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Libertés fondamentales - droits de l'homme
CEDH : Primauté de l’obligation de neutralité des agents publics sur la liberté de manifester sa religion
Mots-clefs : Port du voile ; Principe de laïcité ; Obligation de neutralité, Liberté de pensée, de conscience et de religion ; Atteinte (non)
L’obligation de neutralité religieuse imposée aux agents publics français dans l’exercice de leurs fonctions n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Liberté religieuse des salariés et principe de laïcité sont difficiles à concilier dans les relations de travail. Dans un arrêt du 26 novembre 2015, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur l’obligation de neutralité imposée aux agents publics français et a conclu à l’absence de violation de l’article 9 de la Convention consacrant la liberté religieuse.
Dans cette affaire, une assistante sociale employée sous contrat à durée déterminée dans le service de psychiatrie d’un centre hospitalier, avait refusé à plusieurs reprises de s’abstenir de porter le voile musulman malgré la formulation de plaintes par certains patients. Son employeur, reprenant les termes de l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000, rappela à la salariée qu’elle était tenue à une obligation de neutralité religieuse dans l’exercice de ses fonctions.
En effet selon cet avis, les agents publics bénéficient de la liberté de conscience mais le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. Le Conseil d’État estime que le fait pour un agent public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations.
Face au refus de la salariée de retirer son voile, son employeur décida le 11 décembre 2000 de ne pas renouveler son contrat de travail. Cette personne était alors l’une des premières, en dehors du personnel des services éducatifs, à subir les conséquences disciplinaires de l’avis du Conseil d’État rendu huit mois plus tôt.
La salariée contesta cette décision devant le juge administratif qui jugea que le non-renouvellement de son contrat était conforme aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Estimant que le non-renouvellement de son contrat d’assistante sociale était contraire à son droit à la liberté de manifester sa religion, la salariée saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en invoquant la violation de l’article 9 de la Convention.
La CEDH devait donc déterminer si l’État français avait outrepassé sa marge d’appréciation en décidant de ne pas renouveler le contrat de la requérante en raison de son port du voile. La Cour reconnait que le non-renouvellement du contrat de la requérante est motivé par son refus d’enlever son voile et que cette mesure disciplinaire constitue une ingérence dans son droit à la liberté de manifester sa religion garanti par l’article 9 de la Convention. Elle admet que cette ingérence, prévue par la loi, poursuivait le but légitime qu’est la protection des droits et libertés d’autrui. Plus précisément, le respect des croyances ainsi que l’égalité de traitement entre les patients étaient invoqués par l’employeur. La Cour devait ensuite déterminer si une telle ingérence était nécessaire et proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle que si la liberté de conscience des agents publics est totale, il leur est cependant interdit de manifester leurs croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions en raison du principe de laïcité de l’État et de neutralité des services publics. Ce principe de neutralité vise à protéger les usagers de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience. La Cour constate que pour les juges français, le fait que la requérante soit en contact avec des patients se trouvant dans un état de fragilité ou de dépendance renforçait l’exigence de neutralité à laquelle elle était tenue.
A l’issue de ce contrôle de proportionnalité, la CEDH juge que le non-renouvellement du contrat, dans un établissement public, d’une assistante sociale refusant d’ôter son voile n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, consacrant la liberté de religion. Elle estime que les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation en constatant l’absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de la requérante et l’obligation de s’abstenir de les manifester, ainsi qu’en décidant de faire primer l’exigence de neutralité et d’impartialité de l’État.
Dans le secteur privé, il est admis depuis l’affaire « Baby Loup », que le règlement intérieur d’une entreprise puisse restreindre la liberté religieuse de ses salariés à condition que cette restriction soit suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés et proportionnée au but recherché (Cass., ass. plén., 25 juin 2014, Affaire « Baby Loup », n° 13-28.369).
CEDH 26 nov. 2015, n° 64846/11
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 9. « Liberté de pensée, de conscience et de religion. 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »Constitution du 4 octobre 1958
■ CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017, Lebon ; AJDA 2000. 673 ; D. 2000. 747, note G. Koubi ; AJFP 2000. 39 ; RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz.
■Cass., ass. plén., 25 juin 2014, Affaire « Baby Loup », n° 13-28.369, AJDA 2014. 1293 ; ibid. 1842, note S. Mouton et T. Lamarche ; D. 2014. 1386; ibid. 1536, entretien C. Radé ; AJCT 2014. 511, obs. F. de la Morena ; ibid. 337, tribune F. de la Morena ; Dr. soc. 2014. 811, étude J. Mouly ; RDT 2014. 607, étude P. Adam ; RFDA 2014. 954, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2014. 620, obs. J. Hauser.
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