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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Caution : rare illustration de la déchéance de son droit à remboursement
La caution qui n’a pas averti les emprunteurs de la demande du créancier en paiement de la somme cautionnée, alors qu’ils disposaient d’un moyen pour obtenir l’annulation du contrat de prêt qui fondait leur obligation principale, doit être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que les débiteurs n’auraient pas eu à acquitter.
Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-14.568
La déchéance du droit à remboursement de la caution solvens est si rarement prononcée, du moins en comparaison de celle des droits du créancier cautionné que favorise la multiplicité des sanctions auxquelles la loi comme la jurisprudence l’exposent, que la présente décision, qui décide de déchoir partiellement une caution de son droit à remboursement, ne pouvait être que rapportée.
En l’espèce, une banque avait consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier garanti par le cautionnement d’une société. À la suite d’échéances impayées, la banque avait prononcé la déchéance du terme et demandé à la caution de procéder à leur règlement. Après avoir accédé à sa demande, la caution avait mis en demeure les emprunteurs de lui rembourser les sommes que leur créancier lui avait réclamées. Pour y échapper, les emprunteurs avaient alors assigné la banque et la caution en nullité des contrats de prêt et de cautionnement et en paiement de dommages-intérêts. Constatant la nullité du contrat de prêt, que l’irrégularité d’un démarchage effectué auprès des emprunteurs avait entaché, la cour d’appel les condamna en conséquence de cette annulation à payer à la caution ce qu’ils auraient dû verser à la banque, à savoir le capital prêté, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes déjà payées.
Un pourvoi principal est formé par la caution, qui se voyait ainsi déchue, même partiellement, de son droit à remboursement, au motif attaqué qu’en ayant désintéressé la banque sur simple présentation par celle-ci d’une lettre l’engageant à la tenir informée de sa décision à la suite du non-paiement des emprunteurs, et n’ayant pas préalablement informé les débiteurs de cette sollicitation, quand ils disposaient pourtant d’un moyen de nullité permettant d’invalider partiellement leur obligation principale, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que les débiteurs n’auraient pas eu à acquitter.
Reprochant à l’arrêt d’avoir ainsi limité la condamnation des emprunteurs, la demanderesse au pourvoi faisait valoir qu’une caution ne perd son droit de recours contre le débiteur principal qu’à la triple condition d’avoir payé le créancier sans qu’elle ait été judiciairement poursuivie, de ne pas en avoir averti le débiteur principal lequel, au moment où le paiement a été effectué, avait les moyens d’éteindre sa dette. Et de soutenir, concernant la deuxième de ces conditions, que l’avertissement du débiteur au sens de l’article 2308 du Code civil ne doit pas nécessairement résulter d’une information expresse par la caution de son paiement à venir, mais qu’il peut également découler des circonstances de l’espèce.
Or en l’occurrence, il était établi que la banque avait notifié aux débiteurs la déchéance du terme et que le contrat de prêt précisait qu’en cas de défaillance des emprunteurs dans le remboursement de leur prêt et, consécutivement, de l’exécution par la caution de son obligation de règlement, celle-ci exercerait son recours contre les emprunteurs, conformément aux articles 2305 s. du Code civil. Ainsi les débiteurs avaient-ils bien été avertis de ce que la déchéance du terme ayant été prononcée par la banque, elle allait, en sa qualité de caution solidaire du prêt, payer les sommes dues à leur place. Mais son pourvoi est rejeté, la Cour de cassation considérant que « la cour d’appel (…) a déduit, à bon droit, de la lettre adressée par la banque à la caution qu’en l’absence d’information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l’article 2308 du Code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n’auraient pas eu à acquitter ».
Un pourvoi incident est formé par les emprunteurs, considérant que la caution ayant payé sans avoir été poursuivie et sans les en avoir avertis devait être déchue totalement de son droit à remboursement. Leur pourvoi est rejeté par les hauts magistrats, jugeant qu’« il résulte des constatations de l’arrêt qu’au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt », pour en conclure que « dès lors que cette annulation conduisait à ce qu’ils restituent à la banque le capital versé, déduction faite des sommes déjà payées, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que leur obligation de remboursement à l’égard de la caution devait être limitée dans cette proportion ».
