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Droit des biens
Caractère et mode d’établissement de la servitude d’écoulement des eaux usées
Mots-clefs : Servitude d'égout, Eaux usées, Caractère, Discontinue, Apparente, Établissement, Prescription (non), Titre (oui)
La servitude d’écoulement des eaux usées dont l’exercice exige le fait de l’homme, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, même si elle s’exerce au moyen d’une canalisation permanente et apparente.
L’affaire ici commentée n’est pas sans rappeler le proverbe selon lequel les apparences sont souvent trompeuses…
L’article 637 du Code civil définit la servitude comme une charge qui pèse sur un immeuble (fonds servant) au profit de l’usage et de l’utilité d’un autre (fonds dominant) appartenant à un propriétaire différent. En l’espèce, une canalisation, reliée au tout-à-l'égout communal et longeant un mur séparant deux propriétés, desservait tant les toilettes du fonds dominant que le lavabo du fonds servant. Le propriétaire du fonds servant assigna ses voisins afin que cesse sur sa propriété l’écoulement des eaux usées de ces derniers.
La canalisation était visible et apparemment ancienne selon le témoignage d’un plombier. Après avoir constaté que les titres respectifs de propriété des parties en cause ne contenaient aucune précision sur cette canalisation, et que le plaignant n’avait soulevé aucune interrogation sur sa présence lors de l’acquisition de son bien, les juges du fond conclurent que la conduite pouvait constituer un signe apparent, non équivoque, d’une servitude d’écoulement des eaux usées et que les propriétaires du fonds dominant l’avaient acquise par prescription trentenaire.
L’apparence d’une servitude d’écoulement des eaux usées suffit-elle pour permettre son établissement par prescription trentenaire au profit du fonds dominant ?
La Haute cour répond négativement et casse l’arrêt d’appel au visa des articles 688 et 691 du Code civil. Dans un premier temps, elle précise que la servitude d’écoulement des eaux usées a un caractère discontinu dont l’exercice requiert le fait actuel de l’homme (art. 686 C . civ.) et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée (art. 688 C. civ.). Soulignons qu’il en aurait été autrement si la canalisation avait eu pour fonction d’assurer l’écoulement des eaux pluviales : en effet, du fait qu’elle s’exerce sans le fait de l’homme, une telle servitude a un caractère continu (Req. 10 déc. 1888 ; v. pour le caractère discontinue d’une servitude de puisage malgré l’aménagement artificiel permanent d’un outillage approprié qui ne peut fonctionner que sous le contrôle de l'homme : Civ. 3e, 19 mai 2004). Dans un second temps, elle rappelle la double condition cumulative de continuité et d’apparence qui résulte de l’article 690 du Code civil indispensable pour l’établissement par prescription d’une servitude établie par le fait de l’homme. En l’espèce, le caractère de la continuité faisant défaut, la servitude même apparente ne pouvait être constituée que par titre (v. déjà : Civ. 3e, 8 déc. 2004).
Civ. 3e, 2 mai 2012, n°11-18.455, inédit
Références
■ F. Terré, Ph. Simler, Droit civil, Les biens, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n°879 s. et 886 s.
■ Code civil
« Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire. »
« Il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public.
L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles ci-après. »
« Les servitudes sont ou continues, ou discontinues.
Les servitudes continues sont celles dont l'usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l'homme : tels sont les conduites d'eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
Les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables. »
« Les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres.
La possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir, sans cependant qu'on puisse attaquer aujourd'hui les servitudes de cette nature déjà acquises par la possession, dans les pays où elles pouvaient s'acquérir de cette manière. »
■ Req. 10 déc. 1888, DP 1889. 1. 157 ; S. 1889. 1. 156.
■ Civ. 3e, 19 mai 2004, n°03-12.451.
■ Civ. 3e, 8 déc. 2004, n°03-17.225, Bull. civ. III, n°234 ; RDI 2005. 213, obs. Gavin-Millan-Oosterlynck.
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