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Droit de la responsabilité civile
Choix du régime matrimonial : le notaire doit être de bon conseil !
Manque à son obligation de conseil le notaire qui, au lieu de conseiller ses clients sur le choix d’un régime matrimonial adapté à leur situation, se contente de leur exposer les différents régimes matrimoniaux existant et leurs conséquences.
Deux chirurgiens-dentistes, l’un exerçant à titre libéral, l’autre en qualité de salarié, s’étaient, sur les conseils de leur notaire, mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, le contrat de mariage contenant par ailleurs une clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant et une donation entre époux de l’universalité des meubles et immeubles. Estimant avoir été mal conseillés dans le choix de leur régime matrimonial, les époux avaient assigné leur notaire en responsabilité civile.
La cour d’appel accueillit leur demande, jugeant que le contrat des appelants, s’apparentant à une communauté universelle, était « insolite » eu égard à la profession libérale de l’épouse, qui s’était à cette fin endettée, ces éléments ayant dû conduire leur notaire, en sa qualité de rédacteur d’actes, à leur conseiller la séparation de biens.
Ce dernier forma un pourvoi en cassation, soutenant d’une part qu’il n’avait pas à s’immiscer dans les considérations morales ou personnelles qui déterminaient ses clients à conclure telle ou telle convention maritale, invoquant, d’autre part, le principe selon lequel un juge doit s’abstenir de formuler des motifs trahissant un parti pris sur l’un des aspects du litige, en sorte que la cour d’appel ne pouvait juger « insolite » le régime choisi comme elle ne pouvait affirmer que seul un régime séparatiste aurait dû lui être préféré, alors que le choix de la séparation de biens ne s’impose, au terme d’une approche purement rationnelle et financière, qu’en présence d’un risque particulier d’endettement auquel l’un des époux est exposé, ce que les juges du fond n’avaient pas, en l’espèce, caractérisé concernant l’épouse.
La Cour de cassation rejette son pourvoi, confirmant la décision des juges d’appel en ces termes : « le notaire chargé de rédiger le contrat choisi par les futurs époux est tenu, non pas de les informer de façon abstraite des conséquences des différents régimes matrimoniaux, mais de les conseiller concrètement au regard de leur situation, en les éclairant et en appelant leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations ». Elle relève qu’en l’espèce, le notaire s’étant contenté d’avoir exposé abstraitement les différents régimes matrimoniaux ainsi que leurs conséquences patrimoniales, n’avait pas suffisamment rempli son devoir d’information et de conseil, qui l’obligeait à conseiller aux époux un régime adapté à leur situation professionnelle et financière spécifique, en tenant donc compte du fait que l’exercice libéral de la profession de chirurgien-dentiste par l’épouse constituait un risque financier eu égard à l’endettement qui en étant résulté pour elle afin de financer son installation.
La Cour de cassation rappelle ici, sous l’angle du choix du régime matrimonial, l’objet comme l’étendue du devoir de conseil incombant au notaire, en sa qualité de rédacteur d’actes, jugeant insuffisante la délivrance d’informations abstraites, éloignées de la situation concrète de ses clients alors que celle-ci doit impérativement être prise en compte pour que le conseil donné soit opportun, c’est-à-dire efficace. En effet, pour définir les contours et justifier la force de l’obligation de conseil du notaire, les juges s’appuient, en général comme en l’espèce, sur sa qualité de rédacteur d’actes.
La rédaction d’actes représente un « marché » sur lequel interviennent divers professionnels habilités, au premier rang desquels figurent les notaires et les avocats, seuls en mesure d’exercer cette activité à titre principal. Dans cette perspective, la Cour de cassation adopte une logique libérale, considérant ce service particulier comme une prestation dont elle exige qu’elle présente une qualité et une sécurité optimales. Indépendamment des spécificités propres à chaque profession, le rédacteur d’acte pour autrui est, en cette seule qualité, tenu à certaines obligations, que sous-tend une finalité unique, l’efficacité de l’acte, entendue comme son aptitude à traduire fidèlement et utilement les besoins des parties (J.-L. Aubert, La responsabilité civile des notaires, n° 83, p. 103, Defrénois). C’est ce devoir d’efficacité, incombant à tout rédacteur d’acte, principalement au notaire, qui fonde les obligations qui pèsent sur lui, en premier lieu l’obligation de conseil. C’est ce même devoir d’efficacité qui explique l’étendue de cette obligation, imposant au notaire rédacteur d’acte de prendre l’initiative de conseiller ses clients à la convention qu’il instrumente, tel un contrat de mariage, sur la portée et les incidences, patrimoniales, fiscales ou successorales, des engagements souscrits et des dispositions choisies. Comme le rappelle ici la Cour, le conseil doit être concret, circonstancié, opportun, c’est-à-dire donné en fonction de la situation et des nécessités concrètes de ses clients.
L’acte rédigé doit en conséquence produire concrètement les effets voulus ou attendus par les parties compte tenu de leur situation et des techniques juridiques disponibles ; à cette fin, l’obligation de conseil implique celle de s’adapter à une situation donnée (C. Biguenet-Morel, Le devoir de conseil des notaires, Defrénois 2006, n° 2, p. 2). Ce n’est qu’à ces conditions que l’efficacité de l’acte peut être garantie. Ainsi l’obligation de conseil est-elle étroitement liée au devoir d’efficacité incombant au notaire.
En ce sens, l’acte doit être conçu de manière à ce que certains de ses effets ne soient pas partiellement manqués ou même simplement atténués. Aussi ne doit-il pas produire d’effets contraires aux attentes des parties (Civ. 1re, 25 févr. 2010, n° 09-11.591). Les circonstances de la décision rapportée illustrent cette hypothèse d’inadaptation de l’acte aux conséquences que les parties pouvaient en escompter compte tenu à la fois de leur situation et des différents régimes matrimoniaux existant : en effet, si le contrat de mariage rédigé par le notaire aurait peut-être convenu à des époux qui auraient insisté sur leur souhait de protéger les intérêts de celui qui survivrait à l’autre, il était manifestement inadapté à la situation de jeunes époux sans enfants à la date de la signature du contrat et pour lesquels, compte tenu surtout du mode d’exercice professionnel et de l’état d’endettement de l’un d’entre eux, un régime séparatiste eût, de toute évidence, été préférable, c’est-à-dire plus « utile », pour reprendre le qualificatif employé par les juges du fond, propre à la recherche d’efficacité précédemment décrite et en l’espèce réaffirmée.
Il est enfin à noter que le préjudice qui résulte de ce manquement se trouve dans la nécessité dans laquelle les époux se trouvent désormais de changer en séparation de biens un régime matrimonial inadapté à leur situation dont la particularité subsiste, ce changement engendrant un coût que l’accueil de leur demande en indemnisation d’un tel préjudice financier leur permettra de couvrir.
« Une mauvaise expérience vaut mieux qu’un bon conseil » (P. Valéry).
Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 16-19.619
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Régime matrimonial
■ Civ. 1re, 25 févr. 2010, n° 09-11.591
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