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[ 13 novembre 2024 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Changements d’identité et de genre : la CJUE exige une reconnaissance entre les États membres

Les États membres doivent reconnaître et enregistrer dans les actes de naissance de leurs citoyens un changement de prénom et d’identité de genre légalement acquis dans un autre État membre. Une réglementation nationale ne permettant pas une telle reconnaissance et inscription est contrainte à l’exercice de la liberté de circulation et de séjour garantie par le droit de l’Union.

CJUE 4 oct. 2024, Mirin, C-4/23

Un citoyen roumain né de sexe féminin déménage au Royaume-Uni où il acquiert la nationalité par neutralisation. En 2017, il opte pour un changement de prénom et de genre, passant du féminin au masculin, conformément à la procédure britannique (Deed Poll). En 2020, il obtient son certificat d’identité de genre (Gender Identity Certificate) indiquant le genre masculin. Un an plus tard, il sollicite les autorités de l’état civil roumain pour l’inscription de ces modifications dans son acte de naissance et la délivrance d’un nouveau certificat de naissance correspondant à ces nouvelles mentions. Les autorités roumaines rejettent sa demande en vertu du droit national qui exige que l’inscription dans l’acte de naissance du changement de genre d’une personne soit approuvée par une décision de justice devenue définitive.

Saisie du recours introduit par le ressortissant, la juridiction de renvoi pose deux questions préjudicielles à la CJUE. Tout d’abord, elle se demande si le droit de l’Union s’oppose à l’obligation d’entamer une nouvelle procédure de changement d’identité de genre alors que celle-ci a déjà été achevée légalement dans un autre État membre. Ensuite, elle s’interroge, s’agissant du cas en l’espèce du Royaume-Uni, sur les conséquences du Brexit et son incidence dans la reconnaissance des effets juridiques de la procédure de changement d’identité menée dans ledit État.

La Cour luxembourgeoise souligne d’emblée que chaque État membre est tenu de respecter le droit de circuler et de séjourner sur le territoire de l’Union (TFUE, art. 20 et 21 § 1). Ainsi, le refus de reconnaître le changement de prénom d’un ressortissant au sein des autres États membre constitue une entrave à l’exercice de ce droit puisque la présence de divergences entre deux prénoms peut entraîner des inconvénients et des confusions dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, que ce soit dans des contextes publics ou privés (v. CJUE 8 juin 2017, Freitag, C-541/15). Il en est de même pour le refus de modifier et de reconnaître le changement d’identité de genre pouvant engendrer de sérieux obstacles d’ordre administratif, professionnel et privé (CJUE 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C- 438/14). Elle ajoute que le fait de contraindre le ressortissant à engager une nouvelle procédure dans son État membre d’origine l’expose au risque d’obtenir un résultat différent de celui déjà acquis.

Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale) protège l’identité sexuelle d’une personne en tant qu’élément fondamental de sa vie privée. Selon la jurisprudence de la CEDH, les États sont alors tenus de prévoir une procédure claire et prévisible permettant la reconnaissance juridique de l’identité de genre et le changement de sexe (CEDH 19 janv. 2021, X et Y c/ Roumanie, nos 2145/16 et 20607/16).

Enfin, en ce qui concerne les interrogations sur les effets du Brexit et la reconnaissance des effets juridiques dans les autres États membres, la Cour relève que même si la procédure de changement de prénom et de genre a débuté au Royaume-Uni avant le Brexit et s’est achevée après celui-ci, durant la période de transition, cela est sans incidence sur l’application du droit de l’Union dans ce contexte.

Cet arrêt revêt une importance significative car il oblige les États membres à reconnaître les effets juridiques des changements d’identité et de genre légalement acquis au sein de l’Union, même en présence de divergences en matière de reconnaissance juridique de l’identité de genre dans les différentes réglementations nationales.

Références :

■ CJUE 8 juin 2017, Freitag, C-541/15 D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2017. 549, note P. Hammje ; RTD eur. 2017. 589, obs. E. Pataut.

■ CJUE 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C- 438/14 AJ fam. 2016. 392, obs. M. Saulier ; Rev. crit. DIP 2017. 278, note Lukas Rass-Masson ; RTD civ. 2016. 820, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2016. 648, obs. E. Pataut.

■ CEDH 19 janv. 2021, X et Y c/ Roumanie, nos 2145/16 et 20607/16D. 2021. 863, obs. Régine.

 

Auteur :Elisabeth Autier


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