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[ 27 juin 2023 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Cautionnement : durée du droit de poursuite du créancier

En l'absence de stipulation expresse contractuelle limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier, le fait que la caution soit appelée à payer postérieurement à la date limite de son engagement est sans incidence sur l'obligation de la caution portant sur la créance née avant cette date. Cette règle s'applique même lorsque le cautionnement est consenti pour une dette déterminée.

Com. 1er juin 2023, n° 21-23.850 B

Par un acte du 11 décembre 2009, une banque avait consenti à une société un prêt d'une durée de 84 mois, garanti par le cautionnement solidaire de deux personnes physiques, conclu pour une durée de 108 mois. La société ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque avait, le 12 janvier 2019, assigné en paiement les cautions, qui lui avaient opposé l'extinction, depuis le 11 décembre 2018, de leurs obligations de règlement au titre de leurs cautionnements. En ce sens, la cour d’appel déclara l'action introduite par la banque irrecevable comme forclose, au motif que la durée des cautionnements souscrits pour garantir une dette déterminée ne pouvait être analysée à l’aune de la distinction, en l’espèce inopérante, des obligations de règlement et de couverture, en sorte que leur limitation dans le temps devait être déterminée en considération des termes du contrat. Or en l’espèce, la fixation d'une durée au cautionnement excédant le terme de l'obligation principale ne pouvait s'interpréter autrement que comme l’expression de la commune intention des parties de stipuler un délai limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier ; en effet, les stipulations contractuelles produites révélaient que les parties avaient entendu faire correspondre la durée de l'engagement des cautions et la durée du prêt, prolongée de deux ans, afin de permettre à la banque d'agir contre les cautions au titre de leur obligation de règlement en cas de défaillance de la société emprunteuse et que la prolongation de deux ans de la durée de leur engagement, au-delà de l'échéance de l'obligation principale, ne pouvait avoir d'autre sens que de déterminer la durée de l'obligation de règlement des cautions et, partant, de fixer un terme au délai d'action de la banque envers celles-ci. Soutenant qu’aucune stipulation restreignait ainsi dans le temps son droit de poursuite, la banque forma un pourvoi en cassation, avec succès puisque la chambre commerciale censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et de l’article 2292 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021. Elle rappelle qu’il résulte de ces textes qu'en l'absence de stipulation expresse contractuelle limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier, le fait que la caution soit appelée à payer postérieurement à la date limite de son engagement est sans incidence sur son obligation de régler la dette née avant cette date. Or pour déclarer la banque irrecevable comme forclose, l'arrêt d’appel a retenu que lorsque le cautionnement garantit une dette déterminée, l'obligation de couverture et l'obligation de règlement sont confondues pour avoir dès l'origine une même étendue, définie par référence à la dette garantie, et pour s'éteindre en même temps. Il en avait alors déduit que la fixation d'une durée au cautionnement excédant le terme de l'obligation principale ne peut s'interpréter que comme exprimant la commune intention des parties de stipuler un délai limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier. La Haute juridiction en conclut qu’en se déterminant ainsi, sans relever l'existence dans le contrat de cautionnement d'une stipulation expresse restreignant dans le temps le droit de poursuite de la banque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Cet arrêt rappelle la distinction, nécessaire à définir la durée des engagements de la caution, entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement. L'obligation de couverture détermine l'étendue de la garantie au jour de l'engagement quand l'obligation de règlement détermine chacune des dettes entrées dans le champ du cautionnement. Ces deux obligations s’inscrivent, par principe, dans des temps différents dont la détermination influence directement le droit de poursuite du créancier. En effet, le cautionnement couvre les dettes nées entre la date de sa conclusion et son terme, mais cette période déterminant l’obligation de couverture ne préjuge pas de sa mise en œuvre après ce terme (obligation de règlement). Ainsi, l’obligation de règlement perdure-t-elle au-delà de l’obligation de couverture, ce qui autorise le créancier à poursuivre la caution, même après l’expiration de la période de couverture. Par conséquent, si l'extinction du cautionnement met un terme à l'obligation de couverture de la caution, qui ne sera pas tenue des dettes nées après cette date, elle n’éteint pas son obligation de règlement si bien que la caution reste tenue de garantir non seulement les dettes nées et devenues exigibles entre la souscription du cautionnement et son terme, mais également les dettes nées pendant cette période de couverture et devenues exigibles après.

En l’absence d’incidence de l’obligation de couverture sur l’obligation de règlement, la décision rapportée rappelle que sauf clause contraire de l'acte de cautionnement, le créancier peut agir en paiement d’une dette antérieure à l’extinction du cautionnement, dont la caution reste tenue après son terme. La solution n’est pas nouvelle (v. not. Civ. 1re, 19 juin 2001, n° 98-16.183), la Cour précisant toutefois qu’elle s’applique même lorsque le cautionnement porte sur une dette déterminée. Autrement dit, la règle n’est pas réservée aux dettes futures (v. C. civ., art. 2316). Au cas d’espèce, le fait que la caution ait été poursuivie postérieurement à la date limite de son engagement est donc, sans surprise, jugé indifférent, bien que son obligation portait sur une dette née avant cette date. Pour justifier l’action du créancier, la Cour souligne également qu’aucune stipulation du contrat de cautionnement n’avait prévu de faire exception à cette règle. Or si les parties veulent limiter dans le temps le droit de poursuite du créancier contre la caution, seule une clause expresse le mentionnant sans équivoque le permettra. Sur ce point, la Cour condamne l’interprétation des juges du fond ayant vu dans le délai de prolongation prévu par les parties leur volonté commune de fixer une date limite au droit de poursuite du créancier, la stipulation de ce délai étant jugé équivoque.

Référence :

■ Civ. 1re, 19 juin 2001, n° 98-16.183 P : D. 2001. 2298, et les obs.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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