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Droit des obligations
Cautionnement : proportionnalité et mise en garde pèsent sur les banques !
Mots-clefs : Crédit, Cautionnement, Proportionnalité, Mise en garde, Qualité de la caution, Charge de la preuve, Sanction
Le banquier dispensateur de crédit a l’obligation de faire souscrire à la caution, même dirigeante, un engagement proportionné à ses biens et à ses revenus, ce que le devoir de mise en garde également mis à sa charge lui impose de vérifier, sauf dans le cas où la caution est avertie.
La compagne d’un gérant de société s’était rendue, par un acte daté du 29 novembre 2005, caution solidaire des sommes pouvant être dues par celle-ci, dans la limite de 480 000 euros. Après que la société fut placée en redressement puis en liquidation judiciaires, la banque avait déclaré sa créance et assigné la caution en paiement laquelle avait, pour y échapper, invoqué la disproportion de son engagement et recherché la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde.
La cour d’appel jugea son cautionnement proportionné à ses biens et à ses revenus et donc, valable, et condamna la caution à verser à la banque la somme réclamée. Elle rejeta, en outre, sa demande indemnitaire fondée sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde au motif que la caution, en qualité d’attachée de direction, devait, compte tenu de ses compétences professionnelles, être considérée comme une caution avertie en sorte qu’elle ne pouvait se méprendre sur ses obligations.
La chambre commerciale juge le premier moyen infondé en ce que si l’article L. 341-4 (devenu L. 332-1 et L. 343-4) du Code de la consommation, interdit à un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée, ne lui permette pas de faire face à son obligation, ce texte ne lui impose pas de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Or en l’espèce, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve produits que la cour d’appel, après avoir relevé que la caution n’avait versé aux débats aucune pièce relative à sa situation financière et patrimoniale à la date de la souscription de son engagement, a retenu l’existence et l’importance des biens et revenus de cette dernière au jour de son engagement en se fondant sur la fiche de renseignements préalablement remplie par son concubin et en a déduit que son engagement de caution n’était manifestement pas disproportionné par rapport à ses biens et revenus.
En revanche, relativement au second moyen, la Cour reproche aux juges du fond, au visa de l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, d’avoir jugé la caution avertie sans préciser la nature et la teneur exactes de ses compétences impropres, en l’espèce, à établir cette qualité.
Cette décision a le mérite et l’intérêt de mettre en lumière l’existence ainsi que l’articulation de deux obligations essentielles mises à la charge, depuis une vingtaine d’années au cours desquelles celles-ci n’ont, d’ailleurs, cessé d’être renforcées, du banquier dispensateur de crédit : le respect du principe de proportionnalité et le devoir de mise en garde.
Les juges ainsi que le législateur ont en effet progressivement mais fermement institué le respect d’un principe de proportionnalité entre le montant du cautionnement souscrit et les biens et revenus de la caution en prenant en compte, outre les revenus de la caution, les autres éléments de son patrimoine, notamment ses immeubles, ainsi que son passif existant. Dans l’arrêt Macron du 17 juin 1997, la Haute cour avait pour la première fois consacré ce principe, quelle que soit la qualité de la caution, donc même dirigeante, jugeant une banque fautive d’avoir obtenu un aval « sans aucun rapport avec le patrimoine et les revenus de l’avaliste » (Com. 17 juin 1997, n° 95-14.105). Les cautions « intégrées », averties, ayant abusivement exploité cette jurisprudence pour échapper à leur engagement, la portée de celle-ci fut quelques années plus tard restreinte par l’arrêt Nahoum, conduisant à priver les cautions dirigeantes de la possibilité d’invoquer la disproportionnalité de leur engagement, sauf à établir que la banque créancière « aurait eu, sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès raisonnablement prévisible de l’opération immobilière entreprise par la société des informations qu’eux-mêmes auraient ignorées » (Com. 8 oct. 2002, n° 99-18.619). Puis le législateur est venu combattre cette jurisprudence, jugée drastique, en introduisant dans le Code de la consommation un nouvel article L. 341-4 lequel interdit, de manière très générale, à un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement par une personne physique, fut-elle dirigeante (V. Com. 30 mars 2010, n° 09-65.923. Com. 13 avr. 2010, n° 09-66.309. V. aussi, en droit des procédures collectives, C. com., art. L. 650-1). Ce texte ayant été repris par les articles L. 332-1 et L. 343-4 du Code de la consommation, les nouvelles dispositions lui conservent une