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Droit des obligations
Cession de parts sociales : le dol rend excusable l’erreur provoquée sur la valeur
Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui rejette une demande en annulation d'une cession de parts sociales en retenant que le cessionnaire aurait dû se renseigner sur la situation financière de la société qu'il acquérait, ces motifs étant impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive, laquelle rend toujours excusable l'erreur provoquée.
Com. 18 sept. 2024, n° 23-10.183
Un associé avait cédé à un autre la totalité des parts composant le capital d’une SARL. Invoquant le silence dolosif du cédant sur le passif de cette société antérieur à la cession, constitué de dettes, de contrats en cours et d’un prêt bancaire, le cessionnaire l'avait assigné en annulation de la cession. La cour d’appel exclut l’existence d’une réticence dolosive et rejeta en conséquence la demande d’annulation de la cession des parts sociales au motif que le cessionnaire aurait dû se renseigner, avant de contracter, sur la situation financière de la société. La motivation des juges du fond semblait à premières vues convaincante : en l’absence de devoir d’information du vendeur sur l’estimation de la valeur de la chose ou de la prestation objet du contrat (C. civ., art. 1112-1), un devoir de se renseigner incomberait au cessionnaire, d’autant plus que ce dernier revêtait en l’espèce la qualité d’acheteur averti, en sorte qu’il ne pourrait invoquer l’existence d’une réticence dolosive pour obtenir l’annulation du contrat. C’était sans compter sur la spécificité du dol, qui rend toute erreur commise excusable, et partant, réparable. La Chambre commerciale censure donc l’arrêt de la cour d’appel au double visa des articles 1137 et 1139 du Code civil. Elle rappelle que la réticence dolosive constitue un dol dès lors qu’une partie dissimule intentionnellement une information déterminante pour le consentement de l’autre. Si le dol doit être déterminant, cela signifie que toute altération du consentement n’est pas prise en compte : le dol doit avoir vicié le consentement du cocontractant en ayant provoqué chez lui une erreur décisive. Il convient toutefois de préciser, comme le fait ici la Cour, que l’erreur provoquée par dol étant toujours excusable (Civ. 3e, 21 févr. 2001, n° 98-20.817), toute erreur « provoquée » doit être prise en compte, même si elle est en principe indifférente sur le terrain de l’erreur « simple » ou « spontanée » prévue à l’article 1135, ou inexcusable. Or en l’espèce, la Cour constate que les juges du fond ont statué par des motifs tirés d’une obligation renforcée pour le cessionnaire averti de se renseigner sur la situation financière de la société qu'il acquérait, si bien qu'en l'absence de toute démarche de sa part pour s’enquérir de la situation financière de la SARL, le silence du cédant sur l'existence de dettes et de contrats liant cette société à des tiers ne constituait pas une dissimulation volontaire de la situation financière de la société pouvant caractériser un dol. La Haute juridiction décide du contraire et conclut qu’en se déterminant par des motifs tirés de ce que le cessionnaire aurait dû se renseigner, avant la cession, sur la situation financière de la société, impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Ainsi la Cour de cassation rappelle-t-elle que la réticence dolosive, définie comme la dissimulation intentionnelle d’une information déterminante du consentement du cocontractant, est bien constitutive d’un dol. Cette notion a initialement été consacrée par la jurisprudence, après quelques hésitations, par un arrêt du 19 mai 1958 (Civ. 1re, 19 mai 1958, Bull. civ. I, n° 251 et Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180). La réticence dolosive s’entend du silence délibérément gardé sur un fait que le cocontractant aurait eu intérêt à connaître avant de contracter ou, plus précisément, de ne pas contracter. Pour la Cour de cassation, le dol peut ainsi être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter. Comme l’indique le visa de la décision rapportée, cette solution d’origine prétorienne est désormais consacrée par l’article 1137, al. 2, du Code civil.
Si l’arrêt commenté n’est donc que l’application d’un principe solidement ancré dans la jurisprudence et désormais légalement consacré, il permet utilement de rappeler les éléments caractéristiques de la réticence dolosive : un silence intentionnel et une erreur déterminante du consentement. En outre, il souligne un élément essentiel d’appréciation du dol, inféré de son intentionnalité : sur son fondement, toute erreur peut être prise en compte, ce qui distingue l’erreur spontanée de l’erreur provoquée. En effet, si sur le fondement de l’article 1135 du Code civil, l’erreur commise par le contractant sur la valeur de la chose objet du contrat est par principe indifférente, elle devient, sur le terrain du dol et, en particulier, de la réticence dolosive, un vice du consentement justifiant l’annulation du contrat. Cela n’est pas une surprise, puisque la réticence dolosive n’est jamais qu’une forme de dol : la réticence est intentionnelle, et c’est précisément ce qui la distingue du simple manquement à une obligation d’information. C’est pourquoi la Cour de cassation s’attache ici non seulement à relever la connaissance du fait en cause, mais également la volonté délibérée du cédant de le garder secret en sorte de tromper son cocontractant. L’intentionnalité du dol rend donc « toujours excusable » l’erreur provoquée, qui justifie d’annuler le contrat (C. civ., art. 1139), même lorsque l’erreur porte sur la valeur de la chose et qu’elle semble inexcusable. Ce qui explique qu’en l’espèce, l’absence d’investigations du cessionnaire, ayant omis de se renseigner sur la valeur exacte de la société malgré son expérience dans la gestion de sociétés et son ancienne qualité de gérant, ne pouvait suffire à exclure l’existence d’une réticence dolosive, celle-ci justifiant d’annuler l’acquisition de la société dont il avait pris le contrôle après avoir été induit en erreur par son cocontractant.
Références :
■ Civ. 3e, 21 févr. 2001, n° 98-20.817 : D. 2001. 2702, note D. Mazeaud ; ibid. 3236, obs. L. Aynès ; ibid. 2002. 927, obs. C. Caron et O. Tournafond ; ibid. 2003. 2023, chron. J. Mouly ; AJDI 2002. 70, obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2001. 353, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Civ. 1re, 19 mai 1958, Bull. civ. I, n° 251
■ Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180
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