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[ 24 janvier 2019 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Brexit, la révocation du retrait : une opportunité pour le Royaume-Uni

La Cour de justice reconnaît la faculté pour un État membre de révoquer unilatéralement sa notification de retrait, fondée sur l’article 50 TUE, avant la réalisation effective de celui-ci. Cette révocation n’est aucunement soumise au consentement des institutions de l’Union européenne ou à une quelconque négociation avec les autres États membres. Cette procédure conserve ainsi un caractère totalement unilatéral, contrairement à la position défendue par le Conseil de l’Union européenne et la Commission. 

La rédaction de l’article 50 TUE manque de précisions et implique l’intervention de la Cour de justice pour compléter le droit applicable. L’enjeu étant ici majeur, l’arrêt a été rendu par l’Assemblée plénière démontrant l’importance de la question posée. Le contentieux était également complexe dès lors que des positions opposées s’exprimaient quant aux modalités de la révocation unilatérale de la notification de retrait. Ainsi, si la question était primordiale pour les requérants par rapport à leur capacité à influencer la politique interne du Royaume-Uni, une réponse favorable avait parallèlement des incidences réelles pour l’Union européenne, impliquant de définir les modalités. L’arrêt était dès lors très attendu par chacun.

Pour la première fois était envisagé devant la Cour de justice le caractère réversible du déclenchement de l’article 50 TUE par le Royaume-Uni. En effet si un referendum a bien permis aux Britanniques de se prononcer en faveur du retrait, ce résultat a été largement contesté, d’autant plus en raison des difficultés de négociations et du risque d’un retrait sans la conclusion d’un accord. L’arrêt de la Cour de justice était dès lors attendu comme une solution pouvant mettre fin à ce processus considéré par certains comme désastreux, dont les requérants.

La Cour pose le principe que l’article 50 TUE permet à un État membre de révoquer unilatéralement sa notification de retrait de l’Union. 

Elle précise toutefois les conditions de l’exercice de cette révocation en préservant très largement l’État membre à l’origine de la procédure.

La première condition établie est que la révocation de la notification constitue une décision unilatérale de l’État membre. Cette solution n’avait rien d’une évidence, bien au contraire le Conseil de l’UE et la Commission défendaient l’exigence d’un consentement à l’unanimité par le Conseil européen. Cette approche visait à instaurer un mécanisme de réciprocité. Pour justifier sa position, la Cour s’appuie tout d’abord sur l’article 50 TUE par rapport à ses objectifs et son contexte. La Cour retient que, dans le cadre de cet article, l’État notifie une intention de retrait et qu’une intention n’est par nature ni définitive, ni irrévocable.Ensuite, la Cour s’appuie également sur les modalités permettant le déclenchement du retrait pour retenir un parallélisme de la procédure de révocation. Ainsi, le retrait repose sur une décision de l’État au regard de ses seules règles constitutionnelles, il doit en être de même pour la révocation. L’État n’a donc pas à négocier avec les autres États membres, pas plus qu’avec les institutions européennes s’il souhaite revenir sur son intention. Cette solution écarte toute possibilité de pression, de chantage à l’égard de cet État. En outre, la Cour se fonde sur la rédaction initiale de cette clause dans le traité établissant une constitution pour l’Europe de 2004. Dans ce traité avait été exclu tout amendement empêchant une révocation de la notification unilatéralement. Enfin, la Cour s’appuie sur la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qui prévoit la possibilité d’une révocation unilatérale, Convention de Vienne qui a été prise en compte lors de la rédaction de cette clause en droit de l’Union. Ainsi la Cour retient que cette révocation ne peut être qu’une décision souveraine de l’État. Cette approche est évidemment favorable à l’État qui a une maîtrise de la procédure non seulement de révocation, mais plus largement du retrait. En effet, l’État insatisfait des négociations pourrait revenir à tout moment sur son intention. En outre, le risque est que certains États soient tentés d’abuser de l’article 50 TUE afin d’obtenir des contreparties auprès de l’Union européenne en cas de désaccord. Plus largement, cette solution modifie la nature profonde de cette procédure, telle qu’elle avait été appréhendée depuis le referendum britannique, en revenant sur son caractère irréversible.

La seconde condition est que la révocation n’est envisageable que dans un temps limité. En effet, elle ne peut intervenir que dans le délai de deux ans à compter de la notification. Ce délai correspond à la durée initiale de négociations d’un traité prévu à l’article 50 TUE, période après laquelle le retrait s’applique de plein droit, sauf si l’Union européenne et l’État membre ont décidé d’un commun accord de prolonger les négociations. Si les négociations se prolongent, la révocation sera encore possible durant ce laps de temps. Autrement dit, la révocation de la notification de retrait est une faculté laissée à l’État, tant que le retrait n’est pas effectif.

CJUE, ass. plén., 9 déc. 2018n° C-621/18.

 

Référence

Traité sur l'Union européenne

Article 50

« 1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union.

2. L'État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l'Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union. Cet accord est négocié conformément à l'article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il est conclu au nom de l'Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

3. Les traités cessent d'être applicables à l'État concerné à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai.

4. Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l'État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent.

La majorité qualifiée se définit conformément à l'article 238, paragraphe 3, point b), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

5. Si l'État qui s'est retiré de l'Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l'article 49. »

 

Auteur :Vincent Bouhier

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