lettre recommandée à la société émettrice un bon d’annulation de la commande, lequel figurait en bas de l’exposé des conditions générales de vente. Cet envoi ignoré, la commande avait ainsi commencé à être partiellement exécutée : à la suite d’une visite technique, la société avait en effet entrepris certains des travaux indiqués dans le bon de commande que l’acquéreur avait, malgré l’envoi précédent du document d’annulation, réceptionnés sans réserve. Prenant appui sur le fait que l’ensemble des travaux prévus n’avait pas encore été réalisé, le créancier insatisfait de ceux déjà effectués signifia à la société par lettre recommandée, le 3 novembre 2014, qu’il entendait user de son droit de rétractation pour mettre un terme à leur contrat, qui ne devrait donc plus être exécuté. Le 20 février 2015, il assigna en conséquence la société en restitution d’un acompte de 1 000 € et en paiement d’une somme de 2 500 € au titre de dommages-intérêts. 

En première instance, pour écarter sa demande et condamner l’acquéreur à verser le prix convenu avec la société, le tribunal se fonda sur l’absence d’effet de la rétractation « dès lors que les commandes passées lors de foires-expositions ne peuvent être rétractées ». Il est vrai que les contrats conclus dans les foires et salons échappent aux règles du démarchage à domicile, alors prévues par les anciens articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation, en sorte que la faculté de rétractation, prévue à l’article L. 121-25 ancien du même code, n’est pas applicable, par l’effet de la loi, au contrat tel que celui conclu en l’espèce.

En cause d’appel, la juridiction saisie, faisant fi de cet obstacle textuel, retint une analyse inverse, jugeant que le contrat ayant bien été annulé sous l’effet de la rétractation opérée ; elle condamna alors la société d’installation au versement d’une somme de 1 000 € avec intérêt au taux légal.

La franche contradiction de ces décisions explique sans doute en partie la décision de l’installateur de se pourvoir en cassation, grâce à laquelle il obtint l’annulation de sa décision de condamnation, cassée pour violation de la loi : « alors qu’il résultait de ses constatations que l’acquéreur, qui avait reçu la livraison de la pompe à chaleur et accepté sans réserve les travaux d’isolation des combles, avait poursuivi l’exécution du contrat, renonçant ainsi aux effets de sa rétractation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Délaissant l’argument selon lequel le droit de rétractation n’aurait pas dû, par l’effet en l’occurrence inapplicable de la loi, pouvoir être exercé concernant le contrat litigieux, la Cour de cassation se concentre comme l’avait d’ailleurs fait la juridiction d’appel sur l’efficacité de cette rétractation, mais pour en déduire une conclusion inverse, à savoir qu’en dépit de la régularité de son exercice, effectué dans le respect des termes de la clause qui la contenait de manière expresse et sans équivoque puisqu’en l’espèce, le bon de commande prévoyait clairement une telle faculté de rétractation (le « bon d’annulation »), dans des termes quasi similaires à ceux de l’ancien article L. 121-25 du Code de la consommation, la Haute juridiction retient que l’exécution ultérieure du contrat, même partielle, avait eu pour conséquence d’annuler les effets de cette rétractation.

Autrement dit, la Cour déduit de la poursuite de l’exécution du contrat une renonciation implicite à la rétractation contractuelle, quoique celle-ci fût pourtant sans nul doute opérée au jour de l’envoi du bon dédié à cet effet. Ainsi, le seul fait de l’exécution du contrat conduit à admettre que l’auteur de la rétractation, quelle que fût son intention ou sa volonté, a ainsi renoncé à sa propre renonciation. Il s’est en quelque sorte rétracté de sa propre rétractation en en paralysant les effets par l’exécution volontaire du contrat. 

La configuration juridique ici reconnue a ceci de malaisé qu’elle revient à admettre l’hypothèse de l’exécution d’un contrat censé être devenu caduc par l’exercice du droit de rétractation convenu entre les parties. Peut-être que l’évitement des magistrats au constat strictement juridique qui s’imposait de la caducité de l’acte s’explique par l’excès de faveur qu’il y aurait à conférer au débiteur déjà privilégié par le droit qu’il détient de se rétracter un droit supplémentaire, qui serait alors surabondant, de renoncer à sa rétractation au préjudice de la victime de son exercice, le créancier, auquel ne pouvait de surcroît qu’être en l’espèce reprochée une inexécution seulement partielle du contrat et pour l’accomplissement duquel les frais prévus, s’ajoutant à ceux déjà exposés, auraient représenté une perte financière aussi inique qu’importante.

Ajoutons également que le pragmatisme dont la Cour témoigne ici n’est pas seulement économique, il est tout autant juridique, la logique contractuelle présidant la relation contractuelle des parties au litige interdisant difficilement d’analyser la poursuite de l’exécution du contrat, même partielle, que l’auteur de la rétractation avait acceptée autrement que comme la traduction a priori indiscutable de sa renonciation à sa rétractation préalable. Il n’en reste pas moins que l’évidence n’ayant souvent de force que pour celui qui l’énonce ou la perçoit, comme en atteste cette espèce où l’auteur de la rétractation considérait en conséquence le contrat caduc, cette décision a le mérite de rappeler que le pragmatisme juridique l’emporte parfois sur sa technique en sorte que si le bénéficiaire d’un droit de rétractation entend l’exercer, cet exercice doit l’être sans contradiction avec une poursuite, même partielle, du contrat auquel il avait prétendu renoncer.

Civ. 1re, 1 juill. 2020, n° 19-12.855

 

Auteur :Merryl Hervieu


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