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Droit des obligations
Cascade mortelle et application de la loi du 5 juillet 1985
Mots-clefs : Responsabilité civile, Tournage d’un film, Cascade réalisée avec un véhicule terrestre à moteur, Voie temporairement fermée à la circulation publique, Accident de circulation, Application de la loi du 5 juillet 1985, Indemnisation, Spectateurs, Producteur
La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 est applicable à l'indemnisation des dommages subis par les spectateurs lors d'un exercice de cascade réalisé durant le tournage d'un film à l'aide d'un véhicule terrestre à moteur, ce dont il résulte qu'elle s'applique, par suite, à ceux subis par le producteur, victime par ricochet.
Sur le tournage du film Taxi 2, un caméraman a été tué et deux assistants blessés par un véhicule lors d’une cascade. L’assureur du producteur a indemnisé son assuré pour le retard pris dans le tournage et les frais occasionnés puis assigné la société ayant réalisé la cascade, le constructeur automobile, en remboursement de cette somme sur le fondement de l’article L. 121-12 du Code des assurances et de la loi du 5 juillet 1985. La cour d’appel de Paris juge que la loi du 5 juillet 1985 n’est pas applicable à l’accident au motif que l’accident a eu lieu sur une voie fermée à la circulation par arrêté du préfet de police qui y a autorisé la cascade ; la voie étant interdite à la circulation, il ne saurait s’agir, selon les juges du fond, d’un accident de la circulation. L’arrêt est sèchement cassé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt promis aux honneurs du rapport annuel: « la loi du 5 juillet 1985 est applicable à l’indemnisation des dommages subis par les spectateurs lors d’un exercice de cascade réalisé durant le tournage d’un film à l’aide d’un véhicule terrestre à moteur, ce dont il résulte qu’elle s’applique, par suite, à ceux subis par le producteur, victime par ricochet ».
Parmi les difficultés soulevées par les conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 sur la réparation des victimes d’accidents de circulation, la notion de voie de circulation figure en bonne place. Dans une première analyse, l’accident de la circulation est celui qui se réalise sur un lieu ouvert à la circulation motorisée publique ; cette interprétation pourrait se recommander de la volonté originelle du législateur, lequel s’intéressait essentiellement aux accidentés de la route. Toutefois, c’est une autre interprétation qui fut retenue par les juges : l’accident de la circulation suppose seulement que le dommage se soit produit en un lieu, public ou privé, où la circulation est possible, même s’il n’est pas naturellement destiné à la circulation automobile. Cette conception large de la voie de circulation est conforme à l’interprétation de la loi du 27 février 1958 sur l’assurance obligatoire ayant inspiré la loi de 1985 et respectueuse, également, de la lettre du texte, qui n’établit aucune distinction entre les voies publiques et les voies privées. D’ailleurs, les travaux préparatoires de la loi Badinter manifestaient déjà une conception large de l’accident comme de son lieu de réalisation puisqu’il en ressort que la loi doit pouvoir s’appliquer à tous les accidents à l’exclusion de ceux causés par un véhicule en stationnement situé dans un lieu strictement privé (JO, Sénat, 10 avr. 1985, p. 192). Ainsi la jurisprudence a-t-elle encore assoupli les conditions d’application de la loi en jugeant assez tôt que celle-ci devait s’appliquer à tout accident survenu dans un lieu où la circulation — stationnement inclus — est possible, même par intermittence. On comprend donc bien que la cour d’appel, rompant avec cette approche extensive, encourrait ici la censure : il avait d’ailleurs déjà été jugé que la circonstance d’une interdiction temporaire de circulation sur la voie est indifférente, l’applicabilité de la loi demeurant, dans cette hypothèse, inchangée (Crim. 16 juill. 1987). Cette interprétation libérale connaît toutefois deux aménagements, fondés sur la théorie de l’acceptation des risques : la jurisprudence a d’abord décidé de soustraire à l’application de la loi la réparation des dommages subis par des compétiteurs, pour ensuite étendre cette exclusion aux accidents survenus lors d’entraînements en circuits fermés. En revanche, la tentative d’exclure la loi aux dommages subis par les spectateurs (v. CA Bordeaux, 15 juin 2006, à propos d’un spectateur de cascades et d’acrobaties en moto) semble bien, à la lecture de l’arrêt rapporté, ne pas avoir prospéré.
C’est ainsi que le producteur a pu être considéré, dans cette affaire, comme la victime par ricochet des dommages subis par les spectateurs, victimes directes de l’accident. La situation des victimes par ricochet est réglée par l’article 6 de la loi de 1985, qui conduit à étendre cette catégorie de victimes au-delà du cercle habituel (parents, ayants droit de la victime directe), pour y inclure tout « tiers » dont le préjudice trouve sa source dans l’accident causé à la victime directe, en sorte que le préjudice matériel et économique du producteur résultant de l’accident a pu ici, de façon dérogatoire, être réparé.
Civ. 2e, 14 juin 2012, n°11-13.347, 11-15.642
Références
■ Article L. 121-12 du Code des assurances
« L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
L'assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur.
Par dérogation aux dispositions précédentes, l'assureur n'a aucun recours contre les enfants, descendants, ascendants, alliés en ligne directe, préposés, employés, ouvriers ou domestiques, et généralement toute personne vivant habituellement au foyer de l'assuré, sauf le cas de malveillance commise par une de ces personnes. »
■ Article 6 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985
« Le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d'un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l'indemnisation de ces dommages. »
■ Crim. 16 juill. 1987, n°86-91.347.
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