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Cautionnement : de nouvelles précisions sur l’appréciation de la disproportion
Mots-clefs : Cautionnement, Proportionnalité, Critères d'appréciation, Revenus escomptés de l’opération (non), Devoir d’alerte, Caution profane, Associé
La disproportion de l'engagement de la caution ne saurait s'apprécier en tenant compte des revenus escomptés de l'entreprise dont les dettes sont cautionnées.
Une banque avait consenti à une société un prêt de 100 000 euros garanti, par acte du 13 août 2005, par une caution personne physique, solidaire de l'emprunteur, à concurrence de la somme de 130 000 euros. A la suite d'incidents de paiement, la banque avait assigné la caution en paiement. Pour se libérer de son engagement, celle-ci lui avait opposé sa disproportion avec ses biens et ses revenus, comme le prévoit l’article L. 341-4 du Code de la consommation. Elle avait, également, cherché à engager la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde.
Pour dire que le cautionnement n'était pas manifestement disproportionné à ses revenus, la cour d’appel retint que l'avis d'imposition sur le revenu de 2005 de cette dernière n’était pas suffisamment significatif. Il ne prenait pas en compte les revenus escomptés de l'investissement réalisé par la société cautionnée dont la caution était également associée. Elle exclut également tout manquement de la banque à son devoir de mise en garde, retenant, d'une part, que la caution avait rédigé et signé la mention manuscrite portée sur l'acte sous seing privé de cautionnement et ne pouvait en conséquence ignorer la substance de son engagement, d’autant plus qu'elle avait pris le soin d’en plafonner le montant et qu’elle avait souscrit, dans cette perspective, une demande d'adhésion à une assurance de groupe et, d'autre part, qu'elle était associée et, à ce titre, intéressée au financement garanti.
Au visa des articles L. 341-4 du Code de la consommation et 1147 du Code civil, la décision des juges du fond est censurée. La Cour affirme que la proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie et que la responsabilité de la banque ne pouvait être ainsi exclue par des motifs impropres à caractériser l'exécution par la banque de son obligation de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie.
Si les décisions de la Cour de cassation apportant un éclairage sur les critères d'appréciation de la disproportion de l'engagement de la caution (C. consom., art. L. 341-4) sont nombreuses, celle rapportée mérite une attention particulière en ce qu’elle confirme le choix de la première chambre civile de s’aligner sur la position de la chambre commerciale (Com., 4 juin 2013, n° 12-18.216) pour considérer que la disproportion de l’engagement de la caution ne saurait s’apprécier en tenant compte des revenus escomptés de l’entreprise dont les dettes sont cautionnées (Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-23.489).
En effet, la première chambre avait, dans un premier temps, admis que la proportionnalité de l'engagement de la caution puisse être appréciée au regard des revenus attendus de l'opération garantie (Civ. 1re, 4 mai 2012, n° 11-11.461 : n’est pas disproportionné l'engagement de caution du gérant d'une société dont la cour d'appel a apprécié souverainement les facultés contributives au regard, notamment, des perspectives de développement de l'entreprise qu’il avait créée), avant de revenir, récemment, sur sa position, ici rappelée. En l’espèce, la cour d'appel avait, pour apprécier la disproportion du contrat de cautionnement au jour de sa conclusion, pris en compte les résultats escomptés de l'opération garantie par la caution. Autrement dit, elle avait mesuré la disproportion non pas sur la base d’un patrimoine existant, mais sur celle d'un patrimoine à venir.
La Cour de cassation censure logiquement cette méthode, la disproportion devant, par principe, être appréciée à la date où la caution prend son engagement à l'égard du prêteur, sauf à ce que ce dernier parvienne à établir, au jour de l’appel en paiement, une amélioration du patrimoine de la caution suffisante à effacer la disproportion originelle. En revanche, à l’effet de protéger la caution, et même dans le cas où l’investissement réalisé promet d’être fructueux, la Cour refuse de tenir compte de cet éventuel succès lequel, s’il se réalisait, priverait la caution, alors apte à exécuter son engagement lors de l’appel en paiement, de la possibilité d’invoquer la disproportion manifeste, et initiale, de son engagement. Enfin, concernant le devoir d’alerte du banquier, la Cour précise que le prêteur professionnel n'est pas déchargé de son devoir de conseil et de mise en garde à l'égard de la caution, s'agissant notamment de l'impact de son engagement eu égard à ses facultés contributives, du seul fait de la rédaction et de la signature de la mention manuscrite dans l'acte de cautionnement.
Certes, ce formalisme requis ad validitatem (C. consom., art. L. 341-2) a pour but de garantir la connaissance par la caution de la portée de son engagement et d’en limiter l'étendue par l’indication, impérative, de sa durée et du montant de la somme garantie. Cependant, son respect ne peut avoir pour effet de dispenser le prêteur de son devoir d’alerte dû à la caution profane, cette qualité, rappelle la Cour, n’étant pas en soi incompatible avec celle d'associé du débiteur principal. En effet, si les associés d’une société sont généralement considérés comme avertis lorsqu'ils en sont les fondateurs ou qu’ils détiennent la majorité du capital social (Com., 13 févr. 2007, n° 05-18.633), la caution, en l’espèce, n’ayant pas ces qualités, devait être considérée comme non avertie et à ce titre, créancière de l’obligation de mise en garde incombant au banquier dispensateur de crédit.
Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-13126 et 14-17203
Références
■ Code civil
Article 1147
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
■ Code de la consommation
Article L. 341-2
« Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. » »
Article L. 341-4
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
■ Com., 4 juin 2013, n° 12-18.216, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq, Rev. sociétés 2013. 680, note D. Legeais.
■ Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-23.489, D. 2015. 204, obs. V. Avena-Robardet, RTD civ. 2015. 183, obs. P. Crocq.
■ Civ. 1re, 4 mai 2012, n° 11-11.461, D. 2012. 1260, RDI 2012. 396, obs. H. Heugas-Darraspen, RTD civ. 2012. 556, obs. P. Crocq, RTD com. 2012. 602, obs. D. Legeais
■ Com., 13 févr. 2007, n° 05-18.633.
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