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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Charge de la preuve en droit du cautionnement : entre respect et affranchissement du droit commun
La caution personne physique a la charge de prouver la disproportion manifeste de son cautionnement qu’elle conserve, fût-elle non avertie, pour établir le manquement de la banque à son obligation de mise en garde.
Com. 21 oct. 2020, n° 18-25.205
Par la décision rapportée, la chambre commerciale confirme les règles d’attribution de la charge de la preuve d’un cautionnement manifestement disproportionné : dans le cas où la disproportion de l’engagement n’est pas caractérisée au jour de sa conclusion, le créancier n’a pas à apporter la preuve qu’il l’est à la date de sa mise en œuvre. En outre, si la caution rend le créancier responsable de la disproportion survenue par un défaut prétendu de mise en garde sur le risque d’endettement excessif qu’il lui aurait ainsi fait courir, c’est encore à elle que revient la charge de prouver que son cautionnement l’exposait à un tel risque en raison de son inadaptation à ses capacités personnelles ou aux capacités financières de l’emprunteur.
Une banque avait consenti un prêt de 170 000 € à une société, dont le gérant s’était porté caution solidaire dans la limite de 221 000 €. À la suite de la mise en liquidation judiciaire de la société, la banque avait appelé la caution en garantie, laquelle lui avait opposé la disproportion manifeste de son engagement et reproché un manquement à son obligation de mise en garde. La cour d’appel ayant accueilli la demande de la banque, la caution forma un pourvoi en cassation.
Elle soutenait d’une part qu’il revenait à la banque de prouver que l’engagement était proportionné au jour de sa mise en œuvre. Mais la chambre commerciale juge sans surprise qu’« Il résulte de l’article L. 341-4 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 alors applicable (v., art L. 332-1 nouv.) que, dès lors qu’un cautionnement conclu par une personne physique n’était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s’en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle a été appelée » . Ainsi, le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé. D’autre part, la caution invoquait le manquement par la banque à son devoir de mise en garde. La chambre commerciale écarte également l’argument : « Pour invoquer le manquement d’un établissement de crédit à son obligation de mise en garde envers elle, une caution, fût-elle non avertie, doit rapporter la preuve que son engagement n’est pas adapté à ses capacités financières personnelles ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur débiteur principal ». Or, la caution ne justifiait pas d’un risque d’endettement de la société et, si cette dernière avait été mise en liquidation judiciaire deux ans après la souscription de l’emprunt, aucun incident de paiement n’avait été constaté avant la déchéance du terme provoqué par l’ouverture de la liquidation.
La chambre commerciale procède ainsi à deux rappels concernant la preuve de la disproportion de la caution personne physique ayant apporté sa garantie à un créancier professionnel :
* D’une part, dès lors qu'un cautionnement conclu par une personne physique n'était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s'en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où il l’a appelée en paiement ;
* D’autre part, pour invoquer le manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde envers elle, une caution, fût-elle non avertie, doit rapporter la preuve d’un risque d’endettement excessif né de l’inadéquation de son engagement à ses capacités financières personnelles ou à celles du débiteur principal.
Concernant l’exigence de proportionnalité du cautionnement, la solution prolonge sa jurisprudence antérieure mettant la preuve de la disproportion flagrante de l’engagement à la charge de la caution demandant à en être déchargée (v. not., Com. 1er avr. 2014, n° 13-11.313, Com. 22 janv. 2013, n° 11-25.377). Cette attribution de la charge de la preuve se comprend au regard de la solution dégagée par cette même chambre précisant que, dans la mesure où les dispositions du Code de la consommation n’imposent pas au créancier, même professionnel, de vérifier la situation financière de la caution personne physique lors de la souscription de son engagement, cette dernière supporte, lorsqu'elle l'invoque, la charge de prouver que son cautionnement était, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus (Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294).