Rarement appliqué en pratique (v. cpdt: Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-27.963 ; Com. 28 janv. 2014, n° 12-28.728), l’article 2308 du Code civil prévoit pourtant expressément deux cas d’exclusion du recours personnel de la caution contre le débiteur principal :
- d’une part, « la caution qui a payé une première fois n’a point de recours contre le débiteur principal qui a payé une seconde fois lorsqu’elle ne l’a point averti du payement par elle fait ; sauf son action en répétition contre le créancier » (al. 1er) ;
- d’autre part, « lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n’aura point de recours contre lui dans le cas où, au moment du payement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; sauf son action en répétition contre le créancier » (al. 2).
C’est cette dernière cause de déchéance, justifiée par le paiement de la caution sans poursuite par le créancier ni avertissement des débiteurs préalables qui fonde la décision ici rendue. Celle-ci ménage les intérêts de la caution que le texte de l’article 2308, alinéa 2, du Code civil, interprété à la lettre, aurait dû conduire à léser plus gravement puisque cette disposition implique, faute de tout recours susceptible d’être exercé par la caution contre le débiteur principal (la caution « n’aura point de recours »), une déchéance totale et non partielle du droit au remboursement de la caution.
Ainsi le pourvoi incident formé par les emprunteurs, fondé sur cette interprétation littérale du texte, aurait-il pu être accueilli, d’autant plus que le droit par ailleurs détenu par la caution d’agir en répétition de l’indu contre le créancier demeurait, quant à lui, inchangé. La liberté prise par les hauts magistrats avec la lettre du texte de l’article 2308, alinéa 2, du Code civil, pourtant d’interprétation stricte (v. P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, 7e éd., n° 209, p. 204), s’explique sans doute par leur volonté d’obtenir un équilibre entre la sanction nécessaire du comportement de la caution, qui pour cette raison voit son droit à remboursement limité, et la préservation des droits des débiteurs, bénéficiant d’une égale limitation de leur obligation de remboursement à l’égard de la caution. Elle se comprend également au regard des circonstances de l’espèce qui ne permettaient pas de satisfaire complètement les conditions en principe cumulatives d’application de l’article 2308. En effet, si la caution avait bien « payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal », la banque s’étant adressée à elle sans l’avoir judiciairement poursuivie, le texte exige aussi que le débiteur ait « eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte », ce qui n’était pas le cas en l’occurrence, la cour admettant d’ailleurs expressément qu’au moment du paiement « les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte », ne disposant que d’un moyen qui leur aurait permis d’invalider, et seulement partiellement, leur obligation principale.
La solution peut enfin s’expliquer par le souci de se conformer aux règles, pour la plupart récentes, connexes à celles en l’espèce mises en œuvre. Il est acquis et désormais légalement prévu que tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeurant valable, le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte (v. notam. Com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757 ; Com. 5 juill. 2006, n° 03-21.142 ; Civ. 3e, 5 nov. 2008, n° 07-17.357 ; rappr. Com. 12 janv. 2016, n° 14-17.215, ayant étendu cette solution à l’hypothèse de la résolution du contrat).
Par sa mesure, cette décision permet-elle de concilier les droits et intérêts de chacune des parties au litige et de se conformer à l’article 1352-9 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, consacrant la jurisprudence précitée en disposant que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme ».
Dans le même sens, la décision rapportée fait preuve de la même souplesse d’interprétation que celle induite en jurisprudence par la récente ordonnance relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global (Ord. n° 2019-740 du 17 juill. 2019) pour moduler la déchéance du droit aux intérêts du créancier, dans la proportion fixée par le juge, et ce même pour les conventions conclues antérieurement à son entrée en vigueur (v. Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287, Civ. 1re, avis, 10 juin 2020, n° 20-70.001).
Appuyant cette orientation générale du droit des sûretés, la Cour de cassation privilégie ici l’esprit à la lettre du texte pour moduler la déchéance du droit de la caution à un remboursement dont elle aurait dû être entièrement privée.
Références :
■ Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-27.963: AJDI 2019. 292
■ Com. 28 janv. 2014, n° 12-28.728: D. 2014. 1610, obs. P. Crocq
■ Com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757 P
■ Com. 5 juill. 2006, n° 03-21.142 P: D. 2006. 2126 ; RTD com. 2006. 888, obs. D. Legeais
■ Civ. 3e, 5 nov. 2008, n° 07-17.357 P: D. 2008. 2932 ; RTD civ. 2009. 148, obs. P. Crocq
■ Com. 12 janv. 2016, n° 14-17.215
■ Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287 P: D. 2020. 1440 ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger
■ Civ. 1re, avis, 10 juin 2020, n° 20-70.001 P: D. 2020. 1410, point de vue G. Biardeaud ; RDI 2020. 446, obs. J. Bruttin
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