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[ 11 juin 2020 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Cautions solidaires : la décharge de l’une emporte l’annulation de l’autre

En cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à être ultérieurement déchargée, les autres cautions peuvent invoquer le vice du consentement tiré de l’erreur sur la substance du contrat pour obtenir, sur le fondement du droit commun contractuel, la nullité de leur engagement, à la condition de démontrer qu’elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement.

Une banque consent un prêt à une société, garanti solidairement par quatre engagements de caution, à hauteur de 90 000 € chacun. A la suite de la défaillance de la débitrice principale, les cautions sont appelées en garantie par la banque, mais l’une d’elles ayant été déchargée par un tribunal de commerce de son engagement en raison de sa disproportion manifeste, avec ses biens et revenus, une autre caution demande, en conséquence de cette décharge, l’annulation de son propre engagement.

La cour d’appel rejette toutefois cette demande et condamne la caution au paiement, aux motifs que l’engagement de caution solidaire a été donné sans réserve ni condition, et que la seule condition suspensive de l'obtention d'un financement insérée dans la promesse synallagmatique de vente, disposition classique dans un avant-contrat de ce type, ne saurait établir l'intention des associés de partager les risques selon un strict principe d'égalité dont il pourrait être déduit qu’elle fût érigée à titre de condition déterminante de leurs engagements respectifs.

Devant la Cour de cassation, la caution soutient que son engagement n’avait été pris qu’en raison de l’existence de trois autres cofidéjusseurs et qu’elle ne se serait jamais engagée si elle avait pu savoir que l’un d’eux ne disposait pas du crédit nécessaire pour assumer ses engagements. La chambre commerciale rend un arrêt de cassation au visa de l’article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, relatif à l’erreur sur la substance du contrat, ayant vicié le consentement de sa victime au point de pouvoir obtenir l’annulation de son engagement : la Haute cour juge en effet que la cour d’appel s’est déterminée « par des motifs impropres à écarter le caractère déterminant, pour l’engagement de caution (litigieux), de l’engagement de son cofidéjusseur ».

La solution est classique. Elle a déjà été retenue en cas d’annulation de l’engagement d’un cofidéjusseur et est appliquée ici en cas de décharge de ce dernier causée par la disproportion de son engagement. Ainsi, « en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l’étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu’elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement » (Civ. 1re, 2 mai 1989, n° 87-17.599). Or parmi les causes possibles de la « disparition » d’un cautionnement figure celle bien connue de la décharge de celui qui l’a souscrit alors que la disproportion manifeste de son engagement par rapport à ses biens et revenus aurait dû conduire la banque à refuser le bénéfice de cette garantie. Or la décharge produit ses effets tant à l’égard du créancier que de ses cofidéjusseurs, privés de leur recours après paiement (Ch. mixte, 27 févr. 2015, n° 13-13.709). Toute la difficulté tient cependant à la preuve du caractère déterminant de l’engagement du cofidéjusseur incombant à celui qui entend se prévaloir d'une erreur sur l'étendue de son engagement pour en obtenir l’annulation. Ainsi en l’espèce, pour rapporter cette preuve, il n’a pas suffi à la demanderesse de convaincre qu'elle ne s'était engagée dans l’opération de reprise de la société que sur la foi du crédit dont disposaient ses partenaires dans l'opération, quand bien même cette confiance était confortée par les accords bancaires qu’elle et ses partenaires avaient obtenus, ni même que leur intention commune était de partager les risques de l'opération comme pouvait en témoigner la condition suspensive liée à l'obtention des financements qu’ils avaient expressément stipulée ; en effet, elle devait encore établir que son engagement de caution solidaire avait été en partie donné en considération de celui pris par celui de ses cofidéjusseurs au point que ce dernier puisse être considéré comme déterminant, à la date de souscription du cautionnement, de son propre consentement. C’est ce qu’elle parvint finalement à prouver, devant la Haute juridiction : compte tenu de l'importance des cautionnements souscrits, garantissant une dette d’un montant de 1 050 000 €, elle ne s'était portée caution de la société débitrice qu'en raison de l'existence respective de trois autres cofidéjusseurs, dont chacun des engagements, pris à l’effet de soutenir une opération d’envergure, revêtait à ses yeux une importance capitale, et se présentait donc comme une condition déterminante de son propre engagement, « la mise à l'écart de l'un d'entre eux l'empêchant notamment de situer le niveau réel de son engagement ». Il en résultait que la demanderesse avait fait de l'existence des autres cautionnements souscrits et notamment celui de la caution par la suite déchargée la condition déterminante de son propre engagement, de sorte qu'elle était fondée à se prévaloir d'une erreur sur l'étendue de son engagement, finalement annulé.

Com. 11 mars 2020, n° 18-19.695

Références

■ Civ. 1re, 2 mai 1989, n° 87-17.599 P: D. 1990. 384, obs. L. Aynès

■ Ch. mixte, 27 févr. 2015, n° 13-13.709 P: D. 2015. 840, obs. V. Avena-Robardet, note M.-O. Barbaud ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJCA 2015. 175, obs. Y. Picod ; RTD civ. 2015. 433, obs. P. Crocq

 

Auteur :Merryl Hervieu


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