Ce n’est donc qu’à la condition que la preuve d’une telle disproportion soit préalablement rapportée par la caution que le créancier doit pouvoir, dans un second temps, être en mesure de rapporter la preuve contraire, soit le retour à meilleure fortune de la caution lui ayant permis, au moment où elle fut appelée en garantie, d’honorer son engagement (Com., 1er avr. 2014, préc.).
Il est à noter que les règles de preuve ici rappelées sont en tous points conformes à celles de droit commun (C. civ., art. 1353, anc. art. 1315) déterminant, d’une même manière chronologique, l’ordre de production des preuves. Ainsi, dans un premier temps, la charge de la preuve incombe au demandeur à l’instance : celui qui avance une prétention supporte assez naturellement la charge de prouver le fait allégué à l’appui de sa prétention (al. 1er). Partant du principe que « normalement, personne ne doit rien à personne » (H. Roland et L. Boyer, Droit civil, Introduction au droit, Litec, 5 e éd., 2003, n° 1525), cette règle légale d’attribution de la charge de la preuve, que personne n’a jamais entendu contester ni remettre en cause, repose sur l’idée que tout demandeur, en ce qu’il entend remettre en cause une situation normale, doit supporter le fardeau de la preuve (actori incumbit probatio).
Et ce n’est que dans un second temps qu’il est prévu (art. 1353, al. 2) que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation » : s’il formule une telle prétention, le défendeur à l’instance, soulevant alors une exception, devient demandeur à la preuve (reus in excipiendo fit actor). C’est pourquoi si à l’origine, le demandeur à l’instance est toujours le demandeur à la preuve, une fois qu’il est parvenu à justifier les faits nécessaires à la preuve de son allégation, c’est au défendeur à l’instance, devenant ainsi demandeur à la preuve, d’avancer d’autres faits à même de combattre les prétentions de son adversaire (v. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 5e éd., n° 256 s). Pour présenter le rôle respectif des parties dans la charge de la preuve, l’image de la partie de tennis ou d’un jeu de raquettes est alors souvent utilisée. Comme le relève Ph. Malinvaud, « sur le plan de la preuve, le procès s’apparente à une partie de ping-pong où chacun se renvoie la balle » (Introduction à l’étude du droit, Litec, 13e éd., 2011, n° 522). La solution rapportée témoigne donc de ce que le droit du cautionnement ne déroge pas, en cette matière, au droit commun : si la caution supporte initialement la charge de prouver la disproportion manifeste de son engagement à l’effet d’être déchargée de l’obligation qui devrait, « normalement », lui incomber, « réciproquement », il incombe au créancier qui entend se défendre d’avoir accepté un cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion de rapporter la preuve qu’au moment où il appela la caution en paiement, celle-ci avait les moyens de faire face à son obligation.
Au-delà de sa conformité au droit commun, cette solution doit également être approuvée par l’impératif logique qui le soutient : si l’engagement de la caution était proportionné à ses biens et revenus au moment où elle s’est engagée, le créancier n’a aucune raison de supposer qu’il n’en est plus ainsi au moment où elle est appelée (v. J. D. Pellier, Dalloz actu., 17 nov. 2020)
Concernant l’obligation de mise en garde du créancier, la Cour confirme qu’une caution alléguant avoir été privée du bénéfice de cette mise en garde doit, fût-elle non avertie, rapporter la preuve que son engagement n'était pas adapté à ses capacités personnelles ou qu'il existait un risque d'endettement excessif né de l’inadaptation de l’octroi du prêt garanti aux capacités financières du débiteur principal (v. déjà, Com. 12 juin 2019, n° 18-11.067, Com. 15 nov. 2017, n° 16-16.790). Or en ayant retenu, d'un côté, que la caution, qui n’alléguait pas l'existence d'un risque d'endettement excessif de la société débitrice et, de l'autre, que si cette société avait été soumise à une procédure collective seulement deux ans après la souscription de l'emprunt, aucun incident de paiement n'avait cependant été constaté avant la déchéance du terme provoqué par la soumission du débiteur à une telle procédure, la cour d'appel a légalement justifié sa décision. Sous cet angle, la décision