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Droit social européen et international
Certificat A1 : le travail dissimulé n’implique pas le redressement URSSAF
Depuis 2017, la chambre criminelle, la chambre sociale et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation sont confrontées à diverses questions portant sur la force du certificat A1, avec en toile de fond, les solutions de la CJUE. L’arrêt de la deuxième chambre civile du 24 janvier 2019 en offre une nouvelle illustration.
Le certificat A1 (ex E101) est un document administratif qui atteste de la législation de sécurité sociale applicable à un salarié. En matière de détachement, il permet à l’employeur d’échapper à la règle lex loci laboris : les cotisations de sécurité sociale ne sont donc pas versées à l'État où l’activité professionnelle est exercée mais à l’organisme qui a dressé le certificat. Ainsi, comme en l’espèce, la délivrance par l’organisme polonais d’un certificat A1 pour des travailleurs polonais venant travailler en France exclut le versement des cotisations au système français. Or il arrive que les conditions du détachement, justifiant la délivrance de ce certificat, ne soient pas réunies. Tel était le cas ici : lors d’un contrôle sur un chantier de construction en France, il avait été constaté que plusieurs salariés polonais, détachés par une société polonaise, travaillaient en réalité sous les ordres, les directives et le contrôle d’une entreprise française. La société française étant reconnue comme le véritable employeur, elle avait été condamnée par le tribunal correctionnel pour travail dissimulé et prêt de main d’œuvre illicite. S’appuyant sur cette condamnation pénale, l’URSSAF avait ensuite opéré un redressement de cotisations sociales, décision approuvée par la juridiction de sécurité sociale compétente. C’était sans compter sur ce fameux certificat A1 ! La deuxième chambre civile censure assez logiquement la solution des juges du fond.
Pour mieux comprendre la solution, il est utile de rappeler que le détachement - au sens de la sécurité sociale - implique 3 séries de conditions. Les premières concernent le salarié : il doit être déjà assujetti dans le pays où il reste affilié, être détaché pour moins de 24 mois et ne pas remplacer un autre salarié détaché. Les secondes sont relatives aux liens entre l’employeur et le pays d’affiliation : l’employeur doit exercer une activité substantielle dans l’État d’envoi. Les troisièmes se rapportent aux liens unissant le travailleur et l’employeur qui le détache : le lien de subordination doit être maintenu. Si l’organisme de l’État d’affiliation estime que toutes ces conditions sont réunies, il délivre le certificat A1. La CJUE attribue à ce document une force singulière : Il vaut présomption de la législation de sécurité sociale applicable. Dans son arrêt Rosa du 27 avril 2017 (CJUE 27 avr. 2017, Rosa, aff. C-620/15), le juge européen affirme que ce document est opposable aux autorités de l’État d’accueil, c’est-à-dire non seulement aux organismes de protection sociale mais également au juge. Ainsi, si une URSSAF entend contester la régularité d’un certificat, elle doit respecter une procédure privilégiant le dialogue entre les États : demander à l’institution émettrice de vérifier le certificat et en l’absence d’accord sur l’appréciation des faits litigieux, saisir une commission administrative ad hoc au niveau européen qui tentera de concilier les points de vue. (art. 72 du règlement n° 883/2004/CE du 29 avr. 2004). L’Assemblée plénière de la Cour de cassation fait sienne cette solution : quand bien même les conditions du détachement ne seraient manifestement pas réunies, le juge national ne pourrait pas écarter la présomption attachée au certificat (Cass., ass. plén., 22 déc. 2017, n° 13-25.467). La deuxième chambre civile, dans l’arrêt commenté, se conforme donc scrupuleusement à la ligne jurisprudentielle indiquée. (Civ. 2e, 20 déc. 2018, n° 17-21.706). Certes la troisième condition nécessaire à la validité du détachement n’était pas respectée puisque le lien de subordination n’existait plus entre le travailleur et l’entreprise polonaise. Mais ce constat était insuffisant pour justifier un redressement. L’URSSAF devait au préalable demander à l’organisme polonais de reconsidérer le bien-fondé de la délivrance du certificat.
Il est toutefois à noter que la deuxième chambre civile aurait pu reprendre la nuance apportée par la CJUE dans son arrêt du 6 février 2018 (CJUE 6 févr. 2018, aff. C-359/16). Désormais, le juge national peut écarter le formulaire A1 en cas de fraude. La fenêtre d’action est cependant très étroite. Il faut tout d’abord que la demande de l’URSSAF auprès de l’institution émettrice soit restée sans réponse. Ensuite, établir un élément objectif (l’absence de respect des conditions du détachement) et un élément subjectif (l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance du certificat pour obtenir un avantage en termes de cotisations sociales). La condamnation pour travail dissimulé ou prêt de main d’œuvre n’est donc pas suffisante en soi. En l’espèce, l’URSSAF n’ayant pas procéder à la première étape, la Cour de cassation ne pouvait que censurer la décision des juges du fond.
Les questions sur les liens entre une condamnation pour travail dissimulé et le certificat A1 sont pourtant loin d’être toutes levées. Outre deux questions préjudicielles actuellement en cours sur l’impact du certificat non plus en droit de la sécurité sociale mais en droit du travail, l’une posée par la chambre sociale (Soc. 10 janv. 2018, n° 16-16.713), l’autre par la chambre criminelle (Crim. 8 janv. 2019, n° 17-82.553), la loi du 5 septembre 2018 a institué un nouveau cas de travail dissimulé, nommé par les médias « fraude au détachement » (C. trav., art. L. 8221-3, 3°). Il faut toutefois prendre garde à cette dénomination car les éléments constitutifs de l’infraction ne recouvrent pas tous ceux donnés par la CJUE pour admettre la mise à l’écart du certificat A1.
Civ. 2e 24 janv. 2019, n° 17-20.191
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Coordination européenne des systèmes de sécurité sociale, Détachement, Travail dissimulé
■ CJUE 27 avr. 2017, Rosa, aff. C-620/15: AJDA 2017. 1709, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser
■ Cass., ass plén., 22 déc. 2017, n° 13-25.467 P: D. 2015. 2325 ; ibid. 2016. 336, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Dr. soc. 2015. 1040, obs. J.-P. Lhernould
■ Civ. 2e, 20 déc. 2018, n° 17-21.706
■ CJUE 6 févr. 2018, aff. C-359/16: AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 296 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 2019. 347, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RDT 2018. 219, obs. M. Castel
■ Soc. 10 janv. 2018, n° 16-16.713 P: D. 2018. 119 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke
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