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Caution : sa volonté se respecte mais la disproportion de son engagement se prouve !
Mots-clefs : Cautionnement, Caution personne physique, Créancier professionnel, Disproportion, Charge de la preuve, Obligation du créancier de se renseigner, Limites, Étendue du cautionnement, Interprétation souveraine des juges, Limite, Dénaturation
Si le créancier professionnel a le devoir, au titre de son obligation de conseil et de mise en garde, de s'enquérir de la situation patrimoniale de la caution, il reste néanmoins en droit de se fier aux informations qui lui sont fournies, qu'il n'est pas tenu de vérifier, sauf anomalies apparentes, et, ainsi, légitimement considérer que le cautionnement n’est pas disproportionné. En revanche, la contestation par la caution du montant de la somme due au titre de son engagement est recevable, le cautionnement ne pouvant être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté sans dénaturer la loi des parties.
Une banque assigne en paiement la caution solidaire de deux prêts bancaires qu’elle avait consentis. La cour d’appel fait droit à sa demande et condamne la caution au paiement de la somme en principal assortie des intérêts au taux prévu au contrat et capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.
La caution forme un pourvoi en cassation. À titre principal, elle invoque la déchéance du droit de son créancier en raison de la disproportion, ab initio, de son engagement et, à titre subsidiaire, conteste le montant de la somme qui lui fut ordonnée de payer, supérieur à celui souscrit.
Cassant partiellement la décision des juges du fond, la Cour refuse de se prononcer sur le premier moyen, relatif à la disproportion de l’engagement, les conditions d'application de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, n’étant pas réunies. En effet, le demandeur au pourvoi n’avait pas rapporté la preuve, qui lui incombait (v. not. Com. 22 janv. 2013) d’une telle disproportion, les éléments versés au débat établissant au contraire qu’il avait fourni des informations erronées et partielles sur sa situation que la banque, en l'absence d'anomalies apparentes, n'était pas tenu de vérifier.
Or si le créancier a le devoir de s'enquérir de la situation patrimoniale de la caution, il reste néanmoins en droit de se fier aux informations qui lui sont fournies, qu'il n'est pas tenu de vérifier, sauf contradictions manifestes.
En l’espèce, la caution a fourni des renseignements au moyen d'un document qu'elle avait signé, même sans l’avoir elle-même établi. Le créancier a pu légitimement s’y fier, malgré la découverte ultérieure de leur inexactitude et de leur incomplétude, et considérer que le cautionnement litigieux n'était pas disproportionné (v. déjà Com. 14 déc. 2010).
En revanche, au visa des articles 1134 et 2292 du Code civil, la décision de la cour d’appel est censurée au motif que le cautionnement ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté sans dénaturer la loi des parties.
La connaissance par la caution de l’étendue de son engagement doit conduire les juges à vérifier que la caution avait, de façon non équivoque et certaine, conscience de l’existence et de la mesure de son engagement, ce qui n’exclut pas une certaine souplesse d’appréciation.
Ainsi, lorsque comme en l’espèce, la caution s’engage pour une somme indéterminée en raison du taux d’intérêts variable stipulé au contrat, cet engagement demeure valable dès lors que la somme est déterminable et que la caution avait sans nul doute connaissance de la nature et du périmètre de son obligation au jour où elle l’a souscrite (v. déjà Civ. 1re, 12 nov. 1987).
Les juges du fond ont un pouvoir souverain d’interprétation pour déterminer l’étendue de l’engagement de la caution, sous la réserve, bien connue de la dénaturation. Cette théorie se fonde sur l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, la souveraineté de la volonté des parties exigeant que le contrat soit exécuté conformément aux termes de la « loi » qu’elles ont entendu se donner. Le respect de la loi des parties impose aux juges, concernant l’interprétation du contrat, d’utiliser une méthode leur permettant de rechercher, pour la respecter, cette volonté.
Or cette question de la juste interprétation du contrat par le juge en a très vite amené une autre : l’interprétation du contrat est-elle une question de droit susceptible d’être contrôlée par la Cour de cassation ou une question de fait tranchée souverainement par les juges du fond ?
Dans les premières années de son existence, la Haute juridiction, prenant à la lettre les expressions de l’article 1134, considérait que les contrats et, plus généralement, les actes juridiques, constituaient des lois susceptibles à ce titre de donner ouverture à cassation ; elle se réservait donc le droit de contrôler si les juges du fond avaient bien ou mal interprété la volonté des parties.
Mais par le célèbre arrêt Lubert (2 févr. 1808), la Cour a rompu avec cette jurisprudence en réservant aux juges du fond un pouvoir souverain d’interprétation du contrat. Cependant, ce pouvoir n’est pas absolu. Il est notamment limité par la dénaturation, visant à interdire au juge de s’arroger, sous couvert d’interprétation, le pouvoir de modifier le sens ou le contenu d’un contrat pourtant dépourvu d’ambiguïté.
Lorsque la volonté des parties est, comme en l’espèce, clairement exprimée, le juge se doit de la respecter (Civ. 15 avr. 1872) en sorte que la caution qui a étendu sa garantie aux intérêts du montant principal cautionné, mais dans la limite d’un plafond que la capitalisation des intérêts conduit à dépasser, ne peut être ainsi tenue au paiement d’une somme globale supérieure au montant de l'engagement contractuellement convenu.
Civ. 1re, 18 févr. 2015, n°13-28.265
Références
■ Com. 22 janv. 2013, n° 11-17.954.
■ Com. 14 déc. 2010, n° 09-69.807.
■ Civ. 1re, 12 nov. 1987, D. 1988, somm. 272, obs. L. Aynès.
■ Cass., sect. réun., 2 févr. 1808, H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les Grands Arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, Dalloz, 12e éd., 2008, n° 160.
■ Civ. 15 avr. 1872, H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les Grands Arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, Dalloz, 12e éd., 2008, n° 161.
■ Code civil
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
« Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. »
« Le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté. »
■ Article L. 341-4 du Code de la consommation
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
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