mérite également d’être approuvée en raison de l’objectif poursuivi par le devoir de mise en garde, celui de prévenir un risque d’endettement excessif à l’égard du débiteur principal ou de sa caution et, pour ce qui concerne la seule caution, par l’effet doublon avec l’exigence de proportionnalité du cautionnement auquel aurait conduit la solution inverse. En effet, la règle est ici rappelée que pour établir le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, la caution doit rapporter la preuve d’une inadaptation de son engagement à ses capacités financières personnelles qui lui aurait fait courir le risque d’un endettement excessif. Le recoupement évident de l’obligation de mise en garde de la caution avec celle de la proportionnalité de son engagement justifie sans doute que cette solution, pourtant rendue sur le fondement protecteur du droit de la consommation et au sujet de cautions « non avertie(s) », se démarque cette fois du principe de droit commun, paradoxalement plus protecteur du créancier du devoir de mise en garde, son débiteur étant invariablement tenu de rapporter la preuve, dont la charge se voit ainsi inversée, de sa bonne exécution (v. not. Civ.1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685) a fortiori lorsque son cocontractant n’est pas « averti » (v. not. Com. 11 déc. 2007, n° 03-20.747).
C’est très probablement l’inopportunité de ce double emploi entre l’exigence de proportionnalité et l’obligation de mise en garde de la caution qui justifie que le droit prospectif du cautionnement reste muet sur cette dernière obligation alors qu’il propose, en même temps, d’étendre l’exigence de proportionnalité à l’ensemble des créanciers (Avant-projet de réforme du droit des sûretés, Assoc. H. Capitant, art. 2301). La redondance de ces impératifs que combat, sur le terrain probatoire, la décision rapportée, est également contestée par une partie de la doctrine qui propose d’y remédier notamment par le cantonnement du devoir de mise en garde au seul risque d’endettement excessif du débiteur principal (v. J. D. Pellier, préc.). Manifestement partagée, cette désapprobation pourrait à l’avenir trouver écho auprès du Gouvernement, récemment habilité à « réformer le droit du cautionnement, afin (notamment) de rendre son régime plus lisible (…) » (L. n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises art. 60-I, 1°). La clarté recherchée justifierait de mettre un terme à cette pratique qui la brouille consistant pour les cautions à invoquer de concert la disproportion de leur engagement et le défaut de mise garde pour, à défaut d’être libérés de leur engagement, obtenir la mise en cause de la responsabilité de la banque. Par opportunisme présentés comme deux moyens de défense distincts, alors qu’ils reposent sur un fondement identique, cette confusion pourrait donner l’occasion au Gouvernement de clarifier, sur ce point, le régime applicable au cautionnement. Encore faut-il ne pas la manquer.
Références :
■ Com. 1er avr. 2014, n° 13-11.313 P: D. 2014. 868, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1010, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou et F. Arbellot ; ibid. 1610, obs. P. Crocq ; ibid. 2478, obs. J.-D. Bretzner, A. Aynès et I. Darret-Courgeon ; ibid. 2015. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2145, obs. D. R. Martin et H. Synvet
■ Com. 22 janv. 2013, n° 11-25.377: D. 2013. 1172, chron. M. Pietton, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon
■ Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294 P: D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2017. 494, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018. 23, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2018. 182, obs. P. Crocq
■ Com. 12 juin 2019, n° 18-11.067
■ Com. 15 nov. 2017, n° 16-16.790 P: D. 2017. 2573, note C. Albiges ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2018. 185, obs. P. Crocq
■ Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 P: D. 1997. 319, obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre
■ Com. 11 déc. 2007, n° 03-20.747 P: D. 2008. 220, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2820, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ; RTD com. 2008. 165, obs. D. Legeais
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