portée générale : la loi ne distingue pas entre cautions profanes ou intégrées et tous les crédits cautionnés sont concernés qu'ils soient consentis à des entreprises ou à des particuliers. Or la sanction légale du caractère disproportionné d’un engagement de caution est l’impossibilité pour la banque de s’en prévaloir : il ne s’agit pas pour la caution d’obtenir des dommages-intérêts venant compenser le montant de son obligation ; lorsque la disproportion est constatée, le cautionnement sera considéré comme inefficace et la caution en deviendra totalement libéré (Com. 22 juin 2010, n° 09-67.814 : « La sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion »). Favorable à la caution, cette sanction suppose toutefois, pour être obtenue, que celle-ci parvienne à établir la disproportion de son engagement, preuve dont elle a la charge. En effet, Il appartient à la caution qui oppose au créancier le caractère disproportionné de son engagement de le prouver (Civ. 1re, 7 avr. 1999, n° 97-12.828 : si le créancier a certes le devoir de s'enquérir de la situation patrimoniale de la caution qui lui est présentée, il est en droit de se fier aux informations qui lui sont fournies, qu'il n'est pas tenu de vérifier, en l'absence d'anomalies apparentes. C’est pourquoi si comme dans la décision rapportée, la caution a fourni des renseignements au moyen d'un document qu'elle a signé, même si elle ne l'a pas elle-même établi, et que lesdites informations se révèlent inexactes ou partielles, le juge considèrera que le créancier a pu légitimement se fier aux informations données et considérer que le cautionnement n'était pas disproportionné (Com. 14 déc. 2010, n° 09-69.807).
Cependant, même lorsque l’article L. 341-4 du Code de la consommation ne peut recevoir application, la caution garde la possibilité de demander, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, des dommages-intérêts en raison d’un manquement de la banque à son devoir de mise en garde (Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673) lequel inclut l’obligation du banquier de vérifier la solvabilité de celle-ci et de s’assurer que le financement de l’opération garantie n’est pas disproportionné à ses ressources et à son patrimoine ; dans l’hypothèse où il le serait, la banque a le devoir de refuser aux emprunteurs comme à leurs cautions l’opération de financement, faute de quoi elle sera sanctionnée pour leur avoir fait perdre une chance de ne pas contracter et, à ce titre, condamnée à leur verser des dommages-intérêts calculés suivant un pourcentage librement apprécié par les juges mais dont le montant sera, comme pour toute perte de chance, inférieur au montant de la dette. Pour le dire autrement, l’exigence de proportionnalité existe également dans l’obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit sous la réserve, au demeurant majeure, que seuls les cautions non averties sont créancières d’un tel devoir, dont l’accomplissement au profit de ceux qui sont à même, de par les compétences et informations qu’ils détiennent, d’apprécier les risques liés au crédit, est jugé inutile.
Souverainement appréciée par les juges du fond, la qualité de professionnel n’implique pas automatiquement, comme en témoigne cette affaire, celle de caution avertie. En effet, une diversité d’éléments, non réductibles au seul exercice d’une profession déterminée, sont pris en compte : connaissance du monde des affaires, âge, expériences professionnelles, fréquence des opérations financières et du recours au crédit, montant de l’emprunt cautionné... En l’espèce, il allait de soi que la profession d’attachée de direction de l’épouse ne permettait pas à elle seule de conférer à la caution la qualité de caution avertie, à défaut d’autres éléments susceptibles de la caractériser.
Com. 13 septembre 2017, n° 15-20.294
Références
■ Com. 17 juin 1997, Macron, n° 95-14.105 P : D. 1998. 208, note J. Casey ; RTD civ. 1998. 100, obs. J. Mestre ; ibid. 154, obs. P. Crocq ; RTD com. 1997. 662, obs. M. Cabrillac.
■ Com. 8 oct. 2002, Nahoun, n° 99-18.619 P : D. 2003. 414, note C. Koering ; RDI 2003. 84, obs. J.-M. Berly ; ibid. 164, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2003. 125, obs. P. Crocq ; RTD com. 2003. 151, obs. D. Legeais.
■ Com. 30 mars 2010, n° 09-65.923.
■ Com. 13 avr. 2010, n° 09-66.309 : D. 2011. 406, obs. P. Crocq.
■ Com. 22 juin 2010 , n° 09-67.814 P : D. 2010. 1985, obs. V. Avena-Robardet, note D. Houtcieff ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2010. 593, obs. P. Crocq ; RTD com. 2010. 552, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 2011. 171, obs. A. Martin-Serf.
■ Civ. 1re, 7 avr. 1999, n° 97-12.828.
■ Com. 14 déc. 2010, n° 09-69.807 : D. 2011. 156, obs. V. Avena-Robardet.
■ Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 P et 06-11.673 P : D. 2007. 2081, note S. Piedelièvre ; ibid. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais.
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