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[ 11 juillet 2018 ] Imprimer

Procédure civile

Caractère non avenu d’un jugement rendu par défaut ou réputé contradictoire : pas de relevé d’office

Ne peut être relevé d’office par le juge le caractère non avenu d’un jugement rendu par défaut ou réputé contradictoire qui n’a pas été signifié dans les six mois : cette disposition de l’article 478 du Code de procédure civile protège les intérêts de la partie défaillante qui peut seule s’en prévaloir.

A la suite de désordres affectant un marché de travaux, le maître de l’ouvrage assigne devant un TGI l’entrepreneur, ses sous-traitants et leurs assureurs puis interjette, deux ans plus tard, appel du jugement réputé contradictoire rendu par la juridiction de première instance. Par un moyen relevé d’office, la cour d’appel déclare cet appel irrecevable : la décision attaquée, rendue alors que l’appelante était présente et représentée, était devenue non avenue faute d’avoir été signifiée dans le délai de six mois prévu à l’article 478 du Code de procédure civile.

Un pourvoi est alors formé par l’appelante, laquelle fait valoir notamment qu’un tel relevé d’office par le juge n’est pas possible, la partie non comparante pouvant seule se prévaloir du défaut de notification d’un jugement réputé contradictoire. La Cour de cassation lui donne raison. La règle de l’article 478 du Code de procédure civile « étant édictée au bénéfice de la seule partie qui n’a ni comparu ni été citée à personne, le caractère non avenu du jugement ne peut être constaté qu’à sa demande ». Est donc cassée la décision des juges d’appel qui avaient relevé d’office l’application de cette disposition.

Qualification du jugement rendu en l’absence de comparution du défendeur. Pour comprendre cet arrêt, commençons par rappeler que le défaut de comparution du défendeur n’empêche pas qu’il soit statué sur le fond (C. pr. civ., art. 472). L’objectif est ici d’empêcher qu’une partie puisse s’abstenir de comparaître à des fins dilatoires. Les jugements obéissent alors à un régime particulier, notamment s’agissant de l’exercice des voies de recours. Ils sont dits par défaut si la décision rendue l’est en dernier ressort et si la citation à comparaître n’a pas été délivrée à personne (C. pr. civ., art. 473, al. 1er). Si l’une de ces conditions cumulatives manque, on parle de jugement réputé contradictoire (C. pr. civ., art. 473, al. 2). En l’espèce, c’est cette deuxième qualification qui s’appliquait au jugement de première instance rendu sans que le défendeur ait comparu mais susceptible d’appel.

L’article 478, protecteur du défendeur ignorant la procédure engagée à son encontre. L’article 528-1 du Code de procédure civile prévoit qu’un jugement rendu après que les parties aient comparu devient inattaquable s’il n’a pas été notifié dans un délai de deux ans à compter de son prononcé. S’écartant de cette règle pour prendre en compte l’atteinte au contradictoire que représente le défaut de comparution du défendeur, l’article 478 du Code de procédure civile prévoit que « le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d'appel est non avenu s’il n'a pas été notifié dans les six mois de sa date ». Il s’agit d’une disposition protectrice du défendeur dont on ne peut être certain qu’il a bien eu connaissance de la procédure : en l’absence de citation à personne, son défaut de comparution peut n’être nullement volontaire et procéder simplement de son ignorance. Aussi considère-t-on que le demandeur doit, dans une telle hypothèse, notifier promptement le jugement au défendeur défaillant afin que ce dernier puisse présenter rapidement ses moyens de défense en interjetant appel (dans le cas d’un jugement réputé contradictoire) ou en formant opposition (dans le cas d’un jugement par défaut). Si le demandeur ne respecte pas le délai prévu à l’article 478 du Code de procédure civile, son adversaire pourra demander au juge de constater que le jugement est non avenu et celui-ci ne pourra alors produire aucun effet. C’est la sanction qu’avaient entendu appliquer les juges d’appel en l’espèce, alors que le défendeur n’avait pas soulevé cette exception de procédure.

Le relevé d’office exclu. La Cour de cassation exclut cependant que le juge puisse appliquer d’office l’article 478 du Code de procédure civile, arguant de ce que le jugement ne peut être déclaré non avenu qu’à la demande du défendeur qui n’a ni comparu ni été cité à personne dans la mesure où cette sanction est prévue dans son seul intérêt. De cette affirmation avaient déjà été déduites différentes solutions s’agissant de la possibilité pour les parties d’invoquer le caractère non avenu du jugement. La jurisprudence avait en effet déjà eu l’occasion d’indiquer que le demandeur présent au procès ne pouvait se prévaloir du défaut de notification du jugement dans le délai de six mois (Par ex. Com. 20 févr. 2001, n° 97-18.491 ; Civ. 3e, 20 juin 2007, n° 06-12.569) ou encore que le défendeur qui peut seul soulever le moyen tiré de l’article 478 du Code de procédure civile peut tout aussi bien renoncer au bénéfice de cette disposition qui n’est pas d’ordre public, notamment en prenant l’initiative de signifier le jugement (Civ. 3e, 19 juill. 1995, n° 93-19.858 ; Civ. 2e, 26 juin 2008, n° 07-14.688) ou d’interjeter appel (Civ. 2e, 10 juill. 2003, n° 99-15.914). S’agissant du juge ensuite, la Cour de cassation avait déjà indiqué que « la cour d'appel n’avait pas à rechercher d'office si l’arrêt […] avait été signifié dans le délai de six mois » (Civ. 2e, 13 janv. 1988, n° 86-16.63). Absence de devoir, mais plus encore – et c’est ce que vient affirmer la Cour de cassation en l’espèce – absence de pouvoir : le juge d’appel ne peut rechercher d’office le caractère non avenu du jugement pour défaut de notification dans le délai de six mois prévu à l’article 478 du Code de procédure civile. Est ici réitérée dans un arrêt publié une solution qui avait déjà été affirmée dans une décision récente non publiée (Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-16.273) et qui paraît cohérente avec les jurisprudences précitées.

Civ. 2e, 17 mai 2018, n° 17-17.409

Références

■ Com. 20 févr. 2001, n° 97-18.491 : Procédures 2001, n° 122, note Perrot.

■ Civ. 3e, 20 juin 2007, n° 06-12.569 P : AJDA 2008. 407, note R. Hostiou ; D. 2007. 1960 ; AJDI 2008. 409, obs. A. Lévy. 

■ Civ. 3e, 19 juill. 1995, n° 93-19.858.

■ Civ. 2e, 26 juin 2008, n° 07-14.688 P: D. 2008. 2007. 

■ Civ. 2e, 10 juill. 2003, n° 99-15.914 P : D. 2003. 2124.

■ Civ. 2e, 13 janv. 1988, n° 86-16.636 P: RTD civ. 1988. 401, obs. Perrot.

■ Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-16.273.

 

Auteur :Flavien Dréno


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