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CEDH : pas de restriction à la liberté d’expression des magistrats sur Facebook
Une sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un magistrat pour avoir publié des messages remettant en doute la crédibilité des institutions nationales sur son compte Facebook est contraire à la liberté d’expression garantie à l’article 10 de la Conv. EDH.
CEDH 20 févr. 2024, Danilet c/ Roumanie, n° 16915/21
Un juge roumain connu pour sa participation active dans les débats publics et jouissant d’une notoriété nationale, fut sanctionné pour avoir publié deux messages sur son compte Facebook. Selon le Conseil supérieur de la magistrature roumain (CSM), dans son premier message le juge aurait insinué que les institutions étaient contrôlées par la classe politique et proposé l’intervention de l’armée comme solution pour garantir la démocratie constitutionnelle (v. intégralité du message, pt. 5 de l’arrêt). Dans le second, il avait publié un hyperlien renvoyant à un article de presse intitulé « Le signal d’alarme tiré par un procureur. De nos jours, vivre en Roumanie représente un risque énorme. La ligne rouge a été franchie en ce qui concerne la justice » et avait commenté celui-ci (v. intégralité, pt. 6 de l’arrêt). Le CSM estima que le juge avait à la fois porté atteinte à l’honneur et à la bonne image de la justice sans respecter son obligation de réserve, et dépassé les limites de la décence et du statut de magistrat. Il s’est vu infliger une diminution de 5 % de sa rémunération pendant deux mois. Le requérant conteste cette sanction et invoque devant la CEDH une violation de son droit à la liberté d’expression (Conv. EDH, art. 10).
Dans son arrêt, la CEDH apprécie la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique quant à la liberté d’expression des magistrats (§ 54) et rappelle que des questions concernant le fonctionnement de la justice relèvent de l’intérêt général (v. CEDH 23 avr. 2015, Morice c/ France, n° 29369/10, § 128). Si la Cour réaffirme, le principe selon lequel un magistrat use de la liberté d’expression avec retenue (v. notamment Conseil consultatif de juges européens, avis n° 25 sur la liberté d’expression des juges, ici), elle relève que les propos en cause n’étaient pas illicites, diffamatoires, haineux ou appelant à la violence et que la prise de position du juge s’inscrivait dans des questions portant sur l’intérêt général.
Pour justifier de manière pertinente l’atteinte à la dignité et à l’honneur de la profession de magistrat, les juridictions roumaines n’ont pas tenu compte des différents facteurs importants, notamment le contexte large des affirmations, les questions relevant de l’intérêt général, l’existence d’une base factuelle et l’effet dissuasif de la sanction.
Notons que pour la Cour, la nature et la lourdeur de la peine infligée sont à prendre en compte pour apprécier l’ingérence au risque d’engendrer un effet dissuasif à l’exercice de la liberté d’expression (v. CEDH 12 févr. 2008, Guja c/ Moldavie, n° 14277/04). La sanction disciplinaire infligée, qui n'était pas la moins lourde, a indéniablement découragé, non seulement le requérant, mais aussi d’autres juges de participer à l’avenir au débat public portant sur des questions visant la séparation des pouvoirs ou les réformes législatives touchant les tribunaux et, de manière plus générale, sur des questions relatives à l’indépendance de la justice (§ 80).
En l’espèce, « les juges nationaux n’ont pas accordé à la liberté d’expression de l’intéressé le poids et l’importance que pareille liberté méritait au sens de la jurisprudence de la Cour, et cela même en présence de l’utilisation d’un moyen de communication (en l’occurrence un compte Facebook accessible au public) pouvant donner lieu à des interrogations légitimes au regard du respect du devoir de réserve des magistrats », il y a violation de l’article 10 de la Convention.
Références :
■ CEDH 23 avr. 2015, Morice c/ France, n° 29369/10 : D. 2015. 974 ; ibid. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 428, obs. C. Porteron ; Constitutions 2016. 312, chron. D. de Bellescize ; RSC 2015. 740, obs. D. Roets.
■ CEDH 12 févr. 2008, Guja c/ Moldavie, n° 14277/04 : AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss.
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