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[ 17 janvier 2023 ] Imprimer

Procédure pénale

Captation d’images par drone dans un lieu privé : là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas à distinguer

L’article 706-96 du Code de procédure pénale permettant, dans le cadre de la criminalité et délinquance organisées, le recours à tout dispositif ayant pour objet la captation d’images dans un lieu privé sans distinguer selon que ce dispositif est fixe ou mobile, les autorités peuvent valablement recourir à l’utilisation d’un drone dès lors que cette mesure est nécessaire et proportionnée.

Crim. 15 nov. 2022, n° 22-80.097 B

Dans sa décision du 22 novembre 2022, la Cour de cassation a pour la première fois eu à trancher la validité du recours à un dispositif de captation mobile dans le cadre de la criminalité organisée. En l’espèce, un mis en cause pour un trafic de stupéfiant transfrontalier a été mis en examen en octobre 2020 pour importation de stupéfiants et importation en contrebande de marchandises prohibées, en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs. Il avait fait l’objet entre janvier et mars 2020 d’une captation d’images par drone sur le fondement de l’article 706-96 du Code de procédure pénale qui permet dans le cadre de la criminalité et délinquance organisées le recours « à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé ». L’intéressé a saisi la chambre de l’instruction d’une demande d’annulation des pièces de la procédure découlant de cette captation. Face au refus de la juridiction, il a formé un pourvoi en cassation estimant d’une part, que seuls les dispositifs fixes de captation étaient autorisés par la loi et, d’autre part, que la motivation des juges du fond ne faisait pas apparaître en quoi la mesure était nécessaire au vu des circonstances.

Afin de lutter plus efficacement contre la criminalité et la délinquance organisées, le législateur a autorisé des techniques spéciales d’enquête (C. pr. pén., art. 706-95-11) réservées à certaines infractions limitativement énumérées (C. pr. pén., art. 706-73 à -74). Ces techniques entrant en contrariété avec les droits et libertés des individus, elles ne peuvent être mises en œuvre que si les nécessités de l'enquête ou de l'information judiciaire l'exigent (C. pr. pén., art. 706-95-11) et font l’objet d’un cadre juridique précis subordonnant leur mise en œuvre à l’autorisation d’un magistrat du siège (juge des libertés et de la détention ou juge d’instruction ; C. pr. pén., art. 706-95-12) par une ordonnance écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires (C. pr. pén., art. 706-95-13). La durée de la mesure est également limitée (C. pr. pén., art. 706-95-16). Par ailleurs, conformément à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, toute ingérence d’une autorité publique dans la vie privée doit être prévue par la loi et être nécessaire.

Sur la prévision légale de l’ingérence, le pourvoi mettait en avant que l’article 706-96 ne visant pas explicitement les dispositifs mobiles, il devait être interprété strictement comme ne permettant le recours qu’aux dispositifs fixes.

La Haute Cour répond en deux temps à cette branche du moyen. Elle rappelle en premier lieu la jurisprudence de la Cour européenne qui n’impose pas que la loi décrive toutes les situations légales qu’elle encadre puisque toute norme présente intrinsèquement un caractère général (CEDH 8 févr. 2018, Ben Faiza c/ France, n° 31446/12). Se fondant en second lieu sur l’adage « ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus », elle considère que le texte, qui fait référence à « un dispositif technique » sans autre précision, n’exclut pas le recours à un dispositif mobile. De ce fait, la condition de prévision par la loi de l’ingérence est bien remplie et cette loi est suffisamment claire, prévisible et accessible.

Sur la nécessité de l’ingérence, le pourvoi relevait que les juges du fond avaient autorisé le dispositif sans préciser en quoi les circonstances excluaient toute possibilité de recours à un autre dispositif. Les juges du droit ne souscrivent pas à l’argument. Ils rappellent qu’une telle ingérence est limitée aux enquêtes en matière de criminalité et délinquance organisées, qu’elle est soumise au contrôle d’un magistrat du siège (autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle), sur sa nécessité et sa proportionnalité, et entourée de garanties (durée limitée et possibilité d’y mettre un terme à tout moment notamment). Et concernant la mise en œuvre de cette ingérence dans l’espèce, elle relève que les enquêteurs ont préalablement mis à jour le fonctionnement d'un réseau structuré et pérenne de trafic transfrontalier de stupéfiants, organisant des livraisons régulières de quantités importantes de cannabis au domicile du mis en cause et que la propriété faisant l’objet de la captation était entourée d’un jardin clos. Par conséquent, elle considère que les juges ont suffisamment décrit les circonstances ayant amené à l’utilisation d’un drone.

Les opérations étant prévues par la loi et ayant été autorisées et exécutées conformément aux prévisions légales, la Cour de cassation les estime conformes à l’article 8 de la Conv. EDH et rejette le pourvoi. 

Cette décision, qui a pour principal intérêt de trancher pour la première fois sur la validité de la captation d’images par un dispositif mobile, ne surprend pas sur le fond. Le caractère général de la norme permet son adaptabilité aux situations d’espèce ainsi qu’aux évolutions techniques et technologiques. Le texte de l’article 706-96 n’excluait nullement le recours au drone et cette disposition consacre un pouvoir exceptionnel d’enquête auquel il ne peut être recouru en droit commun. Pour autant, la Cour de cassation rappelle à cette occasion que l’usage des drones doit être nécessaire pour l’enquête en cause, il ne s’agit donc nullement d’une consécration absolue de la captation par un dispositif mobile dans le cadre de la criminalité ou de la délinquance organisées.

Références :

■ CEDH 8 févr. 2018, Ben Faiza c/ France, n° 31446/12 D. 2018. 352.

 

Auteur :Catherine Ménabé


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