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[ 7 novembre 2019 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Cautionnement disproportionné : le gérant de société est également protégé

Le banquier ayant fait souscrire à une caution un engagement disproportionné a la charge de prouver son retour à meilleure fortune en cas d’appel en paiement et doit l’indemniser du préjudice causé par le manquement au devoir de mise en garde dont il est tenu envers toute caution profane, fût-elle professionnelle.

Un gérant de société et son épouse s’était rendus, par deux actes notariés datés du 10 juillet et du 29 août 2008, cautions solidaires du remboursement d’un prêt consenti à l’entreprise du mari, à concurrence de 122 000 euros. Par acte authentique en date du 6 octobre 2008, le couple s’était également rendu caution solidaire envers la banque de tous les engagements susceptibles d’être souscrits par leur société. Par un quatrième acte en date du 13 décembre 2010, le gérant avait à nouveau consenti à garantir le remboursement d’un prêt de 95 000 euros consenti par la banque à sa société, puis par un dernier acte passé le 8 novembre 2012, il s’était porté caution de l’ensemble des engagements pouvant être pris par sa société. Après que celle-ci fut placée en redressement puis en liquidation judiciaires, la banque avait assigné, le 14 mars 2014, le couple en paiement lequel avait, pour y échapper, invoqué la disproportion de leurs engagements et recherché la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde. 

La cour d’appel rejeta leurs demandes. Elle jugea d’une part, après avoir pourtant retenu qu’à la date de leur souscription, les cautionnements du 13 décembre 2010 et du 8 novembre 2012 étaient manifestement disproportionnés, qu’à défaut d’éléments de preuve supplémentaires à ceux soumis au juge de première instance, qui seuls auraient permis « d’appréhender correctement la réalité de sa situation financière au 14 mars 2014, date à laquelle ces cautionnements ont été appelés », la preuve d’un appauvrissement susceptible d’obérer la patrimoine du couple, et donc de la disproportion alléguée, n’était pas rapportée, de sorte que les cautionnements dénoncés devaient être considérés comme proportionnés à leur patrimoines et partant, valables. 

D’autre part, elle refusa d’accueillir la demande indemnitaire du couple fondée sur le prétendu manquement de la banque à son devoir de mise en garde au motif que l’époux, en sa qualité de gérant et d’associé unique de la société, « à la vie de laquelle il participait activement », ne pouvait se méprendre sur la portée de son engagement ni donc, contrairement à ce qu’il prétendait, être considéré comme une caution profane, de même que son épouse qui, en cette qualité, ne pouvait être non plus, de par ses liens avec le gérant et associé unique de la société débitrice, être considérée comme profane. 

Les Hauts magistrats condamnent l’intégralité de cette analyse. 

Sous l’angle de la charge de la preuve, la censure était, au regard des textes issus tant du droit commun que du droit spécial, attendue. Rappelons que l’article L. 341-4 (devenu L. 332-1 et L. 343-4) du Code de la consommation, interdit à un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique, fut-elle dirigeante (V. Com. 30 mars 2010, n° 09-65.923 ; 13 avr. 2010, n° 09-66.309), dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée, lui permette de faire face à son obligation. Or il résulte de la combinaison de ce texte et de l’article 1353 du Code civil (anc. art. 1315) que si la caution supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, une fois cette preuve rapportée, c’est naturellement au créancier qui entend se prévaloir de cet engagement d’établir le retour à meilleure fortune de la caution au moment où il l’a appelée en garantie. C’est pourquoi la Cour de cassation reproche à juste titre à la cour d’appel d’avoir, dans cette affaire, inversé la charge de la preuve : le gérant ayant pu établir la disproportion manifeste des cautionnements litigieux, « c’était à la banque d’établir qu’à la date où la caution avait été appelée, le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à ses obligations ».

Sous l’angle indemnitaire, la cassation était également encourue. Précisons qu’indépendamment de la sanction de la disproportion du cautionnement prévue par le droit spécial de la consommation, qui réside dans l’inefficacité de l’engagement et la libération corrélative de la caution l’ayant souscrit, la caution peut également obtenir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, des dommages-intérêts en raison du manquement commis par la banque créancière à son devoir de mise en garde (Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673) lequel inclut, d’une part, l’obligation du banquier de vérifier la solvabilité de la caution et la proportionnalité du financement de l’opération qu’elle se propose de garantir avec l’état de sa situation patrimoniale et, d’autre part, celle de refuser la garantie de cautions qu’elle juge en conséquence inaptes à garantir sans risque excessif l’opération envisagée, faute de quoi elle sera sanctionnée pour leur avoir fait perdre une chance de ne pas contracter et, à ce titre, condamnée à leur verser des dommages-intérêts. Or si la sanction de la disproportion de l’engagement de la caution, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de cette disproportion et s’applique par conséquent mécaniquement à tous les engagements cautionnés, qu'ils le soient par des entreprises ou par des particuliers (Com. 22 juin 2010, n° 09-67.814) , la sanction du manquement au devoir de mise en garde, visant au contraire à indemniser le dommage subi, suppose de prendre en compte la qualité de la victime d’un tel manquement : ainsi seules les cautions profanes peuvent-elles se prévaloir d’un tel manquement (V., pour une récente application, Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294). Ceux à même, de par leurs compétences professionnelles, leur expérience, leur environnement global ou leur connaissance particulière du monde bancaire, d’apprécier les risques liés au cautionnement, ne peuvent utilement invoquer un défaut de mise en garde pour obtenir réparation. La caractérisation des compétences de la caution dépend d’une variété d’éléments impliquant une appréciation in concreto ; c’est pourquoi en l’espèce, la Cour de cassation reproche aux juges d’appel d’avoir abstraitement considéré l’époux comme une caution avertie en raison de sa qualité de gérant de société, alors qu’il ne l’avait en fait revêtue qu’au moment de garantir les premiers prêts consentis à la société qu’il venait juste de créer, « sans s’expliquer (…) sur le fait qu’il avait été salarié en qualité de chef de chantier jusqu’en 2008 et n’avait débuté l’activité de sa société qu’à partir de l’acquisition du fonds de commerce qui avait donné lieu aux deux premiers cautionnements » ; et a fortiori, la seule qualité d’épouse du gérant de la caution ne pouvait davantage suffire à considérer celle-ci comme avertie.

Com., 9 oct. 2019, n°18-11.969

Références

■ Com. 30 mars 2010, n° 09-65.923

■ Com. 13 avr. 2010, n° 09-66.309, D. 2011. 406, obs. P. Crocq

■ Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673, D. 2007. 2081, note S. Piédelièvre ; ibid. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais

■ Com. 22 juin 2010, n° 09-67.814, D. 2010. 1985, obs. V. Avena-Robardet, note D. Houtcieff ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2010. 593, obs. P. Crocq ; RTD com. 2010. 552, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 2011. 171, obs. A. Martin-Serf

■ Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294, D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; AJ Contrat 2017. 494, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018. 23, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2018. 182, obs. P. Crocq

 

Auteur :Merryl Hervieu


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