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Cautionnement disproportionné : peu importe le succès de l’opération garantie
Mots-clefs : Cautionnement, Personne physique, Dirigeant, Disproportion, Appréciation, Succès de l’opération (non)
La proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie.
Les 30 novembre 2006 et 23 décembre 2008, une personne physique s’était rendue caution solidaire envers un établissement bancaire de prêts consentis à deux sociétés dont elle était dirigeante, à concurrence l’un de 71 500 euros et l'autre de 156 000 euros. Les sociétés débitrices ayant été mises en redressement puis en liquidation judiciaires, le 23 mai et le 30 septembre 2011, la banque avait assigné la caution en exécution de ses engagements, qui s’était prévalue de leur disproportion. Pour condamner la caution au titre du premier prêt consenti, la cour d’appel retint que son endettement n'apparaissait pas manifestement disproportionné à ses revenus et à son patrimoine compte tenu du succès escompté de l'opération commerciale financée. Au visa de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, cette décision est cassée au motif que la proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie.
La chambre commerciale de la Cour de cassation affirme régulièrement que la proportionnalité de l'engagement de la caution ne doit pas être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie (Com. 10 févr. 2015, n° 13-27.141. Com. 27 janv. 2015, n° 13-27.625 et n° 13-25.202. Com. 6 févr. 2007, n° 04-15.362) et après s’être prononcée en sens contraire (Civ. 1re, 4 mai 2012, n° 11-11.461 et n° 11-11.464, approuvant une cour d'appel qui avait souverainement apprécié les facultés contributives de la caution « au regard, notamment, des perspectives de développement de l'entreprise qu'[elle] avait créée »), la première chambre civile partage désormais cette position (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-13.126), affirmant également que la proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie. La décision rapportée reprend à l’identique cette solution dans son attendu.
Ainsi ces deux chambres s’accordent-elles désormais sur le rejet d’une conception dynamique du patrimoine de la caution. Pourtant, l'appréciation du patrimoine et des revenus de la caution pourrait s'opérer en tenant compte de ses perspectives d'évolution. En effet, il est fréquent que la caution ne soit pas appelée en garantie dans les mois qui suivent l'octroi de la sûreté, il est dès lors concevable d'anticiper sa situation future, ce qui se révèlerait particulièrement utile s'agissant de cautionnements fournis par des dirigeants. Même la Chambre commerciale (9 avr. 2013, n° 12-14.696) avait une fois adopté cette analyse. Une caution non imposable s'était vue refuser le bénéfice de l'article L. 341-4 du Code de la consommation. Mais elle disposait de 99 % des parts de la société bénéficiaire du prêt. La Cour de cassation avait alors approuvé la cour d'appel d'en avoir déduit que la caution disposait d'un patrimoine significatif et que dans son appréciation souveraine de la portée de l'ensemble des éléments versés au débat, la caution ne rapportait pas la preuve d'une disproportion manifeste. La cour d'appel avait ainsi tenu compte des perspectives de développement de l'entreprise adoptant ainsi une vision dynamique du patrimoine. C'est cette lecture que souhaite à nouveau ici exclure la Chambre commerciale, qui privilégie une vision statique du patrimoine et des revenus de la caution. Désormais, il ne fait donc plus de doute que les hauts magistrats privilégient cette approche très favorable à la caution, d’autant plus que la solution se trouve applicable aux cautions d'entreprises, l'article L. 341-4 du Code de la consommation visant sans distinction toutes les cautions personnes physiques. Cette règle de faveur peut sembler abusive si l’on songe par exemple à l’hypothèse d’une caution dont les revenus seraient faibles et le patrimoine modeste mais qui participerait à un fonds dégageant des bénéfices importants. Néanmoins, plusieurs arguments peuvent être avancés pour justifier la position de la Cour. Tout d'abord, cette approche est la plus simple à mettre en œuvre et prévient donc le contentieux. Ensuite, si l'enrichissement envisagé par le créancier au jour du cautionnement se réalise effectivement, la caution, revenue à meilleure fortune au moment où elle est poursuivie, ne pourra alors plus faire valoir la disproportion de son engagement initial. Enfin, si la prise en compte du succès éventuel de l'opération garantie peut se comprendre lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité de la banque à l'égard de l'emprunteur, celle-ci est, en revanche, plus contestable dans le cas de la caution puisque l'exécution de l'engagement de la caution suppose, par définition, que l'opération garantie n'ait pas connu le succès escompté (V. D. Legeais, Rev. sociétés, 2013. 680).
Com., 22 septembre 2015, n° 14-22.913.
Références
■ Code de la consommation
■ Com. 10 févr. 2015, n° 13-27.141.
■ Com. 27 janv. 2015, n° 13-27.625 et n° 13-25.202, Rev. sociétés 2015. 306, obs. S. Prévost.
■ Com. 6 févr. 2007, n° 04-15.362, D. 2007. 575, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2007. 372, obs. P. Crocq.
■ Civ. 1re, 4 mai 2012, n° 11-11.461 et n° 11-11.464, D. 2012. 1260 ; RDI 2012. 396, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2012. 556, obs. P. Crocq ; RTD com. 2012. 602, obs. D. Legeais.
■ Civ. 1re , 3 juin 2015, n° 14-13.126, D. 2015. 2044, obs. V. Avena-Robardet, note C. Juillet ; ibid. 1810, obs. P. Crocq.
■ Com. 9 avr. 2013, n° 12-14.696.
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