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Droit des obligations
Cause toujours…
Il résulte des articles 1131 et 1133 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'un contrat n'est valable que si les motifs ayant déterminé les parties à contracter sont licites. Dès lors, une cour d'appel ne peut déclarer valable la révocation par consentement mutuel d'une donation sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la cause de l'acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d'ordre public de l'article 922 du Code civil.
Civ. 1re, 30 nov. 2022, n° 21-11.507 B
Délaissée par l’ordonnance du 10 février 2016, la théorie de la cause devrait toutefois survivre à sa disparition annoncée, cette disparition n’étant que formelle. En témoigne l’article 1162 du Code civil, qui dispose que « (l)e contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but (…) ». On reconnaît ici, notamment, le maintien de la notion de cause subjective, illustrée par l’arrêt rapporté dont la solution, certes rendue sur le fondement du droit antérieur à la réforme, reste applicable sur le fondement du droit nouveau. Au cœur de cet arrêt figure un acte révocatoire dont le contenu était licite, mais le but discutable : objectivement causé, cet acte encourrait donc l’annulation sur le fondement de la cause subjective.
En l’espèce, par acte authentique du 9 juin 1994, une mère avait consenti à l’un de ses trois enfants une donation d’une somme de 40 000 euros, par préciput et hors part (successorale). Le donataire avait investi cette somme dans plusieurs sociétés civiles immobilières, dont les titres avaient pris une valeur considérable (de 40 000 euros à 16 millions d’euros). Fragile du cœur, la donatrice avait conclu avec son fils, à la veille d’une opération cardiaque qu’elle devait subir, un « acte révocatoire » de la donation consentie, datant du 11 juillet 2005. Le donataire déchu avait ensuite remboursé à sa mère la somme initialement donnée. Au décès de la donatrice, en 2015, la sœur du donataire avait demandé la nullité de l’acte révocatoire pour cause illicite. Le maintien de la donation présentait en effet un intérêt successoral majeur : il permettait d’intégrer à la masse de calcul de la quotité disponible le montant revalorisé des titres acquis plutôt que la valeur nominale, au titre des biens existants, de la somme donnée et remboursée à la donatrice (v. C. civ., art. 922). Au soutien de sa demande, outre le rappel de la nature de la donation, consentie par préciput et hors part, la sœur du donataire ajouta que cinq ans après sa conclusion, son frère avait tenté d’obtenir son accord pour intégrer la somme reçue dans un acte de donation-partage, ce qui aurait permis de geler la valeur des titres en cas d’action en réduction.
La cour d’appel la débouta néanmoins de sa demande, au motif que les mobiles ayant présidé à la révocation de la donation, par principe indifférents, ne pouvaient être confondus avec la cause de cet acte, qui n’était pas en soi illicite, la révocation conventionnelle d’une donation ne se heurtant à aucune interdiction légale et étant « toujours possible sans que les parties n’aient à en justifier les raisons ».
Devant la Cour de cassation, la demanderesse rappela utilement que la cause subjective d’un contrat, qui s’entend des mobiles ayant conduit les parties à contracter, doit être licite sous peine de nullité. Et c’est au visa des articles 1131 et 1133 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dont il résulte qu'un contrat n'est valable que si les motifs ayant déterminé les parties à contracter sont licites, que la première chambre civile casse la décision des juges du fond : « En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la cause de l'acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d'ordre public de l'article 922 du code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Ainsi les juges du fond auraient-ils dû vérifier que la cause subjective de l’acte révocatoire, i.e. les mobiles ayant animé les parties, n’était pas illicite, en ce que le but de ce contrat visait à contourner l’institution de la réserve héréditaire. Le manque de base légale provient donc de la méconnaissance de la notion de cause, les juges d’appel ayant à tort déduit de l’existence d’une cause objective la licéité de la cause subjective du contrat litigieux. Traduite dans les termes actuellement en vigueur, la solution revient à dire que même si la révocation d’une donation n’est pas en soi contraire à l’ordre public en raison de ses « stipulations », le « but » d’un acte révocatoire d’une donation résidant dans la volonté de ses auteurs de faire échec aux règles d’ordre public applicables à la réserve héréditaire rend cet acte illicite, et susceptible d’annulation.
S’il relève textuellement du droit ancien, cet arrêt, loin d’illustrer les dernières heures d’une théorie en fin de vie, augure au contraire de la permanence, en des termes simplement renouvelés, du contrôle de la licéité des mobiles ayant conduit les contractants à s’engager.
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