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Droit des obligations
Cession de contrat : l’accord du cédé n’est pas une condition de sa validité
Par application de l'article 1216, alinéa 1, du Code civil, l'accord du cédé à la cession du contrat peut être donné sans forme, pourvu qu'il soit non équivoque, et peut être prouvé par tout moyen. Le défaut d'accord du cédé n'emporte pas la nullité de la cession du contrat, mais son inopposabilité au cédé.
Civ. 2e, 24 avr. 2024, n° 22-15.958
Faute de précision légale, la cession de contrat peut être définie comme la substitution d’une partie par un tiers, en cours d’exécution du contrat. Le cessionnaire, qui y était tiers, devient partie au contrat. La cession ayant pour objet la qualité de contractant, elle se distingue de la simple cession de dette assortie d’une cession de créance : non seulement le tiers cessionnaire va ainsi recueillir toutes les obligations du cédant, mais il va également se trouver investi par le contractant initial (le cédant) de la qualité de partie au contrat. L’objectif est de permettre la survie du contrat originaire, menacé d’inexécution, qui liait, avant la cession, le cédant au cédé. Cet objectif d’assurer le maintien du lien contractuel autorise-t-il les parties au contrat de cession (cédant/cessionnaire) à s’affranchir du consentement du cocontractant cédé ? Après maintes hésitations et controverses doctrinales, la Cour de cassation s’y était opposée. Reconnaissant le consentement du cédé comme une nécessité, elle l’avait même érigé en condition de validité de la convention de cession (Com. 6 mai 1997, n° 94-16.335 et 95-10.252). La codification de la cession de contrat par l’ordonnance de février 2016 semblait avoir entériné cette solution, ce qui est faux. Contrairement à ce qui est parfois soutenu, le consentement du cédé à la cession n’est pas une condition de validité du contrat. Une lecture attentive du texte du nouvel article 1216 du Code civil permet en effet de dégager deux règles dont la distinction est ici rappelée par la Cour de cassation : d’une part, la cession du contrat suppose l’accord du cédé (al. 1) ; d’autre part, elle doit, à peine de nullité, être constatée par écrit (al. 3). Bien distinctes, ces deux règles se trouvent parfois entremêlées au point d’en déduire, dans le prolongement de la jurisprudence antérieure, que l’accord écrit du cédé est une condition de validité de la cession. C’est cette confusion ici opérée par les juges du fond que vient dissiper la décision rapportée.
Au cas d’espèce, une cession de plusieurs contrats avait été réalisée par un apport partiel d'actifs détenus par une société commerciale. Constatée par écrit, cette cession de contrat avait été notifiée par la société cessionnaire à la société cédée. Invoquant des factures impayées, la société cessionnaire avait assigné la société cédée en paiement. Pour s’y opposer, celle-ci faisait valoir qu’elle n’avait pas accepté la cession par écrit et en contestait, en conséquence, la validité. Adhérant à son argumentaire, la Cour d’appel jugea qu’en l’absence d’accord écrit du cédé à la cession réalisée, la nullité du contrat de cession devait être prononcée sur le double fondement de l’article 1216 alinéa 3 du Code civil et de l’article 1359 du même code, concernant le droit de la preuve des actes juridiques. Autrement dit, elle considérait que dans la mesure où le cessionnaire ne rapportait pas la preuve que le cédé avait accepté par écrit la cession, celle-ci devait être annulée. Devant la Cour de cassation, le cédé dénonça la confusion opérée par les juges du fond entre la cession du contrat, soumise par la loi à l'exigence d'un écrit ad validitatem, et l’expression du consentement du cédé à cette cession, quant à lui soustrait à cette exigence, en sorte que l’écrit constatant l’accord du cédé ne peut, en tout état de cause, être requis qu’ad probationem. Or rappelle le demandeur au pourvoi, les formes exigées aux fins de preuve ou d'opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats. Accueillant la thèse du pourvoi, la Cour de cassation casse, au visa de l'article 1216, la décision de la cour d’appel, ayant confondu deux règles : l’accord du cédé (al. 1) et l’exigence d’un écrit (al. 3). En subordonnant la validité de la cession à l’accord écrit du cédé, les juges du fond ont ainsi commis une double erreur : d’une part, l’écrit n’est requis ad validitatem que pour l’acte de cession entre cédant et cessionnaire, et non pour l’expression du consentement du cédé, lequel "peut être donné sans forme, pourvu qu'il soit non équivoque » ; d’autre part, la sanction du défaut d'accord du cédé n'est pas la nullité du contrat de cession, mais l’inopposabilité du contrat au cédé qui, à défaut de consentir à la cession, continuera de traiter le cédant comme son cocontractant. La validité de la cession en restera inchangée. Dit autrement, l’accord du cédé n’est pas une condition de validité de la cession de contrat. À défaut d’accord prouvé du cédé, la cession n’est pas nulle mais inopposable.
Il en ressort que la cession de contrat est un acte autonome (ie indépendant de l’accord du cédé), caractérisé par le seul transfert de la qualité de contractant par le cédant titulaire de cette qualité au tiers cessionnaire. Sa validité n’étant pas subordonnée à l’accord du cédé, la cession de contrat reste un contrat bipartite. Si la cession de contrat suppose l’accord du cocontractant cédé, qui ne doit pas se voir imposer une substitution de contractants contre son gré, cette condition d’opposabilité de la cession du contrat au cédé n’interfère pas sur la validité de la convention, qui ne peut donc être annulée au motif de l’absence de preuve du consentement du cédé. La cession de contrat n’ayant pas à être formalisée par un contrat tripartite, l’accord du cocontractant cédé est alors affranchi de l’exigence d’un écrit, qui reste cantonnée à la convention de cession conclue entre le cédant et le cessionnaire. Libre de toute forme à la condition d’être certain, le consentement du cédé peut ainsi être recueilli sans écrit (par ex. induit de son comportement), et être prouvé par tout moyen.
En limitant conformément à la loi l’exigence d’un écrit ad validitatem à la cession conclue entre le cédant et le cessionnaire, la deuxième chambre civile réduit ainsi les risques d’annulation de la cession, ce qui se justifie par la finalité propre à la cession du contrat, celle-ci ayant précisément pour objet de permettre le maintien du contrat, voire d’en prévenir l’inexécution.
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